Julienne DJAKAOU, présidente d’une fédération d’organisations paysannes et déléguée du groupe "Femmes et développement rural" dans la province de l’Extrême-Nord au Cameroun, relate son expérience et les actions de son organisation en faveur et avec les femmes dans un article paru en avril 1995 dans la Lettre du réseau Gao (France).
"Dans l’Extrême-Nord du Cameroun, comme dans la plupart des pays d’Afrique, les femmes, à 80 % analphabètes, sont dominées et n’ont aucun pouvoir. Elles travaillent beaucoup pour élever les enfants et faire vivre la famille.
"J’ai eu la chance de recevoir une formation d’institutrice et j’ai assisté à des séminaires. J’ai alors proposé à mes soeurs de nous organiser pour trouver des solutions à nos problèmes. Je suis allée les voir dans les villages pour proposer de mettre en place des groupes mixtes. La première réunion a eu lieu le 15 mars 1990 dans un village où j’étais invitée par le chef du village. J’ai demandé à chacune de proposer une idée. L’assemblée générale constitutive de l’association "Femmes et Développement rural" a eu lieu le 15 juin 1990 en présence d’une centaine de femmes. Un bureau a été élu, avec des antennes dans chaque village.
"Aujourd’hui, nous regroupons 836 femmes, issues de 39 villages. Chaque femme verse une cotisation mensuelle de 350 FCFA pour l’antenne villageoise et le bureau central.
"Au cours de la première année, nous avons structuré notre organisation. En 1992, nous avons porté l’effort sur la formation avec trois déléguées par antenne pendant deux jours.
Des projets et des réalisations
"Depuis 1993, nous avons commencé des petits projets : atelier de couture, dont la construction doit se terminer en novembre 1995 ; plan de sensibilisation sur la santé et l’éducation. Un centre d’alphabétisation a été mis en place ; il fonctionne deux fois par semaine, pour tout le village, et la participation s’élève à environ 70 %.
"En ce qui concerne la couture, 77 femmes ont cotisé chacune 1 000 FCFA et nous avons cherché par ailleurs des financements pour construire l’atelier et acheter six machines à coudre.
"En matière d’environnement, nous avons réalisé deux pépinières dont les plants sont vendus à la ville et aux écoles. Nous mettons en place des foyers améliorés en terre battue qui permettent de consommer moins de bois.
"Dans le domaine social, des formations, animées par des infirmières et l’administration des affaires sociales, ont lieu en saison sèche (deux semaines)et en saison des pluies (deux jours). Nous organisons une éducation sur les droits de la femme : elle est opprimée et nous voulons qu’elle s’épanouisse. Nous avons mis en place des comités de réflexion sur le divorce. Pour retenir les maris au village, les femmes se sont regroupées dans le but de faire une cotisation spéciale pour payer les impôts de leurs maris. En effet, ceux-ci sont obligés de partir régulièrement du village pour s’approvisionner en denrées alimentaires que l’on ne trouve pas sur place, et le défaut du ticket d’impôts [justifiant que l’on s’est acquitté de l’impôt pour l’année en cours]leur procure de nombreux ennuis avec la police ou la gendarmerie locale.
Du social et du productif
"Dans le domaine productif, nous cherchons à diversifier les productions agricoles (soja, haricot, sorgho)au travers de champs collectifs. Nous avons commencé un petit élevage (chèvres et moutons). L’argent des produits est alors mis dans une caisse commune. Nous apprenons à fabriquer et améliorer les produits locaux : savon, teinture, sirop pour lutter contre les petites maladies, huile d’arachide pressée à la main.
"Pour améliorer le travail des femmes, nous voulons équiper les antennes villageoises de moulins à mil. Deux moulins ont été mis en place en 1995.
"Tous les dimanches, nous assurons une heure de radio en langue locale.
"Nos activités sont donc nombreuses et en développement, et tout est conduit par des femmes.
"Dans la région, il existe d’autres groupements, d’hommes ou mixtes. Une fédération a été mise en place en septembre 1994. Elle regroupe à ce jour 61 groupements.
"Mon souhait est que le groupe participe à la vie du mouvement. Autrefois, c’était l’Etat qui faisait tout ; aujourd’hui, il se retire. Les ONG prennent le relais ; un jour, elles nous quitteront. Nous disons : «Il faut nous prendre en charge nous-mêmes, mais pour cela, nous devons faire de gros efforts d’alphabétisation»."
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Quand les femmes se mobilisent pour la paix, la citoyenneté, l’égalité des droits
Contact : Julienne Djakaou, Femmes et développement rural, B.P. 427, Maroua, Cameroun.
Articles et dossiers
Par l'organisation, les femmes sont reconnues et s'épanouissent in. La lettre du réseau GAO, 1995/04 (France), N°23
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