Le sud a t-il son mot à dire ?
05 / 2011
Les pays émergents, comme la Chine et l’Inde, affichent une croissance économique qui fait pâlir d’envie l’Europe et les Etats-Unis. Pourquoi ? Parce qu’ils ont su, au lendemain de la décolonisation, se protéger et développer leur économie mais aussi leurs savoirs scientifiques et techniques. Le monde a changé. Et si l’intelligence est aujourd’hui au Sud, que reste-t-il au Nord ?
Le développement du monde lors des 300 dernières années pourrait être résumé par la comparaison historique suivante. Au début du XVIIIe siècle, l’Europe, la Chine et l’Inde étaient également riches, se partageant chacune 23% du PIB mondial. En 1952,le ratio était passé à 28%, 5% et 4%, respectivement pour l’Europe, la Chine et l’Inde. En 2010, avec une croissance économique moyenne d’environ 10% par an, la Chine et l’Inde sont sur le point de laisser loin derrière elles l’Europe en terme de développement. On peut tirer de ce bref historique quelques conclusions évidentes. La distinction entre premier monde et tiers monde ou entre pays riches et pays pauvres date des années 1700 et résulte du colonialisme. Ce partage était, à l’origine, alimenté par l’«accumulation primitive», c’est-à dire le transfert forcé des richesses écologiques (or, argent, céréales, etc.) des colonies vers les pays colonisateurs. Le phénomène s’est accéléré avec le démantèlement des productions domestiques dans des pays comme la Chine et l’Inde, et par l’avènement de l’industrialisation en Europe. Les colonies pourvoyaient en matières premières et force de travail, tout en ouvrant des débouchés pour les produits finis. L’Europe, elle, disposait de la science, de la technologie et de la gestion de la production et des services. Une preuve flagrante en atteste. Sous la domination britannique, entre 1757 et 1947, on n’a observé aucune hausse du revenu par habitant en Inde. A contrario, en Grande-Bretagne, il a augmenté de 14% entre 1700 et 1760, de 34% entre 1760 et 1820 et de 100% entre 1820 et 1870.
Un protectionnisme salvateur
Les économies nationales chinoise et indienne ou celles d’autres pays émergents n’ont pas connu de changement drastique au moment de leur indépendance, dans les années 40. Pourtant, au cours des soixante dernières années, ces pays ont trouvé le chemin et repris la place qu’ils occupaient dans l’économie mondiale il y a 300 ans. Que s’est-il passé ? Tout d’abord, les pays émergents sont ceux qui ont résisté à la tentation –voire à la pression exercée par les pays industrialisés – d’abandonner leur production nationale pour devenir dépendants des importations du monde occidental. De fait, l’Inde et la Chine ont dès le départ élevé des barrières douanières strictes aux importations à grande échelle, ce qui a donné le souffle nécessaire à la production intérieure et permis aux capacités de production nationales de prendre racines. Les deux pays ont emprunté des chemins différents –maoïsme pour la Chine et économie mixte publique-privée pour l’Inde– mais tous deux ont investi massivement dans les infrastructures et dans le secteur énergétique par le biais du secteur public. La Chine s’est lancée dans la production très diversifiée de biens de consommation. L’Inde a opté pour le développement d’un système d’éducation haut de gamme dans le domaine des sciences et de l’ingénierie, en mettant l’accent sur la maîtrise de la langue anglaise. La Chine, tout en subvenant aux besoins de son vaste marché intérieur, a fait de l’exportation des biens de consommation à bas prix dans le monde entier le pivot de son économie. L’Inde a, au contraire, mis l’accent sur son capital humain et intellectuel pour s’imposer dans les domaines des services, des logiciels et de la gestion. Si la Chine est aujourd’hui l’«usine» du monde, l’Inde est devenue le «bureau» du monde.
Bon marché mais qualifiée
Ces deux approches sont toutefois basées sur l’ouverture de l’économie aux investissements étrangers et sur l’accueil d’unités de production de sociétés transnationales, attirées par les avantages comparatifs dont disposent ces pays dans la compétition internationale : une main d’œuvre qualifiée et relativement peu chère. Le facteur principal de l’émergence de ces pays a été la présence d’une force de travail abondante et qualifiée dans les domaines de l’ingénierie, de la science, des mathématiques, des logiciels, de la médecine et des soins médicaux, du management, du bâtiment, etc. Cette situation n’a été rendue possible que par des investissements publics dans l’éducation. Dans ces pays, les enfants de la classe moyenne sont nombreux à avoir accès à ce système éducatif. Les chiffres sont renversants surtout comparés à ceux des pays occidentaux : la classe moyenne indienne représente 500 millions de personnes, ce qui équivaut à la population totale des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest réunis. Et la classe moyenne chinoise est encore plus nombreuse. L’Europe et les États-Unis devraient-ils s’inquiéter de ces pays émergents? S’ils veulent conserver leur supériorité économique en maintenant ces pays dans la pauvreté, comme ils l’ont fait pendant la colonisation, alors oui, ils devraient être inquiets. Ces pays émergents sont sur le point d’être propulsés encore plus loin sur le chemin du développement, un élan qui sera d’autant plus fort que leur poids démographique est conséquent. Ce n’est donc pas étonnant que Barack Obama ne cesse de répéter que si les États-Unis n’améliorent pas leur système d’éducation, la Chine et l’Inde les dépasseront car ces pays forment déjà des professionnels très compétents.
L’Europe devrait sans doute avoir les mêmes inquiétudes.
Une prospérité inégale
Mais les pays émergents ont aussi leur faiblesse: leur prospérité économique croissante est inégalement répartie. La classe moyenne indienne, qui compte environ 500 millions de personnes, cohabite avec une classe défavorisée qui, elle, rassemble environ 800 millions de personnes. En Chine, la situation est similaire. Alors que les enfants des classes moyennes ont accès aux meilleures institutions scolaires qui sont payantes, un grand nombre d’enfants n’ont accès, au mieux, qu’à une éducation de piètre qualité, si toutefois ils ont la chance d’aller à l’école, étant donné que l’État n’investit pas suffisamment pour eux. Ces populations appauvries, qui ont dû abandonner leurs terres, qui n’ont aucun accès aux services sociaux de base, paient le prix fort pour satisfaire les besoins monstrueux d’une économie qui ne fait que les appauvrir encore davantage, ce qui conduit à des tensions Aujourd’hui, le caractère excluant de la croissance en Chine et en Inde pourrait être le facteur majeur qui viendrait enrailler leur potentiel économique, bien plus que l’hypothétique compétition des économies industrielles vétustes de l’Europe et des États-Unis. La présence d’une main d’œuvre nombreuse et qualifiée dans les pays émergents est une raison suffisante pour laisser supposer que la compétition à laquelle sont confrontés l’Europe et les États-Unis pourrait ne pas durer très longtemps.
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, Inde, Chine
Sciences et Démocratie : un mariage de raison ?
Sciences et démocratie, un mariage de raison, Altermondes, Hors-Série n°11, mai 2011.
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