Obnubilée par ses objectifs de développement économique, l’Inde poursuit aveuglément sa politique d’exploitation de ses richesses naturelles visant à alimenter la production industrielle et à attirer les investissements étrangers. Mais ces choix politiques se font au détriment des conditions de vie et des droits fondamentaux des populations tribales et de basses castes, toujours plus marginalisées.
La nouvelle politique minière nationale de 2008
En avril 2008, le Gouvernement indien dirigé par le Premier Ministre Manmohan Singh a publié un document dévoilant les nouvelles orientations de la Politique Minière Nationale (National Mineral Policy, NMP).
Cette politique prend acte de l’abondance des ressources minérales en Inde qu’elle considère comme un élément indispensable au développement des infrastructures et à l’industrie des biens d’équipement et de consommation du pays. L’accent est mis sur la prospection de minerais en utilisant les technologies les plus sophistiquées. Le document prévoit d’adapter la réglementation afin d’attirer les investissements privés directs et les multinationales du secteur minier, de faciliter les transferts de technologie et les investissements massifs et à risque (section 2.2).
Bien que le document reconnaisse l’impact inévitable de l’extraction minière sur l’environnement et notamment les forêts, la priorité est clairement donnée à l’exploitation minière pour le développement économique de l’Inde (section 2.3). En contrepartie, il annonce un plan de développement durable afin de préserver la biodiversité et l’environnement.
Mais dans le cadre du système de Sustainable Development Framework (Cadre de développement durable, section 7.10) auxquelles les entreprises doivent adhérer, celles-ci sont censées s’autoréguler via un mécanisme volontaire de responsabilité sociale des entreprises. Ce qui équivaut à de la poudre aux yeux puisque ce sont ces mêmes compagnies qui contrôlent le système de vérification des « performances » par des auditeurs privés. Elles n’ont donc à rendre de comptes à personne, surtout pas à l’État. En définitive, le Gouvernement indien propose là une privatisation de la régulation environnementale et sociale (Cf. Chandra BHUSHAN, « New mineral policy pushes privatization at people’s cost »).
Populations locales et environnement en danger
Parmi les principales conséquences de cette politique figurent la fragilisation des écosystèmes et la destruction de l’environnement et des conditions de vie des populations tribales (adivasis) ou de basses castes (dalit) qui vivent depuis des siècles sur les terres forestières du Centre de l’Inde recélant les principaux gisements de matières premières dont l’Inde regorge.
Car, contrairement à l’affirmation du Gouvernement indien selon laquelle l’extraction minière permettrait de développer économiquement les régions minières, on observe qu’après des décennies d’exploitation, 60 à 70% des cinquante districts produisant des minéraux font partie des 150 districts les plus pauvres de l’Inde (Cf. Shelley SAHA-SINHA, “India’s new mineral policy will usher in gloom for adivasis”).
Le choix d’utiliser des technologies modernes peu demandeuses en main d’œuvre non qualifiée exclut automatiquement la population locale. L’extraction minière utilise donc toutes les ressources locales (terre, eau, routes, forêts, infrastructures) excepté la main d’œuvre potentielle conduisant à l’exploitation de ces régions sans gain d’aucune sorte pour les habitants dont les moyens de subsistance sont par ailleurs détruits. On comprend mieux pourquoi la ceinture minière coïncide avec la fameuse « ceinture rouge » marquée par la présence forte et croissante des groupes maoïstes (cf. Valérie FERNANDO, « La politique de développement indienne aux prises avec le naxalisme »).
L’expérience montre par ailleurs que le relogement et la réhabilitation prévus par la National Rehabilitation and Resettlement Policy (section 7.11) ainsi que la responsabilité sociale des entreprises sont de vains mots. Ils se heurtent systématiquement à la corruption rampante, au pouvoir des lobbies politico-économiques dont la défense des intérêts n’inclut ni la protection de l’environnement ni le respect des droits des paysans auxquels ils confisquent les terres. Jusqu’à présent, à peine un quart des habitants déplacés dans le cadre de l’exploitation minière, dont 52% sont des tribaux, a été réhabilité (Cf. « Rich Lands, Poor people. Is sustainable Mining Possible ? », CSE, New Delhi, 2008). D’où la réticence et la résistance des habitants à céder leurs terres aux multinationales minières.
Le projet minier de Vedanta dans les collines de Niyamgiri
Le cas du projet minier de la multinationale Vedanta dans la région des Niyamgiri (Etat de l’Orissa) est emblématique des difficultés que pose cette stratégie néolibérale de développement économique. Mais on pourrait aussi bien citer, parmi tant d’autres, les exemples de Tata Steel au Chhattisgarh ou l’exploitation minière illégale ravageant la région de Bellary avec la complicité des autorités locales au Karnataka.
En Orissa, le Ministère de l’Environnement et des Forêts a dans un premier temps (décembre 2008) donné son accord de principe au projet de mine de bauxite dans les Niyamgiri, projet évalué à 40 milliards de roupies (650 millions d’Euros). Puis, en avril 2009, les autorités indiennes ont approuvé une joint venture entre Sterlite (filiale indienne de Vedanta Alumina Limited) et la compagnie d’État Orissa Mining Corporation (OMC). Ce projet prévoit l’extraction de la bauxite pour les 25 prochaines années via une mine à ciel ouvert dans les collines de Niyamgiri, dans l’État de l’Orissa qui détient 50% des réserves indiennes de bauxite. Il a d’emblée suscité l’opposition des 8.000 membres de la tribu des Dongria Kondh qui vivent dans cette région.
Vedanta Alumina Limited (VAL) est une compagnie minière britannique dirigée par Anil Agarwal, milliardaire indien basé au Royaume Uni. VAL a d’ores et déjà construit et mis en service en août 2007 une raffinerie d’aluminium à Lanjigarh, située au pied des Niyamgiri. Le projet de raffinerie et celui de la mine constituant à l’origine un seul et même projet, il est prévu que la bauxite devant être extraite de cette montagne dans le cadre du projet minier soit acheminée vers cette raffinerie.
L’organisation internationale de défense des droits de l’Homme Amnesty International a publié un rapport daté du 8 février 2010 dénonçant le non respect des réglementations nationales et internationales en matière d’exploitation minière et énumérant les nombreuses violations des droits de l’Homme commises dans le cadre du projet de mine et d’expansion de la raffinerie. Parmi elles, l’absence d’information et de concertation avec la population locale : jamais le consentement éclairé des habitants n’a été obtenu, comme cela est pourtant prévu par la loi.
Par ailleurs, l’absence de traitement des déchets issus de la raffinerie a déjà entraîné une pollution majeure de l’air, de l’eau et des sols de la région, mettant en danger la santé de plus de 5.000 personnes appartenant aux populations tribales et intouchables. Les conditions de vie de la population locale se sont nettement détériorées avec l’apparition de maladies de peau, d’allergies et de maladies affectant le bétail et les cultures liées à la contamination de l’eau de la rivière Vamsadhara. Enfin, pour construire la raffinerie, les terres de 12 villages ont été acquises : 118 familles ont été déplacées tandis que 1.220 familles ont dû vendre leurs terres agricoles.
On peut sans crainte de se tromper penser que, de manière similaire, le projet minier provoquera la destruction de la montagne et, partant, celle des conditions d’existence des Dongria Kondh. L’extraction de la bauxite, qui retient l’eau dans la montagne, aura pour conséquence l’assèchement des cours d’eau et la disparition de la forêt. Alors que le mode de vie et la culture des Dongria Kondh sont centrés sur la montagne et la forêt dont ils tirent toutes leurs ressources pour vivre en quasi autarcie, ils risquent fort de disparaître en tant que peuple autochtone.
Pourtant, la justice indienne par la voix de la Cour Suprême dans son arrêt du 7 août 2008 a donné son aval à ce nouveau projet d’extraction minière, en dépit de la protection dont les tribus et leur environnement sont censées bénéficier dans le cadre de la Constitution indienne et des lois nationales.
Mobilisation internationale en faveur des villageois
Face à l’adversité, la mobilisation et la détermination des habitants ne faiblissent pas. Ainsi une grande marche nommée « padyatra » d’une semaine a été organisée par le “Nyamgiri Surakhya Samiti” (Comité de défense des Nyamgiri) en octobre 2009 afin d’alerter l’opinion publique sur le projet d’extraction de bauxite et sur la situation des cent douze villages tribaux et dalit qui en seront affectés. Les manifestants soulignent que leurs villages souffrent déjà de la négligence du Gouvernement : absence d’eau potable, de services de santé et manque d’écoles. La mine leur ôtera en plus leurs sources de subsistance. Ils exigent donc l’annulation du projet et demandent des moyens pour monter de petits projets d’irrigation pour leurs cultures à partir des nombreux cours d’eau des Niyamgiri, ainsi que la reconstruction d’une route abîmée par les camions de Vedanta. Ne pouvant pas faire appel d’une décision de la Cour Suprême, ils envisagent également de porter plainte pour violation de leurs droits culturels et religieux.
Une campagne internationale de défense du peuple des Dongria Kondh a été lancée avec le soutien notamment des organisations Survival International et Amnesty International. Une équipe d’experts du Gouvernement indien vient également de publier un rapport confirmant les violations du droit commises par Vedanta en Orissa et les conséquences désastreuses qu’auraient ses activités minières pour les Dongria Kondh. Il recommande que les activités de Vedanta et de ses partenaires ne soient pas étendues. La décision du Ministère de l’Environnement et des Forêts de délivrer ou non la dernière autorisation (la « forest clearance ») avant le début des travaux miniers est toujours en attente.
Notons aussi que les actionnaires Norway Pension Fund et l’Eglise d’Angleterre ont décidé de se retirer du projet pour des raisons éthiques et de non respect des droits de l’Homme. Ne représentant qu’une faible part du capital du projet, leur geste est avant tout symbolique. Mais on peut espérer que l’accumulation, à divers niveaux, des protestations et rapports accablants, en Inde et à l’étranger, porteront leur fruits pour sauver la population Dongria Kondh et les Niyamgiri de la disparition programmée.
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, Inde
A lire :
En français:
Amnesty International, Document - Inde. Cette terre est à nous. Une mine menace une communauté indigène en Inde, Juillet 2009
Survival International, Les Dongria Kondh. Une compagnie minière britannique menace une montagne sacrée
En anglais :
Amnesty International, Rapport “Don’t mine us out of existence : Bauxite mine and refinery devastate lives in India”, 9 février 2010
Chandra BHUSHAN, « New mineral policy pushes privatization at people’s cost », in Down To Earth, 31 Mai 2008
Shelley SAHA-SINHA, « India’s new mineral policy will usher in gloom for adivasis », in Info Change, janvier 2009
Centre for Science and Environment, « Rich Lands, Poor people. Is sustainable Mining Possible ? », New Delhi, 2008
Living Farms, « The Dongria Kondh and Vedanta Mining Company »
Living Farms, « Endangered tribals up against the terror of Vedanta », juillet 2009
Document du Gouvernement indien sur la Politique minière nationale : Government of India, Ministry of Mines, “National Mineral Policy (for non-fuel and non-coal minerals)”, 2008
Texte original
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