Les droits des paysans - 2
11 / 2009
Pour La Vía Campesina, le système actuel de protection des droits humains souffre de deux lacunes majeures, qui l’empêche de protéger efficacement les droits des paysans. Premièrement, il ne reconnaît pas l’ensemble des droits des paysans ; deuxièmement, il est dénué de toute effectivité, puisque même les droits qu’il consacre continuent à être violés en toute impunité. Nous évaluerons ici la pertinence de la première critique de la Vía Campesina, en décrivant la reconnaissance actuelle des droits des paysans en droit international des droits de l’homme.
Les droits des paysans ne font pas l’objet d’une protection spécifique en droit international. Mais les paysans et les paysannes, comme tous les êtres humains, bénéficient de la protection des droits consacrés dans les instruments généraux de protection des droits de l’homme, en particulier le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) (1) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) (2). En plus de cette protection générale, les femmes paysannes et les paysans indigènes bénéficient également de la protection accordée en particulier par la Convention sur l’élimination de toute discrimination à l’égard des femmes et par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (3).
1. Les droits économiques, sociaux et culturels
De nombreux droits économiques, sociaux et culturels consacrés dans le PIDESC ont été interprétés par les experts de l’ONU comme offrant une protection importante des droits des paysans. Parmi ceux-ci, les principaux sont le droit à l’alimentation, le droit au logement et le droit à la santé.
Le droit à l’alimentation
Le droit à l’alimentation est consacré à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 11 du PIDESC (1). Dans plusieurs documents de référence, il a été interprété comme le droit de toute personne de pouvoir s’alimenter par ses propres moyens, dans la dignité (2). Il a également été défini comme « le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique et physique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne » (3).
Selon les directives sur le droit à l’alimentation, adoptées à l’unanimité par les États membres de la FAO en novembre 2004, le droit à l’alimentation protège le droit des paysans et des paysannes d’avoir accès aux ressources productives ou aux moyens de production, y compris la terre, l’eau, les semences, les microcrédits, les forêts, la pêche et le bétail (4). Dans les mêmes directives, les États ont recommandé ce qui suit : « Il convient que les États mettent en œuvre des politiques globales, non discriminatoires et rationnelles dans les domaines de l’économie, de l’agriculture, des pêches, des forêts, de l’utilisation des terres et, selon les besoins, de la réforme agraire, permettant aux agriculteurs, pêcheurs, forestiers et autres producteurs d’aliments, notamment aux femmes, de tirer un juste revenu de leur travail, de leur capital et de leur gestion, et encouragent la conservation et la gestion durable des ressources naturelles, y compris dans les zones marginales. » (5)
Les États, à l’unanimité, ont également interprété leurs obligations de respecter, de protéger et de réaliser le droit à l’alimentation de la manière suivante : « Il convient que les États respectent et protègent les droits des particuliers concernant des ressources telles que la terre, l’eau, les forêts, les pêches et le bétail et ce, sans aucune discrimination. Le cas échéant, il convient que les États mettent en œuvre, dans le respect de leurs obligations en matière de droits de l’homme et des principes du droit, des réformes foncières et autres politiques de réforme, en vue de garantir un accès rationnel et équitable à la terre et de renforcer la croissance au bénéfice des populations démunies. (…) Il convient également que les États assurent aux femmes un accès sûr et égal aux ressources productives telles que le crédit, la terre, l’eau et les technologies adaptées, ainsi qu’un contrôle sur ces ressources et la jouissance des bénéfices en découlant. » (6)
Pour compléter cette interprétation du droit à l’alimentation, qui offre déjà une protection importante des droits des paysans, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a indiqué qu’en vertu du PIDESC, les États membres avaient l’obligation d’assurer un accès durable aux ressources en eau pour l’agriculture afin de réaliser le droit à l’alimentation, et qu’ils devaient assurer que les agriculteurs défavorisés et marginalisés, y compris les femmes, aient accès, dans des conditions équitables, à l’eau et aux systèmes de gestion de l’eau, notamment aux techniques durables de récupération des eaux de pluie et d’irrigation (7).
Le Comité a également voulu protéger l’accès aux semences des familles paysannes dans plusieurs de ses observations finales. Dans ses observations finales adressées à l’Inde, il a par exemple recommandé que l’Etat « subventionne les agriculteurs pour leur permettre d’acheter des semences génériques réutilisables en vue de mettre un terme à leur dépendance à l’égard des sociétés multinationales » (8).
Le droit au logement
Le droit au logement, comme le droit à l’alimentation, a été consacré à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 11 du PIDESC (9). Dans son observation générale 4, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a précisé qu’il ne fallait pas interpréter le droit au logement dans un sens étroit ou restreint, qui l’assimile au simple fait d’avoir un toit au-dessus de sa tête. Au contraire, il faut l’interpréter comme « le droit à un lieu où l’on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité » (10). Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit au logement l’a défini ainsi : « le droit fondamental de la personne humaine à un logement convenable est le droit de tout homme, femme, jeune et enfant d’obtenir et de conserver un logement sûr dans une communauté où il puisse vivre en paix et dans la dignité. » (11)
En vertu du PIDESC, toute personne – y compris les paysans et les paysannes – a droit à un logement qui garantit en tout temps les éléments minimaux suivants :
la sécurité légale de l’occupation, y compris une protection légale contre l’expulsion ;
la proximité des services, matériaux, équipements et infrastructures nécessaires, y compris un accès à de l’eau potable et à des services d’assainissement ;
le coût abordable, y compris pour les plus pauvres à travers des aides d’allocations pour le logement et une protection contre des loyers excessifs ;
l’habitabilité, y compris une protection contre le froid, l’humidité, la chaleur, la pluie, le vent et les maladies ;
la facilité d’accès pour les groupes défavorisés, y compris les personnes âgées, les enfants, les handicapés physiques et les victimes de catastrophes naturelles ;
un emplacement adéquat, c’est-à-dire éloigné des sources de pollution mais à proximité des services de santé et des établissements scolaires (12).
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a insisté dans son travail sur l’interdiction des expulsions forcées, définies comme « l’éviction permanente ou temporaire, contre leur volonté et sans qu’une protection juridique ou autre appropriée ait été assurée, de personnes, de familles ou de communautés de leurs foyers ou des terres qu’elles occupent » (13). Ces expulsions forcées sont prima facie (de prime abord) incompatibles avec les obligations du PIDESC et « quel que soit le régime d’occupation, chaque personne a droit à un certain degré de sécurité qui garantit la protection légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres menaces » (14).
Le Rapporteur spécial sur le droit au logement a également mis l’accent sur l’interdiction des expulsions forcées dans plusieurs de ses rapports et il a élaboré des Principes directeurs sur les expulsions et les déplacements dus à des projets de développement (15). Selon ces principes directeurs, il y a par exemple violation du droit au logement quand un gouvernement évacue des familles paysannes de leurs terres ou procède à des déplacements forcés, sans garantir que les familles touchées ont été consultées de manière adéquate, ont eu accès à des recours disponibles et ont été relogées dans des conditions équivalentes ou ont obtenu une juste compensation.
Le droit à la santé
Le droit à la santé a été consacré à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 12 du PIDESC (16). Dans son observation générale 14, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels l’a défini comme « le droit de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint, lui permettant de vivre dans la dignité » (17).
Ce droit comprend le droit à la prestation de soins de santé adéquats, mais aussi « les facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’accès à l’eau salubre et potable et à des moyens adéquats d’assainissement, l’accès à une quantité suffisante d’aliments sains, la nutrition et le logement, l’hygiène du travail et du milieu et l’accès à l’éducation et à l’information relatives à la santé, notamment la santé sexuelle et génésique. Un autre aspect important est la participation de la population à la prise de toutes les décisions en matière de santé aux niveaux communautaire, national et international » (18).
En vertu du PIDESC, les États sont tenus de veiller à ce que les services médicaux et les facteurs fondamentaux déterminants de la santé soient accessibles à tous, y compris dans les zones rurales (19). Au minimum et en tout temps, les États parties au PIDESC ont l’obligation fondamentale d’assurer les éléments suivants :
le droit d’avoir accès aux équipements, produits et services sanitaires sans discrimination aucune, notamment pour les groupes vulnérables ou marginalisés ;
l’accès à une alimentation essentielle minimale qui soit suffisante et sûre sur le plan nutritionnel, pour libérer chacun de la faim ;
l’accès à des moyens élémentaires d’hébergement, de logement et d’assainissement et à un approvisionnement suffisant en eau salubre et potable ;
les médicaments essentiels, tels qu’ils sont définis périodiquement dans le cadre du Programme d’action de l’OMS pour les médicaments essentiels. (20)
2. Les droits civils et politiques
Les paysans et les paysannes, comme tous les êtres humains, sont également protégés par les droits civils et politiques consacrés dans le PIDCP. En particulier, le droit à la vie, le droit de ne pas être détenu de façon arbitraire, le droit à un procès équitable, la liberté d’expression et la liberté de réunion et d’association sont des droits fondamentaux de tous les paysans et paysannes.
Le Comité des droits de l’homme, qui surveille le respect du PIDCP, a insisté sur le caractère fondamental du droit à la vie dans son observation générale 6. Pour le Comité des droits de l’homme : « La protection contre la privation arbitraire de la vie, qui est expressément requise dans la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 6, est d’une importance capitale. Le Comité considère que les États parties doivent prendre des mesures, non seulement pour prévenir et réprimer les actes criminels qui entraînent la privation de la vie, mais également pour empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire. La privation de la vie par les autorités de l’État est une question extrêmement grave. » (21)
En vertu du PIDCP, toute personne a également le droit de ne pas faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire et le droit d’avoir accès à un juge et un procès équitable si elle est arrêtée (articles 9 et 14). Toute personne privée de sa liberté a le droit d’être traitée avec humanité et respect (article 10). Toute personne a également le droit à la liberté d’expression et le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts, et le droit de se réunir pacifiquement est reconnu (articles 19, 21 et 22).
Les détentions arbitraires et les exécutions extrajudiciaires des leaders paysans sont donc des violations graves du PIDCP, tout comme les entraves à la liberté d’expression, à la liberté d’association et au droit de réunion pacifique des mouvements paysans.
3. Les droits des femmes et des populations autochtones
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a notamment pour objectif de mettre fin à la discrimination contre les femmes vivant en milieu rural (22).
L’article 14 de cette Convention protège spécifiquement les droits des femmes vivant dans les zones rurales contre la discrimination dans l’accès aux ressources, y compris la terre, et dans l’accès au travail, au logement et aux programmes de sécurité sociale, de santé et d’éducation. Selon cet article : « 1. Les États parties tiennent compte des problèmes particuliers qui se posent aux femmes rurales et du rôle important que ces femmes jouent dans la survie économique de leurs familles, notamment par leur travail dans les secteurs non monétaires de l’économie, et prennent toutes les mesures appropriées pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention aux femmes des zones rurales. 2. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans les zones rurales afin d’assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, leur participation au développement rural et à ses avantages et, en particulier, ils leur assurent le droit : a) De participer pleinement à l’élaboration et à l’exécution des plans de développement à tous les échelons ; b) D’avoir accès aux services adéquats dans le domaine de la santé, y compris aux informations, conseils et services en matière de planification de la famille ; c) De bénéficier directement des programmes de sécurité sociale ; d) De recevoir tout type de formation et d’éducation, scolaires ou non, y compris en matière d’alphabétisation fonctionnelle, et de pouvoir bénéficier de tous les services communautaires et de vulgarisation, notamment pour accroître leurs compétences techniques ; e) D’organiser des groupes d’entraide et des coopératives afin de permettre l’égalité de chances sur le plan économique, qu’il s’agisse de travail salarié ou de travail indépendant ; f) De participer à toutes les activités de la communauté ; g) D’avoir accès au crédit et aux prêts agricoles, ainsi qu’aux services de commercialisation et aux technologies appropriées, et de recevoir un traitement égal dans les réformes foncières et agraires et dans les projets d’aménagement rural ; h) De bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l’assainissement, l’approvisionnement en électricité et en eau, les transports et les communications ».
Dans plusieurs observations finales, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui surveille l’application de la Convention par les États parties, a insisté pour que les femmes rurales soient visées en priorité par les programmes de développement et que l’Etat fasse appel, s’il en a besoin, à la coopération et à l’assistance internationales (23). Dans d’autres observations finales, il a recommandé à l’Etat partie de protéger l’accès à la terre des femmes contre les activités d’entreprises privées ou contre les déplacements forcés (24). Dans ses observations finales adressées à l’Inde, il a par exemple fait la recommandation suivante : « Le Comité exhorte l’État partie à étudier l’incidence des très gros projets sur les femmes tribales et rurales et à prendre des mesures de protection pour empêcher qu’elles soient déplacées et que leurs droits fondamentaux soient violés. Il l’exhorte également à veiller à ce que les terres inutilisées données aux femmes rurales et tribales déplacées soient cultivables. Il recommande également que des efforts soient faits afin de garantir aux femmes tribales et rurales le droit d’hériter et de posséder des terres et des biens » (25).
La Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Comité d’experts qu’elle a créé offrent donc une protection importante des droits des paysannes.
Les populations paysannes autochtones souffrent peut-être encore plus que les autres de la non-reconnaissance de leurs droits sur leurs terres et leurs ressources et de l’appropriation de celles-ci. Jusqu’à récemment, le seul instrument international leur offrant une protection spécifique était la Convention n°169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989, ratifiée par 20 États. Cette Convention de l’OIT protège un bon nombre de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Les articles 13 à 17, en particulier, consacrent les droits des populations autochtones à leurs terres et à leurs territoires et leur droit de participer à l’utilisation, à la gestion et à la conservation de ces ressources. Ils consacrent également les droits des populations autochtones à la participation et à la consultation avant toute utilisation des ressources situées sur leurs terres, et l’interdiction de les déplacer de leurs terres et territoires.
L’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par le Conseil des droits de l’homme en juin 2006, et par l’Assemblée générale en décembre 2008, a permis d’améliorer encore la protection des droits des populations paysannes autochtones, en allant plus loin que la Convention de l’OIT (26). La Déclaration commence par reconnaître que les peuples autochtones ont le droit de jouir pleinement, soit collectivement soit individuellement, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales reconnus dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international des droits de l’homme. Puis elle va encore plus loin, en reconnaissant également le droit des populations autochtones à l’autodétermination et leurs droits sur leurs terres et ressources. La Déclaration constate les injustices commises pendant la colonisation et évoque les menaces que pose actuellement la mondialisation, elle protège les savoirs traditionnels, la biodiversité et les ressources génétiques et impose des limites aux activités que les tiers peuvent mener sur les territoires des communautés autochtones.
L’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones représente donc une avancée considérable pour la protection des droits des populations paysannes autochtones, qui va bien au-delà des droits consacrés dans le PIDCP et dans le PIDESC. Le fait que la Déclaration ait déjà été intégrée dans le droit interne de certains États, comme en Bolivie, consacre ces droits au niveau national et devrait permettre aux populations autochtones de les revendiquer devant les tribunaux en cas de violations.
paysan, communauté paysanne, droits économiques, sociaux et culturels, respect des droits humains, droit international
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