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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Y aura-t-il des guerres pour l’eau ?

La seule solution à long terme c’est de récolter l’eau de pluie et d’aménager les bassins versants

Manish TIWARI

10 / 2005

Voici un épisode qui devrait faire réfléchir les sceptiques qui ne croient pas qu’au cours du prochain siècle les hommes se feront la guerre pour de l’eau. En 1999 les pluies de mousson ont été mauvaises dans plusieurs régions du Gujarat et du Madhya Pradesh, deux Etats du nord-ouest de l’Inde. La sécheresse a déjà provoqué des manifestations violentes et des morts. Le 14 décembre à Falla, un village situé à 28 km de la ville de Jamnagar au Gujarat, la police a ouvert le feu sur un rassemblement de 300 personnes venues des campagnes environnantes pour protester contre une décision des autorités qui réservait l’eau du barrage voisin de Kankavati à la ville de Jamnagar. Il y a eu trois morts et vingt blessés. De toute évidence les gens des villes passent avant les ruraux. Ce barrage est actuellement le seul point d’eau pour une soixantaine de villages, et il est presque vide. Cette année, dans la région, la pluviométrie a été de 148 mm seulement alors qu’elle atteint habituellement 550 mm. D’autre part, les gens ont signalé que l’eau de la nappe phréatique est saumâtre, sans doute parce qu’on a trop tiré sur les puits.

Le plus inquiétant pour le Saurashtra (la région du soleil) c’est qu’il faut encore tenir quelques mois avant l’arrivée du printemps, et personne ne sait ce que vont faire les autorités quand on sera en pleine pénurie d’eau à la fin de l’hiver. Il faut déjà approvisionner quatorze villages avec des camions citernes. A l’appel d’une organisation d’agriculteurs (BKS) qui avait décidé de se joindre au mouvement une dizaine de jours après le début d’une grève de la faim par des habitants de Falla, plus de 1 500 personnes se sont rassemblées dans cette localité, le 20 décembre, pour dénoncer cette fois le comportement de la police.

Le BKS est affilié au BJP qui est le parti au pouvoir à la fois à Delhi et au Gujarat. Les dirigeants du BKS ont évidemment reproché aux autorités du Gujarat de se préoccuper avant tout des gens de la ville et de laisser tomber les ruraux. Depuis les incidents mortels du 14 décembre à Falla, celles-ci sont d’ailleurs revenues sur leur décision. « Cette année les gens réclament de l’eau non pas pour arroser leurs parcelles mais bien pour étancher leur soif. Nous survivons par la grâce de Dieu. Si les pluies sont encore mauvaises cette année, il faudra partir d’ici » dit un habitant de Falla. Et le président de la branche locale du BKS ajoute : « On a vu passer plusieurs gouvernements et plusieurs projets d’adduction d’eau. Ce qui est resté c’est le manque d’eau, et la situation s’aggrave. »

Opportunisme politique

Les habitants de la région et l’administration du district font porter la responsabilité des événements aux politiciens et à leurs conflits de personnalité, les uns étant liés au milieu urbain et les autres au monde rural. « Eux ils pensent aux prochaines élections ; mais moi j’ai perdu un fils de 21 ans » , pleure Raghavjii Parshottam. Et un fonctionnaire territorial de haut rang confie qu’il ne reçoit aucune instruction précise des autorités du Gujarat pour faire face à la situation. Il n’existe pas de volonté politique pour s’attaquer au problème de l’eau. Et en mars et avril il y aura probablement encore plus de manifestations violentes. Un notable du parti du Congrès du district voisin de Rajkot affirme : « A cette date, dans tout le Saurashtra, on se battra pour de l’eau. En ce moment les choses sont relativement calmes parce que le BKS, qui a été au cœur des événements de Falla, est affilié au BJP. Entre Wankaner et Rajkot, les gens ont crevé les conduites qui passent dans leur village. » Cette affirmation est démentie par un ingénieur de la ville qui précise que ses services effectuent des forages jusqu’à 500 m dans certains bassins versants et ils achètent aussi de l’eau à des propriétaires de puits qui donnent encore. La crise actuelle a fait comprendre aux gens que la seule solution à long terme c’est de récolter l’eau de pluie et d’aménager les bassins versants. Le président national du BKS, le mouvement des agriculteurs, reprend cette proposition à son compte et lance son nouveau slogan : « Récoltons l’eau de pluie là où elle tombe !  » .

C’est l’histoire de la cigale et de la fourmi. Dans le lit de la rivière Sakhi, près de la ville de Dahod, des femmes et des enfants sont assis au bord des trous en attendant qu’au fond suinte le liquide. «Il faut au moins une heure pour remplir une cruche, mais c’est la seule façon de récupérer un peu d’eau», se lamente Lasom Bhilmad, une maman de 48 ans d’une ethnie tribale qui vit au village de Rentia. Quand on regarde cette femme dans la rivière à sec avec autour d’elle ses quatre enfants, on comprend pourquoi les familles de la région répugnent à marier leurs filles dans un village où l’eau est un problème (même si le jeune homme fait par ailleurs l’affaire), dans un village qui force ses habitants à partir au goutte à goutte vers des pâturages plus verts et ses ménagères à racler une eau boueuse. L’eau est synonyme de prospérité et là où elle se fait rare on est pauvre, même si l’on possède quelques biens. A l’heure qu’il est, il y a une multitude de pauvres dans des centaines de villages du Gujarat.

On est ici au Saurahstra, une péninsule massive baignée par la Mer d’Oman et peuplée de 12 millions d’habitants. Environ 65 pour cent des terres sont situées en dessous du niveau de la mer. Fin 1999 les réservoirs ne se sont remplis qu’à 9 pour cent de leur capacité. A Rajkot, chef-lieu de district, l’eau coule dans les robinets une demie heure par jour seulement. Là où il n’y a pas de conduites, il faut apporter l’eau par camions. Dans certains secteurs il n’est tombé que 133 mm de pluie. Ce sont les cultures qui ont été touchées en premier. La récolte de kharif (cultures de saison humide, récoltées en automne) a été mauvaise (- 60 %), et ce sera sans doute pire (- 90 %) pour la récolte de rabi (cultures de saison sèche, récoltées au printemps). Il y a une dizaine d’années la région ne manquait pas d’eau. Mais on a trop pompé dans la nappe phréatique. Au Saurashtra et dans la région voisine de Kachchh, il y avait 25 854 puits en 1961, 425 000 en 1998. Dans le même temps la nappe phréatique qui était à une douzaine de mètres de profondeur est descendue à moins 200 ou 300 m. Dans certains endroits il y a des infiltrations d’eau saumâtre.

Or à 25 ou 30 km de Rentia, tous les puits et toutes les pompes à bras de Thunthi Kankasiya et de Mahudi donnent de l’eau à volonté. A côté passe un ruisseau saisonnier où l’on peut également puiser pour irriguer les parcelles. Dans le district de Dahot il existe une association connue sous le nom de Sadguru (officiellement Sadguru Water and Development Foundation). Elle a aidé les habitants à construire une série de petits barrages en béton pour retenir les eaux de pluie et favoriser la recharge des puits. Plus à l’ouest, à une vingtaine de kilomètres de Rajkot, autre chef-lieu de district, se trouve le village de Raj-Samadhiyala. A lui seul c’est la preuve qu’on peut renverser le cours des choses si on prend soin de l’environnement. Il y a quinze ans 75 pour cent des puits étaient à sec, et ici aussi les garçons ne pouvaient trouver fille à marier. D’ailleurs quatre ou cinq ans plus tard le village a été classé en zone désertique et intégré au programme de réhabilitation des zones arides lancé par le gouvernement du Gujarat. En 1987 sous l’impulsion du sarpanch (= maire) du panchayat (= conseil municipal), les habitants ont décidé d’aménager leur bassin versant. Entre 1986 et 1988 douze retenues ont été construites et des milliers d’arbres ont été plantés, des tranchées ont été creusées, des terrasses aménagées. En 1995-1996 les autorités de Gujarat en ont fait un projet de bassin officiel et l’Agence pour le développement rural du district a apporté 1,7 millions de roupies (238 000 FF).

Aujourd’hui ici on ne manque pas d’eau. Les cultivateurs ont semé du coton, du blé, des arachides et ils font pousser aussi des légumes. En 1999 il n’est tombé que 316 mm de pluie mais dans la plupart des puits l’eau est à 3 m de profondeur, parfois même 1,5. On compte 280 puits, 5 pompes à bras et 35 forages en service, et pendant plus de dix mois de l’année il y a de l’eau en surface. Depuis 1988 on est passé de 1 600 à 51 000 arbres. Les cultivateurs sont maintenant en train de mettre en valeur des sols en friche.

Leurs revenus ont évidemment augmenté. Chaque année le village vend pour 50 millions de Rs de légumes (700 000 FF). « En 1990, lorsqu’on manquait d’eau, la ferme de mon père lui rapportait 150 000 Rs (21 000 FF). Aujourd’hui cette même terre me rapporte 1 million de Rs (140 000FF)", dit le sarpanch. Et un autre cultivateur ajoute : «Je tirais entre 5 000 et 10 000 Rs (700-1 400 FF) de mes 6,5 hectares. Maintenant ils me rapportent entre 100 000 et 150 000 Rs (14 000-21 000 FF). Et malgré la forte sécheresse je suis sûr de faire au moins 50 000 Rs (7 000 FF)». Selon le sarpanch, l’eau a non seulement apporté l’aisance mais aussi un bien-être social évident. Le village ne connaît ni délit ni autre affaire de police, et les gens en oublient même de fermer leur porte à clé. Avant 1988, dans la plupart des familles on allait chercher du travail ailleurs. Cette émigration a cessé. Aujourd’hui seulement une cinquantaine de ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté, alors qu’on en recensait 138 en 1988. Les autorités ont attribué le prix du meilleur panchayat du Gujarat , d’une valeur de 25 000 Rs (3 500 FF), à celui de Raj-Samadhiyala.

Ce qui a été réalisé par ce village se situe dans la droite ligne des pratiques traditionnelles du pays qu’on a oubliées. Il s’agit de combiner aujourd’hui le bon sens du passé avec le meilleur de la science et des techniques modernes. Si on ne s’attelle pas à cette tâche, une multitude de femmes devront, à l’exemple de Lasan Bhilwadaller creuser des trous au fond d’un ruisseau asséché pour remplir une petite cruche. Ou bien on récoltera l’eau du ciel, ou bien les gens se battront entre eux pour de l’eau.

Mots-clés

sécheresse, accès à l’eau, conflit de l’eau, rareté des ressources naturelles, politique de l’eau, développement autonome


, Inde, Gujarat

dossier

Environnement et pauvreté

Source

Texte traduit en français par Gildas Le Bihan et publié dans la revue Notre Terre n°3 - avril 2000

Texte d’origine en anglais publié dans la revue Down To Earth : TIWARI Manish, Standing the test of drought. Down To Earth vol. 8 n°16, Center for Science and Environment, 15 janvier 2000 (INDE), p. 30-45

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