Un exemple de conformisme dans la recherche scientifique: NON à la mémoire de l’eau
07 / 1994
Le conformisme n’a pas de borne, même en matière de recherche scientifique. Malgré la rigueur inhabituelle -dépassant les normes d’usage en recherche biologique- avec laquelle les travaux sur les hautes dilutions de Jacques Benveniste, directeur de l’unité 200 de l’INSERM, ont été et continuent à être reproduits, contrôlés et confirmés, ces travaux ne cessent de susciter de violentes réactions essentiellement passionnelles et quelque peu étonnantes de la part de chercheurs.
Le témoignage de Michel Schiff, chargé de recherches à l’INSERM, qui a par ailleurs fait paraître un ouvrage sur la question, "L’Homme occulté" (Editions ouvrières), nous apporte, lors d’une conférence, quelques informations sur "l’affaire Benveniste". Etudiant la décoloration des basophiles, un chercheur confirmé observe un jour un effet biologique sans présence apparente de molécules actives, que les médias appelèrent "mémoire de l’eau". A une exception près, la circulaire envoyée à ce sujet aux autres directeurs de recherche n’a provoqué aucune curiosité. On dit Benveniste fou, un généticien américain opposa comme une évidence: "mais enfin, ce sont des types qui croient à l’homéopathie!", on avança que l’eau devait dans cette affaire "jouer un rôle puissamment mythique"... Bref, on suscita la moquerie devant une observation qu’on voulut faire passer pour ridicule, escamotant ainsi le débat scientifique. Pire: alors que le comité scientifique de la revue Nature avait d’abord autorisé une publication sur ces travaux, il organisa à posteriori, avec l’aide de chercheurs (de son choix)un simulacre de tentative de reproduction de l’expérience de Benveniste. Mais celle-ci, réalisée d’ailleurs dans la précipitation, ne porta pas sur le phénomène étudié par Benveniste (la décoloration des basophiles), mais sur l’émission d’histamine!
De son côté, l’équipe de chercheurs de l’unité 200 refit les expériences de dilution (que l’on a erronément assimilées à l’homéopathie alors qu’il s’agit de recherche fondamentale), sous le contrôle d’Alfred Spira, directeur d’une autre unité, pour, au bout de 3 mois, confirmer, et largement, les premiers résultats. Mais qu’importe! Le compte-rendu de cette confirmation fut refusé par les deux plus grandes revues Nature et Science... et publié par l’Académie des Sciences avec une note éditoriale discréditant l’expérience!
Benveniste continua ses recherches sur les propriétés de l’eau et en particulier la "mémoire magnétique" des informations biologiques en utilisant cette fois des coeurs de cobayes: ce qui lui valut la réaction suivante de la part d’un mandarin: "on ne change pas la physique avec un battement de coeur"! Ces derniers travaux confirmaient pourtant les précédents.
Ce n’est pas la première fois que la science déclare "impossibles" des phénomènes pour lesquels elle manque encore des instruments conceptuels nécessaires à leur compréhension. Ainsi, la construction du premier laser intervint alors que le programme de recherche en était abandonné, le phénomène physique sur lequel repose cette construction ayant été déclaré "contraire aux lois de la thermodynamique". On avait juste oublié l’existence de la mécanique quantique! L’article décrivant ce premier laser fut rejeté par la revue Science...
Pour M. Schiff, qui a étudié l’histoire des sciences et observé sur maints sujets les réactions (de frein)du monde scientifique, il s’agit -rien de moins- d’"aliénation des chercheurs" et de "cécité scientifique". Pour lui, la "fragilité" de la vérité scientifique tient à la conjonction de deux paramètres: le fait que la plupart des découvertes sont faites dans des conditions à la limite des possibilités techniques du moment, et... le conformisme des chercheurs. Le fait scientifique résulte de l’interaction de trois partenaires: Dame Nature, le chercheur qui lui a posé la bonne question au bon moment et l’environnement scientifique. Il est regrettable que les défaillances du troisième partenaire retentissent sur le second, que le manque de curiosité et d’autonomie, engendré par un système et intériorisé par les chercheurs, entrave la capacité de l’un d’eux à poser cette "bonne question". Il semble que ce soit auprès des plus fondamentalistes de nos scientifiques -les physiciens- que Benveniste trouvera le plus d’ouverture, tant d’esprit que technique.
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Alors, avec Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, interrogeons-nous: "à qui appartient la science?". Détectives, nous dirions: à qui "profite" la science? Aux scientifiques? Au pouvoir politique? Au complexe économique? A ceux qui ont intérêt à plaire aux puissants du moment? Et qui ont peur d’admettre des découvertes en contradiction gênante avec la philosophie qu’implicitement, ils servent? La question est d’urgence, car si la science a souvent progressé par bonds et par rupture avec l’environnement -Einstein disait que les grandes conquêtes de la science sont nées du conflit dramatique entre la réalité et nos tentatives pour la comprendre-, elle avance actuellement à une vitesse folle, entraînant derrière elle toutes les sociétés de la planète vers un monde du tout-nucléaire et tout-électronique qui n’est pas sans danger mais est peut-être en revanche dénué de sens. Un de nos grands professeurs de médecine disait il y a peu de temps sur nos antennes que ce sont les progrès techniques qui résoudront les problèmes, en particulier éthiques, posés par ces mêmes progrès. Mais le sens de tout cela? Jusqu’où? Pourquoi? Dans quel but? La recherche médicale ne pose pas la question du fondement de ses orientations.
Quelques réflexions incidentes: la présence de la subjectivité dans les sciences, ou d’une conception du monde qui y est à l’oeuvre, n’a pas besoin d’être commentée avec cet exemple: il se suffit à lui-même. Pourtant, si le chercheur est, à l’instar de l’artiste, celui qui lâche la bride à la partie inventive de son être -n’est-ce pas l’échappée hors des normes qui fait et le poète et l’inventeur? L’histoire des sciences en tous cas le confirme- le progrès de la science (son ouverture ou son virage)ne peut passer que par de profonds changements du système dans lequel le chercheur évolue.
Et si l’eau est "hautement mythique", monsieur le physicien, ce n’est peut-être pas sans raison! L’intuition qui préside au fait qu’elle est présente dans la plupart des grands textes religieux de l’humanité, correspond peut-être à une réalité scientifique hautement complexe et hautement intéressante sur laquelle Benveniste aurait levé un coin de voile, que l’on ne saurait trop espérer voir soulever davantage.
SCHIFF, Michel(chargé de recherches à l’INSERM), L’Homme occulté, Editions ouvrières,
Libro
SCHIFF,Michel, L'Homme occulté, Editions de l'atelier, 1994 (France)
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