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L’Amiral des mots

Les mots de la langue française viennent aussi d’Asie, d’Afrique, du Maghreb, d’Amérique latine, d’Océanie...

Pierre Yves GUIHENEUF

03 / 1999

"Il était une fois, dans un modeste bazar d’Istambul, un chérubin qui fit jubiler ses parents lorsqu’il vint au monde : il tenait dans sa main une turquoise en forme de nénuphar".

Ce qui caractérise la première phrase de ce récit ? Elle contient, comme la plupart de celles qui composent ce petit livre, des mots originaires, non pas seulement du latin ou du grec, mais d’autres langues originaires de diverses parties du monde, que l’on appelle aujourd’hui le tiers-monde. Ils sont surlignés dans le texte d’un trait de couleur. En gris, ceux qui sont issus de l’hébreu (jubiler, chérubin); en rose vif, ceux qui viennent du turc (bazar, turquoise)et en vert, un terme que nous devons au malgache (nénuphar).

En poursuivant la lecture de ce qui n’est, au fond, qu’un agréable conte-alibi (tiens, d’où vient donc "alibi" ?), on repère facilement les marques jaunes qui identifient les mots en provenance d’Asie du Sud : indi, sanscrit, bengali, indonésien, malais ou thibétain. Ils sont nombreux : "avatar", "santal", "sarbacane", "laque", "pyjama" et autres "vérandas" de "bambous"...

Le bleu azur marque le chinois, plus rare : "kaolin", "poussah", "typhon". Et le bleu clair signale ce que la langue française doit aux lanques amérindiennes : on pouvait s’en douter pour la "tomate", le "maïs", la "cacahuète", le "chocolat", le "topinanbour" et la "patate", tout droit rapportés du Nouveau Monde ; on le subodorait pour les "mocassins" et le "canoë", voire pour le "hamac" ; on ignorait pour le "boucan" et les "ouragans"...

Du polynésien, on retient ici le modeste "tabou", mais ces îles sont si lontaines... Plus curieux, l’Afrique ne nous apporte que les "bananes" et les "macaques", bien trop près des clichés...

Mais la couleur qui parsème le texte avec le plus de générosité est sans conteste celle de l’arabe. "Chiffres", "algèbre" et "tarif" nous rappellent à juste titre ce que lui doivent nos mathématiques . "Alcool", "elixir" et "alambic" suggèrent que nos apéritifs ont quelque chose à voir avec les compatriotes du chimiste Averroës et "toubib" nous évite d’oublier qu’au Moyen Age, la médecine était avant tout sarrazine. "Caïd", "bédouin" et "calife" nous renvoient à nos livres d’enfance, à une civilisation exotique et ses images d’Epinal, mais comment se douter que la si familière "bougie", l’indispensable "café" ou l’innocent "coton" nous viennent également d’outre-Méditerranée ? Quant à "gabelle" ou "récif", on se perd en conjectures...

Les lettres-personnages de l’illustrateur Laurent Berman parcourrent avec humour ces pages très françaises et bigarrées. L’auteur, Pierre Aroneanu, dédie ce petit livre arc-en-ciel à ceux qui parlent des langues étrangères sans le savoir et, parfois, sans le vouloir. <Ma langue est belle, dit Albert Jacquard dans sa préface, parce qu’elle s’est enrichie de toutes les autres>. Ceci n’est pas un hasard, mais le fruit d’un long processus d’absorption de mots et, avec eux, de concepts, d’objets et de savoirs. "Hasard" ? En voilà un qui vient du côté de la Syrie...

Key words

cultural development, national language, linguistics, cultural diversity, cultural interdependence, partnership


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Source

Book

ARONEANU, Pierre; BERMAN, Laurent, L'Amiral des mots, Alternatives, 1996 (France)

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