Les idées concrètes d’un responsable d’une fédération d’organisations paysannes (OP), FORAGE, Sedhiou, Sénégal
Tamba YANCOUBA, Benoît LECOMTE
05 / 1998
Tamba Yancouba, direction exécutif de la Fondation des Organisations Rurales pour l’Agriculture et la Gestion Ecologique (FORAGE) conseille ceci :
1/ "Pour l’efficacité de l’aide, la création d’un comité de réflexion (au niveau de la zone) qui oriente l’aide vers l’essentiel est nécessaire. Le désordre est prévisible : les partenaires viennent de l’Europe, des Etats-Unis , ... pour financer. Au niveau de chaque association, il y a un partenaire européen, un américain, etc. Chacun travaille à n’importe quoi".
2/ "Les gens de l’aide devraient aussi se concerter au niveau de l’Europe, pour essayer de se compléter au niveau de la base et non pas agir individuellement, ONG par ONG, et directement avec les associations paysannes. Il faudrait plutôt créer un noyau de communication entre les institutions du Nord et celles d’ici. Car quand une association n’a pas trouvé de solution avec son premier partenaire, elle en change et ainsi de suite. Au niveau de chaque région, il faut un conseil des organisations locales qui se connaissent à la base. C’est un gage de sérieux. Toutes les associations de développement sont fédérées dans le département voisin (Bignona) tandis qu’ici au niveau de Sedhiou, chacun travaille individuellement, ce qui crée un problème de gestion de l’aide extérieure. Alors que c’est plus facile pour arbitrer s’il y a une fédération. Rien n’a été constitué dans la région de Sedhiou à cause de l’autonomie et de la taille des associations, ainsi que leur ancienneté. Par exemple, l’AJAC (Association des Jeunes Agriculteurs de Casamance), l’association mère, est ancienne. Née en 1974, elle devrait jouer un rôle important pour orienter l’aide. Mais beaucoup de ses groupements ont été créés, dans les années 80, pour recevoir de l’argent et parfois ils n’ont jamais fonctionné et ne sont que sur le papier. Cependant, le rôle de l’AJAC peut être important pour la création d’un réseau pour le développement local".
3/ "Le bailleur doit travailler à la base avec les gens. Il doit s’informer du passé de l’association paysanne (crédibilité, porteurs d’activités rentables, ...) car, sinon, ses investissements sont inutiles. Autrement dit, il faut préparer le terrain en faisant des enquêtes individuelles, en vivant parfois avec les gens. L’aide extérieure créé des difficultés, elle fait du n’importe quoi. Elle doit voir au niveau de la base. Une aide est un risque pour les associations. Certaines associations font des actions rentables, notamment pour créer leur autonomie. Si l’aide vient et impose une autre forme en disant : "il faut créer une nouvelle association", les gens vont quitter leur association pour aller vers une nouvelle association; ils vont quitter leurs racines. Sous-entendu que cette nouvelle association vient combler un vide. C’est un risque pour la pérennité des actions. L’aide doit être centrée sur l’essentiel".
4/ "Pour qu’une aide extérieure soit efficace, il faudrait qu’elle soit centrée sur des opérations rentables mais pas de courte durée, sinon il est impossible de prouver la rentabilité d’une opération. Il faudrait aussi une création de fonds propres de l’association pour les moments difficiles".
5/ "A la base, les OP ont des difficultés d’accès à l’information venant des autres OP membres de FORAGE. Il y a un manque de moyens : mobylettes, voitures, carburant. Les partenaires oublient ce genre de chose : "On t’a financé la mobylette, disent-ils, débrouille-toi pour le carburant". Il y a aussi des indemnités mais pas de salaire. L’association ne peut pas payer ces frais. Il y a un manque de fonds, l’association n’arrive pas à accomplir sa tâche de communication. Et alors, la base ne voit pas les dirigeants pendant des mois !"
6/ "L’aide extérieure doit être localisée dans un secteur et être proche des bénéficiaires, sinon il y a un risque de méfiance : le responsable local se méfie quand il donne un renseignement et le partenaire reste optimiste à tort. Pour vivre la réalité, il est nécessaire d’être physiquement proche pour que l’ajustement soit continu : il faut une correction au fur et à mesure".
7/ "L’aide extérieure doit être orientée selon les besoins de chaque association. Le partenaire ne doit pas dire "Si ce n’est pas pour ceci ou cela, je ne finance pas". Souvent, au lieu que le partenaire règle les préoccupations de FORAGE, c’est FORAGE qui doit suivre les préoccupations du partenaire exprimées par des conditions. Une aide réussie n’apporte pas seulement l’amélioration de la situation globale au niveau de la base, elle a un effet à deux niveaux :
- l’association de base est plus forte car elle a un financement;
- le partenaire du Nord est crédible car il appuie une action de développement rentable. Il est nécessaire d’harmoniser l’aide extérieure avec les préoccupations de la base, sinon il y a des problèmes et des malentendus. Il ne doit pas faire n’importe quoi. Il faut trouver les causes de chaque problème avant de financer sa solution. Sinon, les conséquences sont néfastes".
8/ "L’aide extérieure doit surtout s’orienter vers la commercialisation des produits locaux. Par exemple, les femmes ont des activités rentables mais des problèmes de crédit. La solution est de leur faire des prêts sur 5 ans. L’aide est réticente à financer ce genre de chose. Il est essentiel de voir les possibilités dans la zone. Comme la transformation du poisson. Parfois le poisson manque, parfois il est trop abondant. Les gens n’arrivent pas à s’organiser pour les réserves. Ce sont des choses à améliorer. Autre exemple : les fruits".
9/ "Ici, il y a un manque d’aide, d’accompagnement surtout pour les femmes qui gèrent leur foyer et n’ont pas de ressources pour financer leurs activités".
10/ "Les bailleurs doivent accompagner de façon dégressive de façon à inciter l’auto-financement".
organização camponesa, ONG do Norte, negociação, agência de fundos, financiamento do desenvolvimento, concertação
, Senegal, Sédhiou
Notre interlocuteur épingle, parmi les défauts des ONG du Nord; la concurrence entre elles, leur manque d’intérêt pour les activités économiques, leur refus de financer, la fonction de communication et leurs interdits. Il leur conseille de donner priorité aux femmes et d’accompagner les associations paysannes d’une façon dégressive. Une gamme d’observations bien réfléchies et qui tiennent compte des faiblesses des associations paysannes dénoncées dans la même interview.
Entretien de Benoît Lecomte avec Tamba Yancouba, mai 1998.
Les fiches DPH préparées par l’équipe du GRAD à partir d’interviews auprès de responsables d’organisations paysannes en zone sahélienne, sans cesse renouvelées depuis 1995, sont un instrument commode pour suivre la progression du monde rural de cette région.
Entretien avec YANCOUBA, Tamba avec Benoît Lecomte, mai 1998
Entrevista
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