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A Fitribougou, un quartier de Bamako, les habitants gagnent le combat contre élus et techniciens

Hameye Timbaleck TRAORE

04 / 2000

Le Mali, à partir de novembre 1968, connut l’avènement au pouvoir d’une junte inexpérimentée, arriviste, de jeunes militaires et aussi l’émergence d’une bourgeoisie de technocrates, de responsables politiques, d’hommes et de femmes d’affaires… prêts à tout pour s’enrichir et gravir les échelons de l’administration. Ce climat d’accaparement, d’injustice, de déséquilibre socio-économique appauvrit davantage les zones rurales, faisant de nos principales villes des champs de banditisme, d’insécurité, de misère, de prostitution et des pôles d’attraction pour les jeunes ruraux.

Bamako qui en 1970 était peuplée d’à peine 600 000 âmes a vu en 20 ans sa population doubler et son site engloutir tous les villages à moins de 10 kms à la ronde. En janvier 2000, la capitale avoisine 1.500.000 habitants. En 1990 au sommet de l’Etat régnait un parti politique au pouvoir incontestable, autoritaire, omniprésent, s’étendant sur tous les secteurs de l’administration, de l’armée, de la justice, des affaires…

Ceci jeta l’immense majorité de la population, exclue des jeux du pouvoir parce qu’analphabête et pauvre, dans un découragement sans lendemain. Ainsi naquit dans nos villes une autre « nouvelle classe » : celle des habitants pauvres. Résignés, ils commencèrent à se marginaliser, à fuir les centres villes pour s’agglutiner à leurs périphéries. C’était l’exil intérieur : partout aux alentours des villes les pauvres essaimèrent dans des ghettos créés de toutes pièces. Des quartiers spontanés virent le jour, ceinturant la ville, et dont certains sont devenus célèbres pour l’insécurité qui y régnait nuit et jour, tel Fitribougou de Baco-Djicoroni.

Fitribougou, « quartier du crépuscule » en langue bambara, était à l’origine un hameau dépendant des chefs traditionnels de Baco-Djicoroni (les chasseurs Diakité). Plusieurs milliers d’hectares de terres furent progressivement cédées à des agriculteurs bambara, dogon… lesquels à leur tour, à partir des années 80, commencèrent à les allouer soit gratuitement, soit contre quelques noix de cola à des pauvres en quête de terrains pour y construire des habitations de fortune. On vit surgir ça et là des habitations de pauvres entre les champs de mil, de maïs, de haricots, d’arachide.

A partir de 1985 des petits commerçants, des petits fonctionnaires, des ouvriers, des soldats… commencèrent à y construire en banco et à y habiter. La population grossit jusqu’à 2000 à 3000 personnes venues du centre ville ou de l’intérieur du pays. Un nid de prostituées, de malfrats… commença à faire commerce, et la police à effectuer des descentes inopinées. Fitribougou attirait désormais l’attention des autorités. Petit à petit les rues tortueuses, jonchées de cailloux entre champs et habitations furent ouvertes aux véhicules « fond rouge » (immatriculation de l’administration) : pour le malheur de ses habitants, Fitribougou occupait un espace stratégique, un plateau au relief régulier. Les autorités jugèrent bon d’en chasser les habitants, de viabiliser le site puis de le vendre aux nantis.

Avant la fin de 1985, les autorités communales appuyées par celles du district décidèrent la fin de toute occupation, toute mise en valeur des parcelles du secteur par les habitants. La même année par deux fois le secteur fut rasé au bulldozer pour dissuader ses occupants. Mais c’était sans compter sur la détermination des habitants qui, la deuxième fois, bravèrent les bulldozers. Ils n’avaient pas d’autre alternative.

A partir de cette date, une lutte acharnée entre habitants et autorités s’instaura. Les habitants se concertaient régulièrement. Une stratégie collective fut arrêtée : si pendant la journée, policiers, techniciens, élus, sillonnaient le secteur pour ramasser quiconque se serait hasardé à poser une pierre, une brique (des femmes, des hommes, des enfants furent plusieurs fois conduits au commissariat de police, à la mairie ; des biens furent confisqués), dès le crépuscule (« fitri » en bambara) le secteur se réveillait, grouillait de maçons, de manoeuvres. Toute la population entrait en mouvement, qui pour faire des briques, qui pour construire un mur, couvrir le toit, placer une porte, une fenêtre…

De 1985 au coup d’Etat populaire de 1991, pas un mur n’a pu être construit à Fitribougou de jour ! Le secteur fut construit de nuit, avec la complicité de la mère lune qui sut couver ses constructions disparates, les protégeant du regard indiscret des autorités d’alors pour ne les faire éclore qu’un certain matin de mars 1991, jour de la liberté retrouvée pour les habitants de Fitribougou.

Profitant du changement qui suivit le coup d’Etat, les habitants mirent en place un comité pour rencontrer les nouvelles autorités et discuter du devenir de leur secteur. Le comité mit à profit toutes les échéances électorales qui suivirent pour exiger des garanties de viabilisation (égouts, eau, électricité, téléphone, infrastructures diverses) de lotissement.

Depuis 1995 Fitribougou est loti, même si les habitants attendent encore, pour la fin de l’année 2000, l’eau, l’électricité, un système de canalisation des eaux souillées, des eaux de pluie. Un lycée moderne y fonctionne depuis octobre 1997.

Palavras-chave

bairro urbano, bairro insalubre, regulação funciaria, propriedade urbana, pobreza


, Mali, Bamako

dossiê

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Comentários

La ville c’est l’habitant. Dans les quartiers les professionnels, les élus doivent agir conformément aux intérêts des habitants. Si ce n’est pas le cas, les habitants se doivent alors de s’organiser pour mobiliser les dynamiques de changements positifs au sein de la société. L’action populaire doit obéir non à ce qui est légal mais à ce qui est légitime. Lorsqu’il y a un conflit ente la loi et la justice, les habitants solidairement doivent choisir la justice, advienne que pourra.

Les habitants, grâce à leur détermination commune, ont pu légalement s’installer sur leurs parcelles. Au départ même si c’était légitime d’occuper des terres, ils étaient quand même dans l’illégalité. Le reste des terres non occupées avant 1985 ont été depuis 1993 aménagées et vendues aux enchères. Ces terres supportent aujourd’hui les plus belles villas de la capitale malienne, abritant les plus grands commerçants, fonctionnaires, élus bref les mieux nantis du pays.

Face aux investissements en faveur de l’aménagement de ces zones résidentielles, Fitribougou la résistante présente encore un visage de parent pauvre.

Notas

Fiche du dossier préparatoire au forum des habitants qui s’est tenu à Windhoek, Namibie (12-18 mai 2000) dans le cadre du sommet Africités.

AREC DEV (Assistance Reconversion Développement) - BP E 3475 Bamako, MALI - Tel/fax : (223)28 55 25

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