L’évaluation est rarement une occasion d’apprentissage, de dialogue et de réforme
01 / 1999
On constate que le système d’évaluation contribue peu à une réforme des pratiques de l’aide vers une plus grande efficacité. Le programme Coopération 21 du Club du Sahel, analysant 20 ans d’aide à la région sahélienne, a recensé entre 1000 et 2000 évaluations pour l’ensemble du système d’aide concernant la région. Ces documents sont pour la plupart volumineux, portant avec beaucoup de détails sur des actions ponctuelles, et ont été pour l’essentiel lus par un très petit nombre de personnes. En effet, ces documents sont souvent confidentiels, et ont en tous les cas peu circulé. Ils est aujourd’hui difficile de se les procurer et ne font l’objet d’aucune (ou presque)communication entre différentes agences.
Le système est donc cloisonné entre les différents donateurs et leurs partenaires, mais il l’est aussi à l’intérieur des agences. Les évaluations y font rarement l’objet de débats internes élargis. Lorsqu’un diagnostic d’évaluation débouche sur des réformes difficiles à entreprendre, ces dernières peinent à être relayées par un processus interne aux administrations donatrices. D’autant plus que les services d’évaluation occupent souvent une position non stratégique dans les agences de coopération. L’absence de débat et de relais des résultats d’évaluation limite leur impact.
Cette confidentialité et ce manque d’influence se retrouvent de manière bien plus prononcée dans les pays sahéliens bénéficiaires des actions concernés. L’évaluation est un processus totalement dominé par le donateur où les bénéficiaires jouent un rôle mineur. Souvent, les bénéficiaires ou les autorités ne sont même pas destinataires des rapports d’évaluation. Plus généralement, l’évaluation est très rarement l’occasion d’un dialogue interne aux institutions bénéficiaires et plus encore d’un dialogue entre partenaires.
Enfin et surtout, les évaluations sont circonscrites dans le champ étroit (institutionnel, spatial, temporel et thématique)d’un instrument particulier. Cela les empêche le plus souvent d’aborder la question de l’impact de manière pertinente. Chacun sait que les effets indirects, les effets de reproductibilité, de diffusion et de soutenabilité sont fondamentaux pour les actions de développement.
Souvent c’est en dehors du champ de l’action proprement dit que les effets les plus importants sont enregistrés. Le succès des actions de conservation des eaux et du sol au Burkina Faso se mesure davantage en constatant la diffusion de certaines techniques (diguettes)en dehors du champ des projets, qu’en analysant le bien fondé des actions de ces projets. A l’inverse l’effet négatif de déstabilisation de l’administration obtenu par le dépecage de certains ministères sous forme de projets-enclaves ne peut se mesurer que si l’on adopte une optique globale dépassant précisément celle de chacun des projets considéré séparément.
L’évaluation nous apprend généralement peu sur l’impact à long terme, sur l’impact de l’ensemble de l’aide et non d’une aide particulière, sur l’impact des actions d’aide en dehors de leur champ d’actions (diffusion des connaissances et des innovations)ou sur leur contexte institutionnel, social ou économique. Or ces aspects sont fondamentaux pour dialoguer avec le partenaire et orienter une éventuelle réforme de l’aide.
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, Sahel
Mettre la coopération européenne au service des acteurs et des processus de développement
Il ne faut pas s’étonner que l’on déplore régulièrement le manque de mémoire collective des systèmes de coopération. Le rôle d’apprentissage, de dialogue et même de mesure d’impact de l’évaluation est tout à fait second dans la plupart des cas.
L’évaluation est avant tout une procédure interne au bailleur de fonds (parfois même un rituel)dont les objectifs premiers (tout à fait respectables)sont de servir d’aide à la décision pour réorienter les actions ou en décider de nouvelles, et parfois de juger de la conformité des actions entreprises avec les règles en vigueur (audit). Il s’agit d’un instrument particulier faisant partie du cycle du projet ou du programme, jugeant de l’action d’invidus précis, et dont la confidentialité, la faible participation au renforcement du partenariat et de la mémoire collective et le manque d’intérêt pour la mesure d’impact global découlent de sa mission étroite et particulière.
De telles évaluations sont nécessaires pour le fonctionnement administratif des agences, mais elles sont à la fois exigeantes en ressources et faiblement productrices d’expérience. Elles devraient laisser une place à d’autres types d’instruments résolument tournés vers l’apprentissage collectif, l’appréhension de l’impact global et de long terme et le dialogue entre partenaires.
Pour un pays sahélien par exemple, le système d’aide - une vingtaine de bailleurs de fonds, plus d’une centaine de projets, plus d’une centaine d’ONG- tente d’atteindre simultanément des milliers de micro-résultats particuliers. L’évaluation du système en référence à cette multitude de résultats ponctuels risque de conduire à une course épuisante pour les institutions sahéliennes et donatrices, et dans le même temps de faire perdre de vue les impacts globaux vus à un niveau plus large.
Il faudrait en effet que l’évaluation soit au contraire l’occasion de changer de temps en temps de perspective : de ne plus se placer du point de vue ponctuel de l’instrument d’aide - avec ses experts, ses bénéficiaires, son champ de compétence, ses résultats attendus-, mais du point de vue global et de long terme du pays, secteur ou région bénéficiaire. Bien entendu, un système d’évaluation national performant situé dans le pays bénéficiaire serait pour cela la solution idéale. Mais, on en est dans la plupart des cas encore loin, et il faut aussi compter sur une inflexion des systèmes d’évaluation des donateurs.
De tels instruments n’existent pratiquement pas à l’heure actuelle. Les évaluations conjointes entre donateurs sont par exemple extrêmement rares (sauf s’il y a au départ un projet conjoint). Chaque évaluation regarde en détail une pièce du patchwork, mais aucun instrument n’a pour mission de juger a posteriori si l’ensemble est harmonieux.
Des analyses d’impact collectives thématiques et sectorielles pourraient jouer ce rôle de réflexion, d’apprentissage et de partenariat. Leurs résultats pourraient alors être suffisamment appropriés et relayés par les acteurs concernés pour réellement peser sur les réformes du système de coopération.
Le programme Coopération 21 est une tentative de bilan de 20 ans d’aide à la région sahélienne. Il a été conduit par le Secrétariat du Club du Sahel (OCDE/Paris).
[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]
Texto original
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