La logique institutionnelle de l’Union Européenne bat en brèche la pertinence des actions
01 / 1999
Le Monde Selon les Femmes est une ONG belge qui s’intéresse de manière privilégiée à la question du genre et cela dans une articulation Nord-Sud. C’est donc une association qui milite en faveur des femmes pour une plus grande reconnaissance de leurs droits et cela dans une analyse sociologique de la structuration des rapports sociaux Hommes-Femmes. Il y a donc tout un travail de sensibilisation autour de la condition des femmes à partir de leurs expériences.
Dans le cadre de cette orientation, un projet a vu le jour: autour de thématiques précises, mettre en relation des femmes qui mènent une action collective de développement, tant au Nord qu’au Sud. Le support de la constitution de ce réseau se matérialise par la publication d’une revue,"Palabras", qui sort 3 ou 4 fois par an.
C’est à la Commission Européenne et plus précisément à la ligne"Education au développement"que le Monde Selon les Femmes s’est adressé afin d’obtenir un appui financier pour ce programme.
Un premier dossier avait été introduit avant la conférence des femmes de Beijing (Chine). Ce rassemblement avait permis de tester l’intérêt des groupes pour ce projet. On avait pu organiser un atelier avec les personnes intéressées pour lancer l’idée de cette revue et jeter les bases de notre réseau.
Nous avons introduit le dossier au niveau de la DG VIII conjointement avec deux autres organisations, toutes deux du Sud, l’une du Sénégal et l’autre du Chili. Cette composition Nord-Sud de co-responsabilité du programme a été refusée d’emblée. Deux arguments: tout d’abord, les ONG du Sud n’ont pas accès au co-financement, il y a des lignes spécifiques pour elles ; ensuite, une ONG du Nord doit assurer intégralement la responsabilité financière du projet et être l’interlocuteur unique de la Commission.
Evidemment, cela nous a fortement gêné par rapport à la pertinence de notre projet . En effet, il nous semblait que, dans une dynamique de réseau, la structure du Nord ne devait pas être la seule"maître d’oeuvre".
Pour finir, nous avons bien dû nous résigner et nous avons introduit le projet isolément.
Le projet contenait aussi l’idée d’organiser un séminaire au Sud. De nouveau, cette démarche était parfaitement cohérente par rapport à nos objectifs mais elle a également été refusée car cette dynamique ne rentre pas dans le concept d’"éducation au développement"tel qu’il est défini par cette ligne budgétaire. L’idée générale étant de sensibiliser le Nord, on ne voit pas la pertinence d’aller faire des actions au Sud ! Nous avons donc du trouver d’autres partenaires pour respecter cette cohérence.
Une fois que le projet a été accepté, il a été financé par phases. La première devait s’étaler sur un an mais dans les faits, elle s’est étalée sur une période plus longue car cette phase représentait tout le travail de contacts, de mise en place du réseau et cela ne se fait pas en un jour.
Ensuite, on a commencé la deuxième phase qui ne pouvait plus durer que 2 ans. Impératifs pour cette phase selon la Commission : la revue doit être autofinancée au bout de deux ans. Pour nous , c’est une véritable aberration puisque l’objectif en soi n’est pas la production d’une revue mais bien la mise en réseau d’acteurs via celle-ci. Le support ne constitue pas une fin en soi ; il est simplement un support qui donne vie au réseau et cela doit s’inscrire sur une longue durée. L’Union Européenne, pour des questions budgétaires, nous a obligé à rentrer dans une logique commerciale de rentabilité qui va à l’encontre de la nôtre qui est davantage basée sur la consolidation d’acteurs dans le temps. Nous devons donc trouver les moyens de nous autofinancer mais nous n’avons aucun soutien de l’Union Européenne pour le faire. D’autre part, cela va nous demander une énergie considérable qui va nous faire passer à côté de l’essentiel de ce travail.
En ce qui concerne le contenu du projet, notre interlocutrice à la DG VIII nous a beaucoup interpellés durant la phase d’instruction du projet. Nous avons eu un débat qualitatif intéressant qui nous a permis d’affiner certains éléments du programme. Par contre, une fois que le projet a été accepté , on a l’impression qu’il n’y a plus de suivi au niveau de ce débat d’idées. On serait demandeur d’un feed back , de commentaires sur notre action mais c’est impossible d’en avoir directement.
Nous regrettons aussi le manque d’occasion de rencontre entre les gens qui font de l’Education au Développement. L’unité"Education au développement"est une plaque tournante qui brasse énormément de projets et d’acteurs. Elle pourrait mettre les gens en relation mais elle ne le fait pas. C’est regrettable car nous aurions beaucoup à apprendre des uns et des autres.
Un dernier point qui nous interpelle, c’est la lenteur des procédures. Pour nous personnellement, cela n’a pas beaucoup de conséquences mais pour des projets qui ont des implications directes sur le terrain, cela peut vraiment mettre en péril les processus et les gens...
cooperação UE ACP, política internacional, educação ao desenvolvimento, mulher, rede de intercambio de experiencias
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Mettre la coopération européenne au service des acteurs et des processus de développement
En résumant ces contradictions :
1. Logique de projet et non d’acteurs: ce qui importe , c’est le projet en soi, le fait qu’il réponde à certains critères mais pas les acteurs qui sont derrière ces programmes.
2. Logique institutionnelle et non de pertinence: la pertinence propre du projet qui appartient aux acteurs et qui constitue le socle commun est souvent battue en brèche dans son ensemble, par des contraintes liées aux critères, aux concepts, aux objectifs définis par le bailleur de fonds.
3. Le concept d’Education au Développement est unanimement défini par la Commission et il est difficile, voire même impossible de modifier la vision. Or, les conceptions de l’Education au développement sont variées et riches. Pourquoi ne pas imaginer des processus où ce concept puisse être rediscuté, enrichi par les différents acteurs du Nord, comme du Sud et ainsi engager l’institution et les acteurs sur la voie d’apprentissages variés?.
Cela ne se fait pas, par manque de temps sans doute puisque dans ce département, il n’y a plus que 2 personnes pour gérer l’ensemble des projets. Ainsi, l’institution ne se met pas en situation de recherche et n’est pas apprenante, c’est-à-dire capable d’évoluer et de faire évoluer ses perceptions, ainsi que de s’adapter aux multiples réalités.
Traduit en anglais (voir titre correspondant).
[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]
Texto original
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