05 / 1994
Les opérations de maintien de la paix comme le déploiement de casques bleus en temps de guerre sont des compromis issus de la guerre froide, à une époque où la guerre des blocs interdisait le recours au chapitre VII de la Charte de l’ONU (utilisation de la force). Ce qui est nouveau, depuis l’intervention de 1991 dans le Kurdistan irakien, c’est l’utilisation de ces techniques à une grande échelle dans de nombreux conflits et surtout le « mariage » entre deux types d’actions jusqu’alors bien distinctes : l’action humanitaire et l’action militaire. Le débat sur cette confusion et ses conséquences est aujourd’hui ouvert, d’autant que l’ambiguïté des opérations de maintien de la paix a progressivement généré des actions qui violent et font reculer le droit humanitaire et le droit de la guerre.
Le danger des interventions hybrides
Pendant 40 ans, l’ingérence internationale a été bloquée par le droit de veto au sein de l’ONU. Contournant cette difficulté, l’activité des Nations unies a pu se déployer dans un cadre modifié mais les opérations de maintien de la paix supposaient alors l’accord des belligérants. Ce mécanisme, censé permettre la relance de la négociation, ne parvenait qu’à geler ou à limiter l’extension des conflits. Si l’hiver 1991 est un tournant, c’est parce que pour la première fois une intervention militaire internationale (la guerre du Golfe) est légitimée autrement que par les deux parties au conflit. Pour la première fois aussi, grâce à la justification d’une « menace contre la paix et la sécurité internationales », l’utilisation de la force est effective mais sans contrôle de l’ONU.
Dans l’action humanitaire, la force est également utilisée mais de façon dissuasive, tandis que la mise en place d’une protection diplomatique, nouvelle et décentralisée, se substitue progressivement à la protection militaire sur le terrain. Essentiellement limitée aux forces des Nations Unies, cette protection ne s’étend aux populations que par contiguïté; en revanche elle permet aux agences humanitaires de l’ONU de faire une entrée décisive dans les situations de guerre.
Créées pour incarner la coopération entre Etats souverains, les différentes organisations et agences de l’ONU n’étaient ni destinées, ni préparées à intervenir dans les conflits. Leur présence dans ces situations permet d’inscrire l’action humanitaire au premier plan de l’agenda diplomatique international. Mais en retour, elle soumet l’action humanitaire à tous les compromis politiques, remettant ainsi en cause un ressort essentiel du droit humanitaire.
Par définition, le droit humanitaire cherche à minimiser l’enjeu stratégique que représentent l’aide et les secours aux victimes. Les nouvelles actions humanitaires ne se réfèrent plus qu’à la protection des secouristes et des convois. De son côté, le maintien de la paix suppose une utilisation du compromis et un dosage subtil de la force dissuasive ou offensive. Les nouvelles interventions de l’ONU qui se développent dans des « bulles de paix » (corridors ou cessez-le-feu humanitaires)ne parviennent pas à endiguer la guerre et oublient la protection des victimes.
Cette dérive s’est révélée dans toute son absurdité dans l’ex-Yougoslavie. Il ne s’agit plus de maintien de la paix, puisque les belligérants ne s’accordent pas sur le contenu de la paix. L’autorité de cette intervention internationale se fonde, non sur l’emploi de la force, mais sur l’excellence des intentions humanitaires. En se contentant d’enregistrer les violations des principes et interdictions découlant des conventions de Genève, le déploiement des soldats de l’ONU n’a même pas eu l’effet dissuasif escompté.
Au contraire, à force de se cacher l’un derrière l’autre, le militaire et l’humanitaire sont devenus des cibles, puis des otages. Progressivement, toutes les décisions n’ont plus été pesées qu’en fonction des risques encourus par les militaires. A ce stade, la seule monnaie d’échange non-violente reste l’action humanitaire. L’action des Nations unies remet gravement en question les piliers du droit humanitaire.
De l’impunité de l’ONU
A la violation du droit humanitaire vient s’ajouter la violation du droit de la guerre. En l’absence de création d’un Comité d’état-major conjoint, tel que prévu par le chapitre VII de la Charte, le commandement des opérations de l’ONU sur le terrain est toujours le fruit d’un compromis entre des commandements nationaux plus ou moins bien unifiés. Le résultat principal est la dissolution du pouvoir militaire de l’ONU dans l’irresponsabilité collective.
L’absence de code de discipline militaire commun, de police militaire chargée d’enquêter sur les abus de pouvoir, ou d’instances habilitées à sanctionner les coupables et indemniser les victimes, permet tous les glissements. L’ONU se retrouve donc dans une situation où, tout en utilisant la force de façon offensive, elle n’assume pas son statut de combattant et refuse de se soumettre aux obligations du droit de la guerre.
L’ONU serait-elle au-dessus des lois ? Dans ces conditions, il devient prioritaire de renforcer la légalité des opérations de police internationale, et de définir la notion de menace à la paix et à la sécurité internationales justifiant une intervention armée, laissée dangereusement en suspens.
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Artigos e dossiês
Article écrit en 1993 par Françoise Bouchet-Saulnier, juriste internationaliste à MSF (Médecins Sans Frontières, 8 rue Saint-Sabin, 75011 Paris, FRANCE - Tél. 01 40 21 29 29 - http://www.msf.fr
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