Critique de la base scientifique dominante de la gestion des pêches
11 / 2009
Le fait que le modèle de gestion des pêcheries associé à la Politique commune des pêche européenne (PCP) soit vicié est largement admis. Un de ses problèmes de fond est qu’il est fondé sur une « science » inadéquate qui tient très peu compte de l’écologie.
Il y a cinquante ans, la science halieutique étudiait la biologie des poissons, l’écologie, le comportement et l’environnement en mer et dans des laboratoires. La compréhension des interactions entre ces différents facteurs est essentielle pour une gestion rationnelle.
Puis sont arrivés les modèles informatiques. Avec le temps, l’étude de la dynamique des populations à travers des modèles mathématiques, visant essentiellement à évaluer des stocks d’espèces uniques, est devenue l’option privilégiée.
Ces modèles reposent sur l’hypothèse que la quantité de poissons dans un stock est égale à ce qui restait l’année précédente, plus ceux recrutés cette année, moins ceux capturés (mortalité par pêche, F), et moins ceux qui sont morts de la prédation et d’autres causes (mortalité naturelle, N).
La science fondée sur ces modèles suppose que seul F change de manière significative. Elle a donc fait de la pêche la cause à peu près unique des fluctuations des stocks.
Mais il est très difficile d’évaluer N, la mortalité naturelle. Une valeur arbitraire de N allant de 0,18 à 0,2 a été utilisée dans les modèles d’évaluation des stocks. Cette valeur a été décidée par un scientifique du début du siècle dernier, et a été reprise depuis uniquement par effet d’inertie. Il y a quelques années à peine, le CIEM (Conseil international pour l’exploration de la mer, ICES en anglais) l’utilisait encore pour l’évaluation des stocks dans l’Atlantique Est…
Or les experts estiment que les oiseaux de mer consomment 70 millions de tonnes de produits alimentaires, un chiffre proche des 80 millions de tonnes de débarquements mondiaux de poisson. Si l’on ajoute la prédation par des mammifères marins, les pêcheurs capturent peut-être seulement un tiers de ce qui est prélevé des stocks, ce qui donne N = 0.66…
En outre, la plupart des modèles isolent les stocks d’espèces uniques des autres espèces et de l’écosystème. Ils tiennent à peine compte des variables ne concernant pas la pêche, comme les changements environnementaux et la pollution, et de leurs véritables effets en temps réel sur le recrutement, la mortalité, et la vulnérabilité des populations de poissons face à la pêche.
Les modèles ignorent aussi les données climatiques et océanographiques, malgré le fait que certaines espèces très sensibles aux différences de température, surtout pendant les périodes de frai et d’éclosion et aux stades larvaires, pourraient être gravement affectées par des anomalies thermiques.
Le fourrage et la disponibilité des proies sont aussi des facteurs importants. La survie des larves et des juvéniles dépend également de la bonne nourriture, au bon endroit et au bon moment. Le manque de nourriture oblige les poissons à changer de zone ou les fait mourir de faim.
Enfin, la science de la pêche en vigueur ne tient pas compte des relations complexes entre la taille des stocks et la disponibilité des aliments, et le fait que d’importants stocks de frai produisent souvent un faible recrutement et vice-versa : les petits stocks produisent de grandes classes d’âge.
Il y a lieu aussi de se poser des questions sur la qualité des données chiffrées entrées sur les ordinateurs et qui servent de base aux modélisations. Les données halieutiques sont souvent peu fiables pour plusieurs raisons :
Les pêcheurs se trouvent dans une sorte d’impasse. Lorsque leurs rapports font état de grosses prises, ils entraînent souvent des réductions de quotas ou de l’effort de pêche ; quand ils sous-estiment les prises dans leurs rapports, les résultats sont similaires.
Les navires de recherche et de surveillance suivent une routine, ce que ne font pas les poissons. Aussi passent-ils souvent à côté des accumulations de poissons. La même chose vaut pour les études hydroacoustiques, qui en dehors de leur inexactitude foncière, ne peuvent pas être réalisées partout en même temps.
Ces mêmes navires de recherche utilisent des engins de pêche ‘standard’ mais dépassés, non adaptés aux changements de lieu et de comportement des poissons, de sorte que leurs captures peuvent contribuer à la déclaration inexacte de l’état réel des stocks.
Malgré tout, plusieurs systèmes de gestion actuels, basés sur les TAC et les quotas, ont des exigences que la science ne peut pas et ne devrait pas satisfaire. Les gestionnaires veulent des chiffres précis, mais honte aux scientifiques qui les fournissent. Cela conduit à la manipulation de données peu fiables.
Malheureusement, ces modèles mathématiques qui combinent des valeurs spéculatives, approximatives, fantaisistes, ayant un contenu mathématique et statistique parfois de nature cosmétique, sont souvent présentés comme produisant des chiffres précis.
Si cette science inadéquate survit, c’est que ses hypothèses et recommandations ne sont évaluées que par des scientifiques issus de la même discipline et école de pensée. Les scientifiques critiques de la méthodologie d’ensemble ne sont jamais sollicités pour passer en revue les estimations des stocks.
L’expérience des pêcheurs et leurs observations devraient se voire reconnues davantage d’importance dans la science des pêcheries et dans l’évaluation des stocks. Aucun modèle, qu’il soit simple ou intégrant des paramètres multiples y compris d’ordre environnementaux, ne peut se passer de l’expérience, de la recherche et de l’expérimentation en mer, ni des informations en temps réel fournies par les pêcheurs.
Les résultats des modèles « scientifiques » devraient être examinés par des pêcheurs expérimentés pour voir s’ils sont font sens et concordent avec leurs observations actuelles et passées.
Les pêcheurs ne peuvent pas respecter de bonne grâce des règles fondées sur une science qui semble fausse ou peu fiable. Ils devraient s’organiser pour faire réexaminer cette « science » par des scientifiques indépendants.
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, Europa
Voir aussi du même auteur Politique commune des pêches : un modèle de gestion à remettre en cause
Actas de colóquio, seminário, encontro,…
Intervention de l’auteur lors de la Journée mondiale des pêcheurs de Lorient, novembre 2009.