Je commencerai par quelques citations. Aucune n’est mienne. Elles proviennent de représentants de l’industrie et aussi de scientifiques indépendants. Il semble qu’elles expriment un consensus quasi général : la PCP de l’UE est un échec total, … une catastrophe, … elle est contre-productive, … ne parvient pas à conserver les stocks de poissons et à maintenir les emplois…c’est une discrimination injuste à l’encontre de la pêche artisanale … Sa performance en matière de reconstitution des stocks est pathétique … Elle provoque des rejets de poissons consommables et de fausses déclarations de captures … Elle inventorie des stocks sains comme étant “surexploités”… Des quotas d’espèces uniques dans une pêcherie à espèces multiples, c’est insensé… … et les quotas sont trop petits pour que la pêche soit viable … Elle a besoin de profonds changements, … une refonte majeure …
Les systèmes de gestion dominants, et même dans certains cas (États-Unis) la législation parlent de restaurer les stocks de poissons au niveau « où ils étaient dans le passé »…
Mais les écosystèmes marins, c’est-à-dire l’espace où conditions physiques, plantes et animaux aquatiques, y compris les poissons commercialisables, pêche et autres activités humaines se rencontrent et interagissent de manière continue et dynamique, sont affectés et modifiés par la pêche. Notre civilisation a commence en modifiant les systèmes naturels, sur terre et dans l’eau.
Tant que nous continuerons à pêcher, aucune gestion ne pourra restituer les stocks de poissons au niveau où ils étaient il y a plusieurs milliers d’années, ni garder intacts les fonds marins. Les territoires de pêche, comme les terres agricoles, sont des environnements modifiés.
Comment gérer la pêche ?
Que peut et que devrait être, dans ces conditions, la gestion des pêcheries ? La gestion des pêches devrait consister à maintenir la production de poissons et le bien-être de la population impliquée dans la pêche, la transformation et la commercialisation du poisson, l’entretien de la flotte et des équipements à terre, contribuant ainsi à maintenir les communautés de pêcheurs à des niveaux soutenables. Et ceci en se souvenant qu’en ce qui concerne les stocks de poisson, le « niveau soutenable » n’est pas constant mais reflète une situation dynamique, qui dépend d’autres facteurs que la seule pêche (voir ci-dessous). Dès lors, pour préserver ce « niveau soutenable », la combinaison de l’effort de pêche avec les autres facteurs affectant les stocks variera d’année en année, ce qui requiert un véritable suivi et une gestion en temps réel.
Il faut signaler à ce propos que la gestion européenne des pêches ne se préoccupe quasiment pas de la pollution marine, littorale et d’amont ; et qu’elle ne s’attaque pas davantage à la destruction des habitats côtiers ou en eaux profondes par les aménagements urbains ou industriels, les forages de haute mer ou les opérations de dragage de sables et de minerais.
Les démarches de gestion affectent trois aspects de la pêche : les ressources halieutiques (directement et indirectement), l’habitat (directement et indirectement) et les personnes impliquées dans la pêche à différents niveaux. Le choix de démarches est fonction des préférences socio-économiques et politiques des décideurs. Tout se résume à savoir quels intérêts influent sur le système de gestion.
En réalité, on ne peut gérer que les gens, et ce sont les gens qui supportent les conséquences. La gestion sera déficiente ou condamnée à l’échec si elle est perçue par les pêcheurs comme erronée, fausse, ou injuste, car elle devient inefficace ou très coûteuse (en augmentant les frais de surveillance). Malheureusement, au lieu de concevoir des outils de gestion qui pourraient être acceptés et adoptés de manière volontaire par la plupart des pêcheurs, et « imposés » à travers la pression collective de la communauté de la pêche, le système de gestion dominant a opté pour une méthodologie à la Big Brother, centrée sur la surveillance électronique.
Gestion par l’input ou gestion par les captures
Dans la plupart des cas, le système de gestion peut atteindre le même objectif en matière de niveau de stocks de poissons soit en contrôlant les intrants (input) soit en contrôlant les captures (ouput). Bon an mal an, l’expérience démontre que la première option avantage la pêche artisanale, la seconde la pêche industrielle. La décision dépendra du secteur que ceux qui ont le pouvoir veulent favoriser.
La gestion par les intrants (saisons de pêche, fermeture temporaire ou permanente de zones de pêche, limitations du type et de la quantité des équipements ou de la capacité de pêche) se fait en fonction du comportement des espèces ciblées, et favorise généralement la pêche artisanale. Si elle est bien assimilée par les acteurs du secteur, elle est plus facile à appliquer que l’option visant à contrôler les captures.
La gestion par les captures (TAC et quotas) conduit inévitablement à l’accumulation de droits de pêche et des avantages entre les mains des gros opérateurs. Lorsque les TAC (taux autorisés de capture) ou QIT (quotas individuels transférables) se réduisent, les petits propriétaires doivent louer ou vendre leurs quotas et les bateaux aux gros bonnets et aux entreprises, et se transforment en retraités, en salarié saisonnier ou en miséreux.
Le système des quotas peut entraîner le déplacement des communautés, voire de cultures entières. Avec de trop petits quotas, et de grosses prises accessoires d’espèces hors-quota, la pêche honnête peut dériver vers toutes sortes d’activités illicites. Il faut soit tricher soit se retirer !
Le système des « jours en mer »
Joe Borg, Commissaire européen aux pêches, a donc procédé à un changement de cap majeur lorsqu’il a suggéré de remplacer les quotas annuels par un système de nombre de « jours en mer », système qui peut effectivement réduire de nombreux effets négatifs, comme les rejets. L’exemple qu’il a donné (et qui est aussi le mien) est le système de contrôle par le temps de pêche et par zone appliqué par les pêcheurs des îles Féroé avec de bons résultats.
Si elle est adoptée, la mutation proposée par Borg pourrait mettre fin aux rejets, et les pêcheurs pourraient être autorisés à pêcher dans la limite des jours qui leur sont alloués, dans les zones de mer désignées, comme ils le souhaitent, en passant d’une espèce à une autre et en ramenant à terre toutes leurs prises.
Mais si l’Europe adopte ce système, la capacité de pêche et le nombre de nouveaux entrants devraient être limités. L’effort de pêche doit être contrôlé et ajusté pour tenir compte des augmentations de la capacité de pêche. Dans la plupart des cas, la pression de pêche totale doit être freinée. C’est-à-dire que l’on ne peut pas avoir à la fois un bien commun et une liberté totale.
Car si au moment de l’introduction du système des « jours en mer » comme mode principal de gestion, la capacité de pêche est trop importante, ou si la flotte continue à croître après l’introduction du système, et donc si le « gâteau » est partagé en parts de plus en plus nombreuses et de plus en plus petites, il pourra y avoir surpêche. C’est pourquoi le système des « jours en mer », comme tout autre système de gestion par l’input, doit être accompagné d’un maintien de la capacité de pêche à des niveau adéquats.
La pêche comme « big business » ou comme bien commun ?
Dans le monde entier, la gestion de la pêche et son administration sont devenues un Big Business. Celui-ci proclame que sans l’emploi de son armée de scientifiques, de techniciens, de bureaucrates, et d’agents de contrôle, il ne restera bientôt plus de poisson dans la mer. Mais ce faisant elle ne fait que servir ses propres intérêts. Cette tendance est bien naturelle (de par la loi de Parkinson), et elle a été renforcée par la perception de plus en plus généralisée de la pêche comme une menace pour l’environnement.
C’est pourquoi, en plus de ses fonctions et de ses objectifs de gestion des pêcheries, le système dominant de gestion des pêches a, comme n’importe quelle grande organisation, un intérêt direct à sa
propre expansion et à sa perpétuation. Ce « système » est toujours prompt à accuser les pêcheurs de surexploiter les ressources, mais vous ne trouverez jamais personne à blâmer pour les dommages que ses mauvaises décisions ont pu causer au secteur de la pêche, à la ressource et à l’environnement.
Elinor Ostrom a récemment obtenu le prix Nobel d’économie pour avoir montré que bien que la gouvernance des ressources océaniques soit défaillante, de nombreuses pêcheries côtières ont été très bien gérées par les communautés locales qui contrôlent l’accès, les droits et les moyens de pêche, etc. Souvent, elles font mieux que l’État ou les systèmes privatisés.
La mythologie bureaucratique prétend que « la population locale ne pourra jamais s’organiser / se gérer elle-même », mais Elinor Ostrom montre que c’est faux.
La bureaucratie de l’UE se trompe tout autant en mettant toutes les pêches sous un même parapluie ! Pour être efficace, le système doit s’habituer à une certaine souplesse mentale et l’appliquer dans la pratique face à la diversité des pêcheries européennes.
Elinor Ostrom insiste avec raison sur le fait qu’il n’y a pas de règle unique qui fonctionne bien pour toutes les ressources à toutes les échelles. Les mesures de gestion doivent être adaptées aux conditions spécifiques de chaque pêcherie et appliquées localement. Les homards ne sont pas la morue, l’Atlantique n’est pas la Méditerranée, et les Écossais ne sont pas des Français.
Je ne devrais pas faire de recommandations spécifiques, tout d’abord parce que je ne suis pas suffisamment familiarisé avec les pêcheries européennes, et aussi parce que chaque territoire de pêche mérite une étude et des recommandations particulières. Voici toutefois quelques suggestions générales.
La gestion des pêches devrait être fondée, en plus des données provenant d’institutions scientifiques et des politiques, sur l’information sur la pêche venant des pêcheurs eux-mêmes et sur des considérations socio-économiques. Une question à laquelle la gestion doit répondre est celle de savoir ce qui est le plus important : l’ampleur des bénéfices à tirer de la ressource ou le nombre de personnes pouvant vivre de la pêche ? Les organisations de pêcheurs devraient analyser les règles et les décisions de gestion en se demandant à chaque fois qui gagnera et qui perdra.
Ce qui, je pense, est à recommander dans la plupart des cas est :
adapter la gestion à chaque pêcherie particulière ;
allouer les eaux côtières exclusivement à la pêche artisanale ;
faire participer les populations de pêcheurs à la conception et à la mise en Ĺ“uvre de la gestion ;
amener des experts indépendants pour examiner les données, les méthodes et les conseils de gestion.
pesca, pesca artesanal, pesca industrial, pescador, pescador artesão, recursos pesqueiros, esgotamento dos recursos pesqueiros, gestão de recursos naturais
, Europa
Voir aussi du même auteur l’article La science et les pêcheries. Critique de la base scientifique dominante de la gestion des pêches
Actas de colóquio, seminário, encontro,…
Intervention de l’auteur lors de la Journée mondiale des pêcheurs de Lorient, novembre 2009.