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Une Inde frileuse face au réchauffement climatique

Valérie FERNANDO

07 / 2008

Le 30 juin 2008, le Gouvernement indien de Manmohan Singh a rendu public son Plan National d’Action sur le Changement Climatique (India’s National Action Plan on Climate Change). Salué pour la “première” qu’il représente, il suscite néanmoins de nombreuses critiques de la part des environnementalistes et scientifiques engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Les huit missions du Plan National d’Action sur le Changement Climatique

Avec sa côte s’étirant sur plus de 8.000 km et une population de plus d’un milliards d’habitants, majoritairement rurale et pauvre, l’Inde est l’un des pays les plus menacés par les effets du changement climatique, parmi lesquels la hausse du niveau des océans, l’augmentation de la température, la multiplication des catastrophes naturelles liées aux variations soudaines et fréquentes du climat, provoquant pluies irrégulières, sécheresses et inondations.

Pourtant, jusqu’à présent, l’Inde était montrée du doigt comme étant le mauvais élève qui, contrairement aux deux grands pays émergents auxquels elle est le plus souvent comparée, à savoir la Chine et le Brésil, n’avait pas reconnu l’importance des enjeux liés au changement climatique.

Prenant comme point de départ les données du 4ème rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) de 2007, le Plan National d’Action sur le Changement Climatique identifie huit domaines et objectifs prioritaires appelés “missions nationales” interministérielles :

1. Énergie solaire : augmenter la part de l’énergie solaire dans la production d’énergie, tout en reconnaissant l’importance d’autres sources d’énergie non fossile telles que l’énergie nucléaire, l’énergie éolienne et les bio-carburants.

2. Efficacité énergétique : diminuer la consommation d’énergie des véhicules et dans les secteurs suivants : centrales thermo-électriques, cimenteries, acieries, industrie chimique ; privilégier les énergies alternatives. Un système de crédit carbone utilisant les mécanismes du marché, à travers l’achat et la vente de certificats d’économie d’énergie, est envisagé pour parvenir à ce résultat.

3. Habitat durable : développer les constructions “vertes”, les bâtiments résidentiels et commerciaux économes en énergie ; gérer et recycler les déchets, privilégier les transports publics ; améliorer la capacité de gestion des catastrophes via une approche participative.

4. Eau : gérer de manière intégrée les ressources en eau ; recycler les eaux usées ; développer les technologies permettant d’utiliser d’autres sources d’eau (désalinisation de l’eau de mer) ; récolter l’eau de pluie ; stocker/conserver l’eau pour faire face aux aléas climatiques.

5. Écosystème himalayen : préserver le fragile écosystème de l’Himalaya, ses forêts, qui freinent l’érosion des sols, et ses glaciers, qui alimentent les principales rivières pérennes du Nord de l’Inde, en s’appuyant sur les communautés locales et Panchayats (assemblées villageoises).

6. Green India (Inde verte) : replanter les forêts afin de passer de 23 % à 33 % de couverture forestière, dans un objectif de limitation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère.

7. Agriculture durable : rendre l’agriculture résistante au changement climatique en choisissant des variétés adaptées aux conditions extrêmes (inondations, sécheresse, variations de l’humidité) utilisant le savoir traditionnel aussi bien que les biotechnologies pour parvenir à une “révolution verte durable”.

8. Recherche stratégique sur le changement climatique : étudier le phénomène du changement climatique, ses défis, ses impacts socio-économiques en termes de santé, démographie, migrations, conditions de vie et les réponses possibles.

Un plan d’action ou d’inaction ?

Climate Challenge India (CCI) est un réseau d’écologistes indiens regroupant aussi bien des experts environnementaux, analystes et activistes que des membres du monde de la finance et des affaires, militant tous pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une réponse indienne aux défis du changement climatique. L’analyse de CCI est assez représentative des critiques dont a fait l’objet le plan d’action du Gouvernement indien qui reste largement en-deça des attentes.

Tout d’abord, les organisations de la société civile, de loin les plus actives en matière d’adaptation et de lutte contre le changement climatique en Inde, regrettent de ne pas avoir été consultées par le Gouvernement. Le plan d’action n’évoque que rarement ces acteurs sociaux de terrain et ne met en place aucun mécanisme concret qui favoriserait la coopération, l’implication et la démocratisation du débat sur la politique liée au changement climatique. Contrairement à d’autres pays tels que le Brésil (cf l’article de Benoît Guichard : La ministre de l’écologie du Brésil démissionne), elle reste bloquée au niveau des ministères.

Par ailleurs, le plan s’apparente plus à un catalogue de déclarations d’intention sans propositions concrètes ou rapidement applicables. Il reprend des projets ayant déjà fait l’objet de lois et plans nationaux impliquant différents organes gouvernementaux. Ainsi en est-il de la loi sur la conservation de l’énergie (Energy Conservation Act) qui, en pratique, est un échec, faute de moyens et de personnel pour l’appliquer dans les États fédérés.

De même, aucun objectif précis ni calendrier à court, moyen ou long terme ne sont proposés qui puissent convaincre quant à la réelle volonté du Gouvernement de lutter contre le changement climatique en diminuant les émissions de gaz à effet de serre (GES), au premier rang desquels le carbone, principaux responsables du réchauffement du climat.

Reprenant quelques points particuliers, le CCI considère que le plan ne met pas suffisamment l’accent sur la conservation et la préservation des forêts existantes et que les mesures de reforestation sont insuffisantes car orientées vers des espèces commerciales : « Le plan d’action ne reconnaît pas le fait que l’écosystème et la biodiversité forestiers contribuent à plus de 50 % aux revenus des 500 millions de pauvres indiens. »

Un autre point controversé est la fonte des glaciers himalayens au sujet de laquelle le Gouvernement se montre sceptique affirmant qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucune preuve de la fonte générale de ces glaciers ni d’un quelconque lien avec le changement climatique. Cette position lui permet en fait de poursuivre la construction, à des coûts exorbitants, de barrages hydro-électriques, dont certains scientifiques et environnementalistes prédisent que, dans quelques décennies, il n’y aura plus d’eau pour faire tourner les turbines.

Gardant le silence sur les carburants fossiles (charbon, pétrole, gaz), le plan d’action ne prévoit pas de prendre le chemin d’une économie sans carbone, même s’il confirme le renforcement du programme nucléaire civil (1).

Autant de limites et de critiques qui conduisent Malini Mehra, responsable de Climate Challenge India, à affirmer que « le rapport a été écrit par des bureaucrates, non par des visionnaires ».

Lutte contre le réchauffement climatique versus croissance économique

Il est à noter que le plan d’action sur le changement climatique a été rendu public un mois avant la participation de l’Inde, en tant qu’invité, au sommet des huit pays les plus industrialisés de la planète (G8), lequel avait à son programme les politiques liées au changement climatique. Il semblerait donc que le plan indien ait davantage été destiné à ces partenaires potentiels qu’à la population indienne, dont les conditions de vie sont pourtant le véritable enjeu.

Ce premier plan d’action est dans la continuité de la position officielle de l’Inde par rapport à la question du changement climatique depuis une dizaine d’années. Signataire du protocole de Kyoto (entré en vigueur le 16 février 2005), l’Inde, en tant que pays en développement et en vertu du principe de responsabilité partagée mais différenciée, n’est pas tenue de diminuer ses émissions de GES.

En revanche, en marge du Protocole de Kyoto, elle a signé un accord de « Partenariat sur le développement propre et le climat » avec les pays opposés à la réduction obligatoire des GES (Etats-Unis, Australie, Chine, Japon et Corée du Sud). Celui-ci vise à promouvoir la croissance économique en développant des « technologies plus propres, avec moins d’émissions de gaz polluants, pour pouvoir continuer à utiliser les carburants fossiles, tout en gérant le problème de la pollution de l’air et des émissions de gaz à effet de serre » (2).

Dans le même esprit, lors du dernier G8 de Toyako (Japon), l’Inde a signé le « Partenariat international pour la coopération sur l’efficacité énergétique » (International Partnership for Energy Efficiency Cooperation) mais a refusé de s’engager sur une réduction de 50 % de ses émissions. Paradoxalement, c’est le prix Nobel de la paix indien, Rajendra Pachauri, Président du Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat (GIEC) qui défend le plus ardemment la position indienne : « Il faut que les pays du G8 arrêtent d’exiger que les pays émergents partagent le fardeau de la réduction des gaz à effet de serre. L’Inde est une économie en pleine expansion, comment peut-on vouloir nous imposer cet effort quand des millions de personnes vivent encore dans la pauvreté absolue ? » (3).

Il se fait là l’écho du discours officiel de l’Inde qui estime que sa priorité est la réduction de la pauvreté, laquelle passerait par la croissance économique donc par l’augmentation de la production et par conséquent des émission de GAS. Alors que 27,5 % de la population indienne vit sous le seuil de pauvreté et que 44 % n’a pas accès à l’électricité, le Gouvernement indien considère qu’il est légitime pour le pays de continuer à émettre des GES tant que cela sert son « développement ».

Afin de justifier encore sa position, l’Inde a beau jeu de prendre comme référence les émissions de carbone par tête, ce qui lui donne un avantage considérable compte tenu de son milliard d’habitants. En effet, selon ce calcul, l’Inde ne produit que 1,02 tonnes de CO2 par habitant et par an, loin derrière les Etats-Unis (20,01) ou même la Chine (3,60), la moyenne mondiale se situant à 4,25 tonnes. Ce chiffre lui permet de continuer à augmenter ses émissions tout en restant bien en-deça des pays développés qui font pression pour qu’elle les réduise.

Pourtant, l’Inde est devenue le quatrième émetteur mondial de gaz à effet de serre et l’on prévoit que ses émissions de GES doubleront d’ici 2030 si elle conserve les mêmes modes de production. Faisant l’impasse sur cette évolution, l’Inde continue à faire porter la responsabilité du réchauffement de la planète uniquement sur les pays développés et refuse de s’engager sur des quotas de réduction d’émission.

Vulnérabilité des plus pauvres face au changement climatique

Cette inflexibilité est d’autant plus inquiétante que la pollution, problème majeur en Inde, n’est pas prise en considération par le plan d’action. Elle concerne l’eau, contaminée par les déchets industriels et domestiques mais surtout l’atmosphère, chargée des rejets des véhicules et des émissions industrielles, avec des nuages de pollution permanents sur les grandes agglomérations, constituant un véritable défi de santé publique (4).

La pollution affecte la santé de tous les Indiens mais touche plus durement les conditions d’existence et de subsistance des plus pauvres : habitants des bidonvilles, agriculteurs, ouvriers agricoles, pêcheurs et populations tribales. En appeler à la réduction de la pauvreté pour justifier l’augmentation des émissions de GES, c’est faire fi du fait que ce sont ces mêmes pauvres qui pâtissent le plus des conséquences du réchauffement climatique et d’un modèle de croissance fortement pollueur.

En réalité, l’éradication de la pauvreté en Inde ne passe pas par une croissance économique à tous crins, mais par une répartition plus égalitaire des fruits de cette croissance. Malgré les chiffres impressionnants de l’Inde ces dernières années (9,4 % de croissance en 2007), le fossé entre riches et pauvres n’a cessé de se creuser. Alors que le nombre de pauvres diminue lentement, le nombre de millionnaires indiens a explosé (123.000) tandis qu’une classe moyenne de 300 millions de personnes a émergé. Lutter contre les effets dramatiques du changement climatique en Inde et limiter la part des activités humaines dans le réchauffement de la planète, impliquerait donc de repenser en profondeur la stratégie de développement de l’Inde (entre autres pays), ce qui, actuellement, s’apparente vraisemblablement à un vœu pieux.

L’Inde est actuellement en pleine négociation du Nuclear Deal, accord sur l’énergie nucléaire avec les États-Unis qui suscite l’opposition des partis communistes et du parti nationaliste hindou.

Cf. l’article de Colette Thomas, « Contourner Kyoto », RFI, 12/01/2006

Cf. l’article de Thomas Pekish, « Pourquoi l’Inde refuse les décisions du G8 sur le climat », Rue89, 09/07/2008

Cf. les études menées à ce sujet par le Centre for Science and Environment.

Palavras-chave

mudança climática


, Índia

Notas

Valérie Fernando est partie à Mumbai (Bombay) en Inde au CED, Centre for Education and Documentation, dans le cadre des programmes de mobilité d’Echanges et Partenariats avec comme partenaire Ritimo.

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