Aujourd’hui, grâce aux travaux du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et au rapport de l’économiste anglais Stern sur l’économie du changement climatique (2006), les pays occidentaux savent qu’il faut à tout prix agir dans ce domaine. Cependant, encouragés en cela par le Rapport Stern, ils pensent qu’il suffira d’investir dans des technologies à faible taux d’émission de carbone. Quid des pays en développement ? Est-ce qu’un réel transfert de technologies vers cette destination fera l’affaire ? Le problème, pour les pays industrialisés comme pour les pays en développement, ne serait-il pas plutôt le changement des modes de vie ?
Ce sont là des choses bien compliquées ; pour trouver des solutions, il faudra en user de la salive ! D’autant plus que la plupart des Occidentaux ont bien du mal à imaginer un monde où les Indiens ne seront plus pauvres, où l’économie indienne fera de l’ombre à celle des Etats-Unis. Notre attitude est un mélange de Francis Fukuyama (La fin de l’Histoire) et de Samuel Huntington (Le choc des civilisations), qu’on ait lu leurs livres ou pas. Avec Fukuyama, nous pensons en gros que les idées néolibérales occidentales vont s’installer partout, qu’elles vont permettre de sortir les gens de la pauvreté, que le revenu par habitant va augmenter partout pour atteindre le niveau actuel des pays occidentaux, que les richesses de ces pays vont encore s’accroître et faire que Washington et Bruxelles resteront éternellement au centre de l’Univers.
Mais, avec Huntington, reconnaissons qu’il existe des résistances à cette vision idyllique, par exemple de la part des fondamentalistes islamistes, et aussi de la part de la Chine et de l’Inde. Comme Huntington, la plupart des Occidentaux sont d’avis que leurs gouvernements devraient traiter ces résistances par la force économique et militaire. La politique des Etats-Unis en matière de changement climatique fait partie de cette stratégie. Le Rapport Stern a démontré que l’économie mondiale ne va pas nécessairement souffrir des mesures adoptées afin de mettre un frein au réchauffement climatique. Mais la politique américaine ne s’intéresse à l’économie mondiale que dans la mesure où elle produit des effets sur l’économie américaine. Si les Etats-Unis acceptaient un système de droits d’émission fondé sur le principe d’une allocation égale pour tout habitant de la planète, et acceptaient également de réduire leur consommation d’énergie pour permettre le développement de l’économie chinoise et indienne, cela hâterait en fait l’arrivée du temps où l’Amérique se retrouvera à la traîne derrière l’Inde. En la matière, la différence entre politique américaine et politique européenne est uniquement affaire de style.
Les Occidentaux ont bien compris les effets potentiels du changement climatique. Les Etats-Unis et l’Europe consacrent des ressources considérables pour évaluer son impact sur leurs territoires respectifs et pour élaborer des stratégies d’adaptation. Nous savons, d’après les travaux du GIEC, que ce ne sont pas les Etats-Unis et l’Europe qui subiront le plus durement les effets du changement climatique mais les pays en développement. Les Occidentaux ont bon espoir d’échapper à l’enfer pour ce qui les concerne. L’Inde devrait nous faire comprendre (à nous Occidentaux) que cet espoir est mal placé. Le changement climatique est un impact mondial sur une ressource naturelle mondiale. Sur ce phénomène viennent se greffer divers éléments : le pic pétrolier, la montée de la Russie en tant que puissance énergétique, la concurrence entre biocarburants et nourriture sur les sols disponibles, la concurrence entre ces deux productions et la diversité biologique, les effets du changement climatique sur la biodiversité et la production agricole.
Les Occidentaux ne sont pas enclins à céder du terrain, ni non plus la Chine ni l’Inde. Les Occidentaux ont besoin de l’Inde, non pas pour développer des technologies faiblement émettrices de carbone mais pour les aider à comprendre l’avenir. Ils ont du mal à concevoir un monde dont les centres de pouvoir seraient à New Delhi et à Pékin. Les Indiens peuvent imaginer cela, concevoir ce scénario, le faire connaître et convaincre les Occidentaux qu’ils n’ont pas besoin d’en avoir peur. Il ne faut surtout pas croire que ce sera facile. Les Occidentaux n’ont pas vraiment peur de l’Inde, mais ils ont très peur de la Chine. L’Inde doit collaborer avec la Chine, et avec la Russie, et avec le Brésil et l’Afrique du Sud, et peut-être même l’Iran et le Pakistan, pour élaborer une vision de l’avenir partagée par ces pays et qui incitera les Etats-Unis et l’Europe à y participer. Alors seulement les Américains et les Européens pourraient accepter de changer leur mode de vie.
Nous ne pouvons nous permettre d’attendre encore vingt ans le développement de l’économie indienne et chinoise. Nous aurons alors dépassé le point de non retour. Pour notre bien à tous, l’Inde doit revêtir l’habit et dès maintenant tenir le rôle d’une grande puissance mondiale.
mudança climática, política internacional
, Índia
Dix ans après Kyoto (Notre Terre n°24, décembre 2007)
Clive George est Directeur de recherche, Université de Manchester, Royaume-Uni.
Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)
CRISLA, Notre Terre n° 24, décembre 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.