Au cours de la campagne cotonnière actuelle, le nombre de suicides parmi les producteurs a fortement augmenté. Et ce n’est pas uniquement parce que les intrants sont plus chers, ou que l’eau manque, ou que les prêteurs d’argent poussent leurs tarifs. Il y a aussi que le gouvernement du Maharashtra a pris un certain nombre de décisions fâcheuses : suppression de la prime de 20 % qui s’ajoutait au prix de soutien minimum (MSP) national, suppression de l’avance de 500 roupies (8,5 €) accordée en début du cycle cultural pour aider à l’achat de semences.
Les 11 districts du Vidarbha produisent 75 % de la récolte totale du Maharashtra, et c’est dans cette région qu’ont été recensés presque tous les suicides. Il n’y a pas que le prix de soutien minimum en cause. Les gouvernements qui se sont succédés à la tête de cet Etat de 90 millions d’habitants ne se sont apparemment pas beaucoup préoccupés du sort des paysans qui font du coton. Dans l’Ouest prospère, représenté par de solides agriculteurs-politiciens (comme Sharad Pawar, ministre de l’agriculture du gouvernement central), les producteurs bénéficient de beaucoup de facilités en matière d’irrigation et de crédit. Le Vidarbha, par contre, ne reçoit pratiquement rien alors que les conditions naturelles y sont moins favorables : faible fertilité des sols, pluviométrie moindre…
Comparatif Est-Ouest au Maharashtra
Région | % prêts accordés | % irrigation |
Ouest | 80 | 82 |
Konkan | 24 | 28 |
Marathwada | 18 | 21 |
Vidarbha | 8 | 11 |
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les coûts de production sont passés de 5 000 roupies (85 €) à l’hectare en 1995 à 10 000-12 000 (170-204 €) actuellement. Au Maharashtra, seulement 11 % des cultures de coton peuvent compter sur une eau d’irrigation, et c’est dans cet Etat que les tarifs de fourniture sont les plus élevés de tout le pays : de 180 à 1 080 roupies (3-18 €) à l’hectare. Dans la plupart des autres Etats de l’Union producteurs de coton, l’eau est soit gratuite, soit presque gratuite : entre 50 et 200 roupies (0,8-3,4 €). Le Maharashtra consacre en moyenne 3 millions d’hectares au coton. C’est plus que le Punjab, l’Haryana, le Rajasthan, le Madhya Pradesh et l’Andra Pradesh réunis. Mais les rendements sont les plus faibles de tout le pays. Les producteurs ont survécu grâce au prix de soutien minimum renforcé appliqué par le gouvernement local et ses réseaux d’achat et de commercialisation. Les paysans étaient assurés de trouver un débouché pour leur récolte. En 2002, l’arrivée d’opérateurs privés a déstabilisé les circuits para-étatiques ; en 2006, le système du prix de soutien minimum renforcé a sauté, et il y a eu de plus en plus de suicides.
La pagaille dans les circuits commerciaux
Jusqu’en 2003-2004, le Maharashtra était le seul Etat de l’Union indienne à maintenir un monopole public pour l’achat du coton. Dans le cadre d’une loi locale de 1972, l’Administration achetait le coton à 20 % au-dessus du prix de soutien minimum national, afin de compenser la faible productivité et la faiblesse des cours. La Fédération des producteurs de coton du Maharashtra pour la commercialisation (MCPMF) bénéficiait d’un monopole des achats et 75 % des bénéfices devait être redistribué aux agriculteurs, le reste devant constituer un fonds de stabilisation. Certains disent que ce système avait été instauré pour servir les intérêts des industriels du textile de Bombay (la capitale du Maharashtra) plutôt que ceux des paysans. Visesh Joshi, un militant social basé dans cette ville, fait remarquer qu’en 1972 les cours mondiaux étaient trop élevés et que la production indienne était en crise, ce qui a motivé l’initiative du gouvernement. Les agriculteurs ont certainement tiré profit de ce dispositif. Il était plus intéressant que le système centralisé de la CCI (Cotton Corporation of India/Office du coton). Cet organisme public n’achète en fait que 10 % de la production des agriculteurs indiens, suivant des critères de qualité, alors que la MCPMF achetait toute la récolte. Au fil du temps, la corruption a gangrené la machine et entraîné de lourdes pertes, qui s’élevaient à 172 crores (29 millions d’euros) en 1994, à plus de 5 000 crores (850 millions d’euros) en 2004-2005. Les établissements financiers refusèrent de réinjecter de l’argent dans cette structure. Le gouvernement du Maharashtra a aussitôt prétexté de cette décision pour justifier la suppression des primes supplémentaires.
Promesses non tenues
Au cours de la présente campagne cotonnière 2005-2006, le gouvernement du Maharashtra est par deux fois revenu sur les promesses qu’il avait faites aux producteurs. Le premier coup a été porté au début de la saison, avec la suppression de la prime qui était attribuée depuis trente-trois ans. Du coup les paysans sont allés en masse chez les sahukars (prêteurs) qui ont vite fait d’augmenter leurs tarifs. Selon une enquête de l’Institut Tata pour les sciences sociales relative aux suicides d’agriculteurs du Vidarbha, environ 75 % des agriculteurs avaient emprunté de l’argent aux sahukars, et la plupart d’entre eux, dans les quatre années précédentes, avaient été dans l’incapacité de rembourser un prêt bancaire, d’où leur recours à un prêteur d’argent. Confrontés à l’augmentation des coûts, notamment aux nouveaux besoins d’emprunts pour obtenir des semences de coton Bt (OGM), certains agriculteurs se trouvent dans une situation désespérée.
Le deuxième mauvais coup est arrivé en milieu de saison : le gouvernement fait passer le prix de soutien minimum de 2 500 roupies (42,5 €) à 1 750 roupies (29 €) le quintal, ce qui actionne de plus belle le piège de la dette avant même la fin de la campagne et les ventes. Si le gouvernement a décidé cette réduction pour s’aligner sur le tarif en vigueur sur le plan national, c’est pour réduire les pertes de la Fédération des producteurs de coton du Maharashtra pour la commercialisation (MCPMF), déclare son directeur, N P Hirani.
Un leader paysan, Vijay Jawandhia commente : « Cette crise trouve ses racines dans des promesses électorales faites avant les élections. Le Front démocratique, au pouvoir au Maharashtra, avait promis 2 700 roupies (46 €) le quintal, mais a oublié la chose une fois l’élection passée. A cause de cette promesse et du marché international très actif au cours des années passées, les surfaces consacrées au coton ont augmenté de 20 %… La chute actuelle des prix c’est tout bon pour les usines textiles ». L’échec de la culture du coton dans le Vidarbha illustre l’échec des hommes politiques. Le Gujarat constitue un exemple contraire : voir Révolution cotonnière au Gujarat.
camponês, pobreza, política agrícola
, Índia, Maharashtra
L’Inde et son coton : libéralisme mortel (Notre Terre n°19, septembre 2006)
Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)
Lire aussi les 27 pages consacrées à ce sujet dans la revue Frontline (8 septembre 2006), publiée par le quotidien national The Hindu. Textes et photos disponibles en ligne sur www.frontline.in, cliquer sur Digital Frontline-Free Download et Archives en haut à droite, puis Volume 23, issue 17, Cover Story
CRISLA, Notre Terre n° 19, septembre 2006. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.
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