« Au cours des cinq dernières années, alors que les producteurs du Maharashtra, de l’Andra Pradesh et du Punjab étaient en difficulté, ceux du Gujarat ramassaient la mise, avec une augmentation de 5,6 millions de balles, ce qui représente un gain supplémentaire global de 4 275 crores (727 millions d’euros) pour les agriculteurs », indique J V Shah, ancien directeur général de la Gujarat State Seeds Corporation (société publique semencière du Gujarat). D’après ses calculs, les semences Bt dites « piratées » ont permis à cet Etat d’économiser environ 250 crores, et on estime à 360 crores les économies réalisées sur les achats de pesticides (1 crore = 10 millions).
En 2000-2001, c’est au Gujarat que la productivité était la plus basse. Aujourd’hui c’est la plus élevée, avec un taux de croissance de 433 %, tandis que les autres Etats cotonniers en sont entre 2 % et 5 %. Ce miracle a été réalisé sans prix de soutien minimum renforcé, sans aides diverses au développement, grâce surtout au coton Bt « piraté ». Une filière parallèle, indigène de coton Bt a prospéré sous l’impulsion et la protection des pouvoirs publics, même si l’utilisation de coton Bt local est en principe contraire au droit de propriété intellectuelle et aux règles édictées par la GEAC (Genetic Engineering Approval Committee/ Commission d’homologation des biotechnologies) qui dépend du Ministère de l’environnement.
La révolution du Gujarat a débuté au cours de la saison 2001-2002 avec l’emploi d’une variété hybride, Navbharat-151, mise au point par Navbharat, une société semencière locale. La GEAC prétend qu’il contient des gènes Bt, ce qui légalement ne devrait pas être. Comme l’entreprise ne possède pas de licence pour utiliser de gène Monsanto ni d’autorisation de la GEAC pour les essais et la vente, au gouvernement central on a considéré cet hybride comme illégal. En 2001, l’ordre est venu de brûler 4 000 hectares de cultures, mais le gouvernement du Gujarat a fait de la résistance au vu des bons résultats obtenus par les agriculteurs avec cette variété. Quand le Navbharat-151 a été interdit, il a pris le maquis. Les cultivateurs procédaient à des échanges et environ 300 petites fermes semencières ont vu le jour. Voici ce que dit l’ancien ministre des finances du Gujarat, Senat Mehta : « Cette variété a bien résisté au ver de la capsule et les rendements ont été très satisfaisants ». Une opinion confirmée par les travaux d’Anil Gupta, de l’Institut de gestion d’Ahmedabad. Les rendements se situent entre 1 200 et 1 500 kg à l’hectare, ce qui est mieux qu’avec les meilleures variétés importées.
Son prix était un autre aspect intéressant. « Le paquet (450 grammes) de Navbharat-151 coûte seulement 500 roupies, soit le quart seulement du prix des graines de coton Bt officiel », note Aditya Patel qui est producteur de semences à Baroda. Les paysans ont cultivé cette variété et des variantes, en développant des lignées par croisement. Celles-ci sont encore meilleur marché : entre 100 et 200 roupies le paquet. Durant la dernière campagne, ces variétés ont occupé plus de 80 pour cent des 2 millions d’hectares sous coton au Gujarat. La production artisanale de coton au Gujarat représente 320 000 kg/an.
N. P. Mehta, ancien scientifique à la station de recherche cotonnière de l’Université agricole de Surat, Gujarat, qui a participé à la mise au point du Navbharat-151, dit : « Nous avons sélectionné cette variété dans une collection de 800 autres variétés indigènes (desi). Elle a été développée trois ans avant que la GEAC donne le feu vert aux semences Bt (bacillus thuringiensis) de Monsanto ». La société Navbahrat affirme qu’il n’y a pas besoin du gène Bt puisque dans des ressources génétiques locales on peut trouver des résistances au ver de la capsule américain. Mais la GAEC dit que les lignées locales ont été testées positives au Bt. La révolution cotonnière du Gujarat n’aurait pas été possible sans l’appui fourni par les pouvoirs publics locaux, depuis le milieu des années 1980 lorsque Navbharat a été autorisé, dans le cadre de la législation du Gujarat sur le contrôle du coton (1982), à entreprendre des recherches sur les semences de coton. Cette société a été créée par D B Desai cette même année. Aussitôt les grosses firmes semencières internationales ont crié au biopiratage. « Notre seul objectif c’est de proposer aux agriculteurs des semences de première qualité à prix raisonnable. Je pense que nous avons rempli notre mission tout ce temps », déclare M. Desai.
La loi du gouvernement central sur les semences de 1966 a été déterminante pour le succès des variétés locales. Elle autorisait l’échange de semences entre cultivateurs sans qu’intervienne la réglementation sur la propriété intellectuelle. Avec le renforcement des contraintes à l’échelle mondiale dans ce domaine, l’expérience du Gujarat montre assurément la voie à suivre pour les pays en développement. D’ailleurs le Punjab et le Rajasthan s’y mettent.
OGM e agricultura
, Índia, Gujarat
L’Inde et son coton : libéralisme mortel (Notre Terre n°19, septembre 2006)
Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)
Lire aussi les 27 pages consacrées à ce sujet dans la revue Frontline (8 septembre 2006), publiée par le quotidien national The Hindu. Textes et photos disponibles en ligne sur www.frontline.in, cliquer sur Digital Frontline-Free Download et Archives en haut à droite, puis Volume 23, issue 17, Cover Story
CRISLA, Notre Terre n° 19, septembre 2006. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.
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