01 / 2004
Le point de vue énergétique
Le gouvernement et les promoteurs de l’EPR agitent le spectre d’une pénurie d’électricité dans une quinzaine d’années pour justifier le lancement à très court terme d’un démonstrateur d’EPR. Qu’en est il en réalité ?
L’urgence du lancement d’un démonstrateur EPR en France est en particulier défendue par ses partisans au nom de la nécessité de mise en place de nouveaux outils de production d’électricité pour répondre à un triple phénomène : la croissance inexorable de la consommation d’énergie électrique, l’obsolescence progressive du parc nucléaire français, la nécessité de le remplacer par des outils de production électrique ne produisant pas ou peu de gaz à effet de serre.
La nécessité ou non à un horizon donné d’implantation de nouveaux outils de production d’électricité ne peut donc s’analyser que dans un contexte où l’on précise à la fois :
les besoins énergétiques et la part qu’on attribue aux applications de l’électricité dans le bilan énergétique global (par ex chauffage électrique ou non, voitures électriques ou non, etc.),
les besoins d’électricité correspondants non seulement en quantité annuelle mais aussi en termes de durée d’appel et de période d’appel (courbe de charge, saisonnalité),
la durée de vie retenue de chacun des éléments du parc actuel ou déjà décidé, nucléaire, fossile et renouvelable, qui définit à une époque donnée les moyens mobilisables et le productible attendu.
Les seuls éléments de scénario électriques détaillés officiels dont nous disposions proviennent de RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, et ont servi de support au rapport « Programmation pluriannuelle des investissements PPI » présenté au parlement en 2002. Dans son récent rapport, RTE propose trois scénarios d’évolution de la consommation intérieure d’électricité jusqu’en 2020, R2, considéré comme référence, dans lequel on n’envisage aucune rupture de comportement ni de l’Etat ni des consommateurs, mais cependant une légère inflexion vers le renforcement de l’efficacité énergétique, entouré de deux scénarios :
R1 qui se traduit par une plus faible implication de l’Etat dans l’économie et un rôle dominant du marché qui s’exerce parfois au détriment des considérations environnementales
R3, dans lequel l’Etat intervient au contraire fortement dans la recherche d’une meilleure efficacité énergétique.
Les projections correspondantes sont indiquées ci dessous :
Ces différents scénarios se fondent sur une croissance évolutive des besoins d’électricité de 1,1 à 1,4 % par an entre 2000 et 2010, 0,6 à 0,9 % entre 2010 et 2015, 0,3 à 0,6 entre 2015 et 2020. Ils traduisent ainsi la poursuite de la tendance observée depuis 50 ans d’un tassement progressif du taux de croissance des besoins, de près de 8 % dans les années 50 à moins de 2 % dans la période 1995-2000.
Pour les besoins de notre étude nous avons choisi comme scénario central le scénario R1 de croissance la plus élevée des consommations en le prolongeant de 2020 à 2030 sur la tendance 2010-2020.
Compte tenu de la consommation interne du secteur électrique (Eurodif, auxiliaires, etc.) les projections de consommations brutes d’électricité en France s’établissent alors ainsi (1) :
C’est sur cette base que l’on va se poser la question de l’intégration de nouvelles unités de production dans le parc à différentes époques.
Nucléaire en base (8 000 heures/an)
Chacun s’accorde généralement pour considérer que le nucléaire est un outil bien adapté à la production de base d’électricité de l’ordre de 8 000 heures (pour des raisons à la fois techniques et économiques). Dans la monotone française, comme d’ailleurs dans celle des pays voisins, cette utilisation d’outils de production électrique supérieure ou égale à 8 000 heures correspond à environ 50 % de la consommation annuelle d’électricité.
On peut donc, dans un premier exercice et sur cette base, étudier à quel moment il est nécessaire d’implanter de nouveaux outils de production de base nucléaire dans le parc français.
Pour cela il est nécessaire de posséder deux informations supplémentaires :
la participation éventuelle et parfois fatale d’autres moyens de production existant à l’époque considérée,
la durée de vie moyenne du parc envisagée.
Participation à la production en base des outils de production hors nucléaire
Il s’agit :
de l’hydraulique au fil de l’eau fatale (non stockable) estimée à 15 TWh en 2000,
d’une part de la cogénération électricité chaleur avec obligation d’achat par EDF (15 TWh en 2000),
d’une grande part de l’électricité produite à partir de déchets et de biomasse (3TWh en 2000),
d’une part estimée à 800 heures par an de la puissance éolienne installée à terre et 1 200 heures de celle installée en mer.
Compte tenu de la directive européenne qu’on a considéré de façon conservative comme reconduite à l’identique jusqu’en 2030, on peut donner une valeur indicative de l’évolution de la base hors nucléaire d’ici 2030 sous la forme du tableau suivant :
Durée de vie du parc nucléaire
Cette question avait été étudiée à l’occasion du rapport Charpin Dessus Pellat au premier ministre Lionel Jospin. Deux hypothèses avaient été retenues, 41 et 45 ans de durée de vie moyenne du parc. Ce sont ces hypothèses et leurs conséquences sur la production nucléaire au cours du temps que nous avons repris dans cette étude. Elles sont parfaitement compatibles avec la décision récente d’EDF d’amortir ses centrales sur 40 ans et avec la tendance générale en Europe et aux Etats Unis à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires très au delà de 40 ans (60 ans aux Etats Unis). L’étude Charpin, Dessus, Pellat tenait aussi compte d’une perspective d’amélioration progressive du taux d’utilisation annuel des centrales nucléaires du parc existant de 70 % en 2000 à 84 % en 2030 (2).
Les deux courbes ci dessous illustrent la démarche pour des durées de vie de 41 et 45 ans.
Ces courbes se lisent de la façon suivante :
PPI R1 : scénario de consommation brute d’électricité de 2000 à 2030 de RTE
Besoins de base : évolution des besoins en base (50 % de R1)
Base fatale : Evolution de la production de base hors nucléaire
Nucléaire 40 ans + base fatale : Evolution de la somme des productions de base fatale et du nucléaire pour une durée de vie du parc spécifiée.
Eurodif : Production nucléaire libérée par l’arrêt d’Eurodif.
+ 10 EPR : introduction de 10 EPR dans le parc au rythme de 1 par an à partir de 2015 fonctionnant comme prévu par la DGEMP à 90 % de taux d’utilisation.
{{Première conclusion
Si l’on veut respecter la règle d’usage à moindre coût économique du nucléaire en fonctionnement de base, l’introduction de nouvelles centrales nucléaires ne se justifie pas avant 2028 ou 2033 selon les durées de vie du parc retenues (41 et 45 ans).}}
Dans l’hypothèse durée de vie 41 ans, l’introduction d’EPR à partir de 2015 ramène la proportion de nucléaire dans l’ensemble de la production à une valeur de 75 % en 2025 et dégrade obligatoirement le taux d’utilisation du parc nucléaire à des valeurs proches d’aujourd’hui.
Dans l’hypothèse d’une durée de vie de 45 ans, cette proportion atteint 88 % en 2025 ce qui traduit une utilisation très loin de l’optimum du parc nucléaire existant.
Il est bien évident que l’application éventuelle de programmes plus ou moins ambitieux de maîtrise de la consommation d’électricité retarderait encore l’échéance de la nécessité d’introduction de nouveaux réacteurs dans le parc. La figure 3 ci dessous illustre un tel cas avec un programme de maîtrise de l’électricité conforme à celui proposé par la MIES pour 2010 (30 TWh d’économie en 2010) mais qui reste très modeste à horizon 2030 (60 TWh ou à peine 10 % d’économie). On ne gagne alors qu’un ou deux ans sur l’échéance du renouvellement du fait de la courbe très prononcée d’obsolescence du parc autour des années 2030, 30 TWh par an.
Nucléaire en semi base
Il est intéressant de voir comment évolue la situation si l’on accepte une dégradation économique des conditions d’usage du nucléaire, par exemple pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. On trouvera ci dessous les courbes correspondant à des utilisations du « nucléaire + la base fatale » supérieures ou égales à 6 000 heures et 5 000 heures par an (respectivement 62 % et 75 % (3) pour 41 ans de durée de vie et sans programme d’économie d’électricité).
On constate que dans le premier cas le besoin de remplacement se fait sentir en 2026 et dans le second en 2023. A noter que dans cette période où la pente de décroissance du nucléaire existant est moins forte, le programme d’économie d’électricité précédemment cité permet de gagner 2 ans à 2025 et 2028.
L’introduction de 10 EPR dans le parc en 2025 conduirait à des proportions d’électricité « fatale > 6 000 heures + nucléaire » de 87 % et pour 5 000 heures de 90 %.
Conclusion
Dans les conditions de croissance des besoins d’électricité décrites par le gestionnaire du réseau RTE qui sert de base à la programmation des investissements de production électrique, il n’est jamais nécessaire avant 2023 ou 2028, selon la durée de vie du parc, d’introduire de nouveaux moyens nucléaires, sauf à les faire travailler pendant des durées nettement inférieures à 4000 heures par an, domaine où leur compétitivité par rapport aux autres solutions s’effondre. Bien entendu des programmes plus ou moins ambitieux de MDE retarderaient ces échéances. Dans le sens inverse, une beaucoup plus forte croissance des besoins électriques que celle prévue par RTE pourrait avancer ce délai de mise en place.
Global Chance - 17 ter rue du Val, 92190 Meudon, FRANCE - Franca - www.global-chance.org - global-chance (@) wanadoo.fr