L’arabisation de la femme amazighe crée une rupture dans la transmission du savoir-faire local de génération en génération. C’est le cas des tisseuses de tapis.
11 / 2006
En quoi vous sentez-vous particulièrement touchée par les problèmes qui affectent la montagne aujourd’hui ?
Je suis une femme du Moyen-Atlas, une femme amazighe et une femme rurale. La montagne, c’est mon inconscient imaginaire et celui de tous les autochtones du monde. Elle est le refuge de notre culture. Je me sens tout particulièrement concernée par le problème de la femme rurale parce qu’elle souffre d’exclusion. Cette situation est souvent dûe au fait qu’elle n’a pas fréquenté l’école, parce qu’elle se trouvait à 5 à 7 kilomètres de chez elle. La montagnarde, la femme amazighe, est une femme rurale. Je tiens pourtant à préciser que la femme amazighe a toujours été bien plus émancipée que la femme arabe : elle peut sortir sans porter le voile, se réunir dans un café avec des hommes pour parler affaires, et surtout, elle acquiert avec l’âge une grande notoriété matrimoniale qui lui permet de dicter la loi au sein de son foyer.
Vous concevez, alors, l’arabisation comme un certain « retour en arrière » dans l’évolution du statut de la femme.
Oui, complètement. C’est une régression dans la mesure où l’on impose le voile à la femme, où on la prive de sa liberté. Et c’est non seulement une régression pour la femme, mais aussi un danger pour notre culture, celle des montagnes, celle des Amazighen. Pourquoi ? Parce que la femme des montagnes d’Afrique du nord et la langue tamazight constituent un tout, c’est la gardienne de nos traditions, le vecteur dynamique de notre culture. Par exemple, aujourd’hui, les jeunes filles vont à l’école arabo-musulmane et, là-bas, on ne leur transmet pas le savoir-faire de la montagne. Les jeunes filles d’aujourd’hui ne savent plus tisser un tapis.
La technologie n’y serait-elle pas pour quelque chose également ?
Bien sûr, il est certain qu’il y a un manque évident de technicité et de fonds alors qu’il y a un marché disponible. Le problème, c’est qu’aujourd’hui la mondialisation envahit nos marchés avec des produits extérieurs moins chers, à la portée de tous, et avec un plus large choix. Du coup, c’est notre artisanat, le savoir-faire de la montagnarde, qui se perd.
La femme de montagne devrait-elle donc, elle aussi, faire intervenir des moyens modernes dans ses créations ?
Bien sûr que non ! Ces femmes passent des jours et des nuits à tisser, et ce qui est merveilleux c’est ce côté rituel. Avant de commencer un tapis, les femmes le signent d’une croix en disant « adeloul » (elle va naître) ; et puis, il y a les motifs. Ce ne sont pas des dessins quelconques, c’est la mémoire d’une tribu, une forme d’écriture. Et c’est la même chose pour les bijoux. Le motif de base est souvent une croix, à laquelle on ajoute des ornements, cela nous rappelle notre patrimoine, le christianisme, le judaïsme. Ce qui est évidemment mal vu dans un état musulman. Pour moi, la tisseuse de tapis, c’est aussi une tisseuse de rêves. En même temps qu’elle tisse, elle raconte des contes et transmet sa culture à ses enfants.
Quelle serait, alors, la ou les solution(s) pour assurer la survie de la culture berbère ?
En fait, je regrette que les gens ne voient pas ce tapis comme une Ĺ“uvre d’art plutôt qu’un simple objet de décoration. Sur le marché, il devrait être mis en concurrence avec un tableau, une sculpture, mais pas avec un tapis industriel. Ces tapis doivent être signés pour ne pas partir à l’étranger dans l’anonymat ; l’origine devrait y apparaître aussi. Il faut absolument faire la promotion culturelle et linguistique de nos régions de montagnes, ouvrir des musées pour exposer notre artisanat, notre art. Il faudrait aussi des ONG qui se dédient à jouer un rôle d’intermédiaire entre les productrices et le marché, car le plus souvent les tapis sont achetés et revendus par des privés et les tisseuses ne touchent qu’un dixième de leur valeur finale, alors qu’elles y ont investi du temps et de l’argent. Elles pourraient aussi créer un site web pour les vendre elles-mêmes directement. Mais intervient ici le problème de l’analphabétisme. La femme rurale est aussi victime d’analphabétisme, elle ne sait pas non plus de comment recourir à la médecine pour soigner ses enfants ; tout cela parce que la montagne est une zone enclavée et elle n’a pas accès aux infrastructures.
Quelles actions avez-vous menées pour y remédier ?
De mon côté, je compte créer une association qui ciblera particulièrement les femmes rurales pour les informer et les former, en puériculture par exemple. L’association El Amane (l’eau) vise à améliorer la situation de la femme, à l’intégrer dans le développement, à mettre à sa disposition des services sociaux, juridiques, sanitaires, économiques, culturels, à l’éduquer à la citoyenneté et, bien-sûr, à la défense de ses droits. Cela se fait, par exemple, à travers des demi-journées de formation ou d’information sur la contraception. On leur montre des reportages, sur la femme au Tibet, par exemple. On voit son mode de vie, on cherche des points communs avec le nôtre et on en tire des enseignements. Il est très important que la femme rurale soit intégrée dans le développement des montagnes car elle connaît le milieu, et elle a le savoir-faire pour le dompter.
Quelques mots sur le futur…
Je suis très optimiste, avec la synergie de tous nos efforts nous pourrons palier aux problèmes dont souffre la femme rurale et la communauté amazigh en général ; c’est pourquoi nous avons tous répondu présents, aujourd’hui, à la première Rencontre des Peuples de montagnes d’Afrique du Nord, pour nous retrouver et nous unir.
evolução cultural e mudança social, cultura tradicional, valorização da cultura de origem, conhecimento prático, papel das mulheres, fortalecimento dos grupos de base
, Marrocos
Les peuples de montagne dans le monde
Cet entretien a été réalisé par ALMEDIO Consultores avec le soutien de la Fondation Charles-Léopold Mayer pendant la rencontre régionale organisée par l’Association des Populations des Montagnes du Monde - APMM.
Entrevista
Entretien avec Fatima Itri, enseignante en littérature française membre de l’association El Amane pour le développement de la femme
Ighoudame, B.P. 118, Iframe, MAROC - Tel.: \(+212) 35 66 32 02 - af.ghodane@yahoo.fr
Association El Amane pour le développement de la femme, 203, Derb El Guebesse Syba, Marrakech-40 000, MAROC - Tel.: \(+212) 44 40 43 79 - aedfmarrakech@yahoo.fr
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