Contexte
Depuis le milieu des années 1970, la lutte populaire pour que les habitants puissent rester dans le Centre ville a été à l’origine de la création de diverses organisations sociales qui ont développé, depuis lors, des formes de lutte et de résistance contre les expulsions des locataires. Le Centre Historique n’a pas été le seul théâtre de confrontation de cette lutte, mais il est celui qui illustre le mieux cette expérience.
Le Centre Historique de la Ville de Mexico, d’après le décret officiel du 11 avril 1980 par lequel il s’est appellé « zone de monuments historiques », couvre un espace de 9,1 km2 avec 668 patés de maisons divisés en deux périmètres :
À, avec 3,7 km2, qui correspond à la ville depuis ses origines préhispaniques jusqu’à la fin de l’époque virreinale
B, avec 5,4 km2, qui comprend les extensions de la ville jusqu’au dernier quart du XIXe siècle.
Dans ce Centre Historique, on trouve approximativement 7 000 immeubles, dont 1 500 à 2 000 sont considérés comme patrimoine historique.
Dans la zone du Centre historique, il y avait 349 000 habitants en 1970. Vingt ans plus tard, cette population se réduisait à 189 900 habitants : plus de la moitié de la population est partie. La densité de la population actuelle est de 209 hab/ha, tandis qu’en 1970 elle était de 349 hab/ha. D’un autre côté, la croissance de la population flottante continue, on estime que chaque jour transitent dans le centre de la ville 4,2 millions de personnes.
La politique urbaine d’expulsion des habitants du centre de la ville est une tendance lourde et constante. En ce qui concerne l’utilisation du sol, il suffit de mentionner que la part de l’habitat s’est réduite devant l’utilisation commerciale et les services, au point d’occuper 3,6 hectares en 1997 alors que dix ans plus tôt (1987) l’occupation était de 115,7 hectares. En 1990 le parc de logements du Centre Historique était de 277 200 logements et en 1997 il s’est réduit à 46 864. La densité d’occupation par logement est dans le Centre Historique de 4 personnes par logement. 86 % des logements ont entre deux et trois chambres.
La majorité des habitants du Centre Historique occupent des vecindades dans un état de dégradation avancée et sont entassés dans des logements insalubres. Les vecindades sont des immeubles locatifs construits entre 1880 et 1930. Elles sont considérées comme une variante architecturale de la maison coloniale espagnole, c’est-à-dire un ensemble de chambres organisées autour d’un patio central.
C’est dans ce cadre général que s’est développée une lutte sociale pour la défense du logement dans le Centre Historique qui a atteint quelques moments forts. Au début des années 80, s’est créée la Coordination des locataires de la Vallée de Mexico qui a lancé une lutte contre les expulsions, pour l’expropriation des vecindades et pour une Loi sur les loyers. Cette Coordination a joué un rôle clef dans la lutte pour la reconstruction et la résidence dans les quartiers du Centre Historique après le tremblement de terre de 1985.
L’organisation sociale et la lutte des habitants ont été les principaux facteurs de cette lutte de résistance des locataires. La politique urbaine pour le Centre Historique s’est caractérisée par l’incitation au dépeuplement et la réduction de l’utilisation du sol pour l’habitat, en donnant la préférence aux commerces et aux services. Ainsi, les vieux immeubles qui étaient occupés en logements ont été vidés de leurs occupants presque toujours de manière massive et violente, pour être remodelés et convertis en banques, restaurants, boutiques, bureaux, etc.
Description du processus
Afin de présenter un exemple de notre expérience, on peut citer la vecindad localisée au 36 de la rue República de Salvador, habitée par 35 familles.
Après les destructions du tremblement de terre de 1985, beaucoup d’immeubles affectés sont restés dans l’état, sans la moindre attention des programmes officiels ni des propriétaires. En 1987, grâce à l’initiative de l’Assemblée des Quartiers de la Ville de Mexico (ABcM), nous avons réussi à ce que le gouvernement fédéral puisse créer le FICAPRO (Fideicomiso Casa Propia), un programme pour l’acquisition de logements au moyen d’un crédit destiné aux locataires afin qu’ils puissent devenir propriétaires de l’immeuble qu’ils occupent.
Pour les habitants de l’immeuble du 36 rue Nicaragua (comme pour des milliers d’autres) ce programme a représenté une bonne alternative pour l’acquisition de la vecindad. Depuis 1990, ils avaient résisté — avec la solidarité du quartier- à plusieurs tentatives d’expulsions au cours desquels les habitants se sont opposés pacifiquement à que soit exécuté l’avis d’expulsion, malgré l’intervention de la police. Ils durent aussi parvenir à ce que le propriétaire accepte de leur vendre la vecindad au lieu d’être expulsés par la force.
Les 35 familles du 36 rue Nicaragua réclamèrent le respect de leur enracinement depuis des générations dans le Centre Historique, pour cela ils descendirent dans les rues pour faire pression sur le gouvernement fédéral et local. La mobilisation, la défense de leurs logements, la négociation et la pression pour la réhabilitation de leurs logements furent une constante dans les années de lutte. La résistance aux expulsions fut une lutte pour la défense du droit à la ville, toute famille expulsée de son logement perd non seulement son foyer mais aussi la ville parce que la situation du marché du logement l’oblige à se réinstaller à la périphérie de la ville, elle n’a pas d’alternative.
Le programme FICAPRO a constitué une alternative pour les familles qui louaient leur logement. Cependant, avec les changements que le gouvernement fédéral a fait dans le domaine de la politique du logement pour s’ajuster à la globalisation néolibérale, principalement en ce qui concerne les schémas financiers, ce programme a annulé la possibilité d’accès aux crédits pour les familles de faibles revenus. Les possibilités d’acquérir le logement locatif et de le réhabiliter en faveur des locataires se sont dramatiquement réduites, actuellement les habitants du 36 rue Nicaragua doivent faire face aux conditions imposées par les banques pour « bénéficier » de leur droit à un logement approprié.
Les acteurs impliqués dans le processus et leurs rôles
L’organisation sociale, collective et solidaire a été l’élément central dans cette lutte contre les expulsions dans le Centre Historique. Les possibilités d’affronter de manière individuelle cette situation ont été peu à peu annulées parce que la bataille pour le locatif au niveau des Tribunaux pèse du côté de la corruption des juges. Ainsi, devant une justice qui n’est pas impartiale, l’organisation répond avec la mobilisation et la solidarité des voisins. Le rôle du gouvernement a été d’appuyer avec la force publique l’exécution des avis d’expulsion contre les locataires.
La lutte sociale a inventé des formes de résistance originales devant les cas d’expulsion qui se déroulent de la manière suivante : d’abord il y a une Commission de l’organisation qui s’occupe des jugements rendus contre les locataires. Cette commission oriente et assiste les locataires dans leurs droits et devant les tribunaux. Ensuite, l’organisation développe un réseau d’habitants qui est présent au moment de l’exécution des expulsions. Lorsqu’il y a une tentative d’expulsion, des feux d’artifice sont lancés afin d’appeler le quartier à venir empêcher l’expulsion. La résistance est pacifique, presque toujours. Lorsque l’expulsion n’est pas arrêtée, il y un appel à une mobilisation pour que les cas d’expulsions soient pris en compte dans les programmes du gouvernement.
Dans le processus de réhabilitation des logements, on a recours à la pression sur le gouvernement local afin qu’il donne l’aide nécessaire aussi bien technique que matérielle. Quand on obtient le crédit pour la réhabilitation, on engage des entreprises pour construire. Notre organisation n’a pas développé des formes d’autoconstruction des bâtiments ni utilisé l’assistance technique d’organismes non gouvernementaux. De la même façon, nous n’avons développé aucune expérience avec des programmes internationaux.
Réactions des différents secteurs
L’Assemblée des Quartiers de la Ville de Mexico a été qualifiée par certains moyens de communication (plus précisément par le parti du Président de la République et par le secteur privé) comme une organisation qui provoque le désordre et l’illégalité. Nous avons été faussement accusés à plusieurs reprises de ne pas respecter la propriété privée et de spolier les propriétaires de leurs immeubles. Aux yeux de l’opinion publique, nous sommes considérés comme des « envahisseurs » de logements.
L’image qu’on a voulu créer de notre organisation et du « Superbarrio » (Superquartier) est une image violente et négative. Les dirigeants sont dépréciés, accusés de corruption et soupçonnés de gagner leur vie sur le dos des pauvres. Nos formes de lutte telles que la manifestation sont méprisées. Cependant, ces campagnes de diffamation n’ont pas atteint leurs objectifs, nous avons réussi à obtenir un large appui populaire et, aujourd’hui, la ABcM est reconnue comme un mouvement social légitime, positif et actif.
La lutte que la ABcM a développée dans le Centre Historique a réussi à attirer l’attention du gouvernement fédéral et local. Nous avons présenté des propositions — rarement prises en compte — sur les plans urbains de réhabilitation et de conservation du parc de logements, nous avons développé une présence militante et une résistance dans les quartiers du Centre Historique et, aujourd’hui, le gouvernement local nous reconnait et nous invite à discuter, exécuter et évaluer ses plans et actions.
direito à moradia, despejo, mobilização de moradores
, México, Mexico
Notre expérience de lutte réaffirme que la stratégie populaire pour contenir les expulsions et les déplacements dans le centre historique consiste à renforcer l’organisation sociale, étudier notre propre réalité, élaborer des propositions et alternatives et engager une large mobilisation sociale. La lutte pour le droit à vivre dans le Centre Historique a déjà plusieurs années, beaucoup n’ont pas pu résister et ont été expulsés, cependant il y a des milliers de personnes qui continuent à résister.
Nous savons que les intérêts qui sont à l’origine du dépeuplement du Centre Historique sont très puissants. Nous savons que nous sommes en désavantage face aux groupes immobiliers qui prétendent nous dépouiller de nos racines dans le centre Historique. Nous savons que les plans urbains privilégient le changement d’utilisation du sol. Nous savons que nous dépendons d’un budget social chaque jour plus faible pour permettre l’accès du Centre Historique à tous. Cependant, nous avons la volonté de faire vivre le Centre Historique.
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