Le mouvement et la loi
Nous sommes un mouvement de lutte pour le droit au logement et pour la création de comités de quartier. À Naples et dans la région napolitaine, nous luttons depuis plusieurs années pour faire respecter le droit au logement, en dénonçant la dégradation des quartiers populaires, pour revendiquer la viabilité du territoire urbain.
Derrière notre parole, il y a des dizaines d’années de besoins insatisfaits, des années de sacrifice et de dures protestations. C’est la vie réelle et dramatique de milliers de personnes. Nous sommes les sans-abri de toujours, les victimes d’avant et d’après le 23 novembre 1980, les co-habitants, les résidents des taudis (Vele di Scampia, les caves et les bas-étages dans les quartiers espagnols et de Soccavo), les expulsés pour retard de paiement.
Nous sommes ceux qui n’ont pas de propriété et qui ne peuvent pas payer les prix élevés du «marché libre ». Nous sommes les travailleurs sous contrat et au noir, de la caisse de chômage, les marchands ambulants et les employés des travaux soi-disant socialement utiles. Nous sommes ceux qui sont obligés de vivre dans les grands quartiers périphériques où il y a seulement des bâtiments tristes et rien de plus ; nous sommes les exclus dans les bas-fonds des centres historiques poursuivis par l’humidité et la saleté, la circulation automobile et le bruit.
Notre mouvement affirme une revendication primaire, un droit absolument indispensable pour la survie même — le droit à habiter. Mais dans la société actuelle, ce droit fondamental se heurte aux intérêts de la propriété. Toutes les lois de la réglementation depuis celles relatives à l’expropriation (depuis la première, la Nº 2359 du 25/06/1965) jusqu’à celle de la construction publique et populaire (en commençant par la plus connue, la Nº 167 du 18/04/1962), toutes protègent surtout la propriété immobilière, comme la loi appelée equo canone (loi qui protège les loyers bloqués) ou celle de l’accord sur les loyers.
Sur les occupations par la force
Le point fort du mouvement de lutte pour le droit au logement est le réseau des occupations par la force. La décision d’occuper nait immédiatement comme une condition de lutte et les mêmes occupants constituent, presque toujours, un secteur social extrêmement uni et combatif. Les occupations par la force sont une forme de pression pour cette autre raison : avec elle, le manque de logements n’est plus un simple discours théorique et se drappe d’une réalité dramatique et quotidienne.
De plus, ce sont les occupations qui donnent vie à la thématique du logement comme un des faits centraux de la vie sociale et en conséquence, n’importe quelle proposition générale du mouvement pour le droit au logement peut seulement partir de la résolution sur les occupations par la force. On trouve partout des occupations de logement : en Italie, dans la riche Allemagne, dans les grandes villes américaines.
L’occupation des maisons qui n’ont pas été louées, inhabitées ou en construction s’est convertie en une réalité très diffuse qui implique les familles comme les individus, les travailleurs et les chômeurs, les émmigrés et les jeunes couples.
Cependant les occupations des familles prolétaires de Naples ne sont pas identiques aux occupations des jeunes à Berlin ou à Amsterdam. Les gens qui occupent sont des gens qui vivent non seulement une situation de nécessité, mais qui sont aussi dans une urgence dramatique.
Dans l’histoire des occupations de logement à Naples, il est possible d’identifier deux processus bien définis. Le premier a comme objectif d’occuper les maisons pour y rester, et c’est ce qui se passe avec les grandes propriétés privées. Des exemples significatifs furent l’occupation des maisons appartenant à ICEI Snei, ou après le tremblement de terre, le mouvement de lutte pour la réquisition et l’acquisition du patrimoine public de tous les logements qui n’étaient pas loués dans le Centre Historique de Naples et qui sont la propriété de différents constructeurs : Ferlaino, Sagliocco, Société pour la Renaissance. Dans des cas similaires, il y a une dure confrontation avec les droits à la propriété qui ne s’est pas toujours soldée par la victoire des mouvements de lutte.
On ne réussit pas toujours à faire passer les logements du privé au public, même lorsque les réquisitions des logements vides ont duré plus de 10 ans, car une fois ce temps écoulé, les logements occupés sont restitués.
L’autre processus d’occupation fut plus compliqué : dans les maisons appartenant au secteur public (IACP, municipalité ou coopératives), sur lesquelles existent des hypothèques pour ceux qui ont reçu les logements légalement, on ne peut pas prétendre que l’objectif ait été atteint, mais c’est définitivement une occupation pour exercer une pression.
Afin d’éviter l’inutile et dommageable guerre entre pauvres, le mouvement des occupants peut promouvoir la proposition générale de lutte et obliger les institutions publiques à acheter ou construire de nouveaux logements publics, ou récuperer des logements vides ou même de restaurer ceux qui sont dégradés ou abandonnés.
L’expulsion des travailleurs du Centre Historique de la ville : de la menace à l’exécution
Depuis plus d’un siècle, les quartiers du Centre Historique de la ville sont soumis à un lent mais inexorable processus de restructuration, dans le but d’évacuer les groupes populaires. Ce sont les quartiers MonteCalvario, San Giuseppe Porto, Avvocata, Pendino, San Lorenzo, Stella, San Carlo all’Arena. À un certain moment, ils furent occupés par des travailleurs, mais désormais c’est une population qui y vit seulement de manière sporadique (Recensement ISTAT de la population, années 1970-1990).
À la place de l’actuelle rue Nuova Marina et rue Cristoforo Colombo où étaient les maisons et les barraques des pêcheurs, on trouve aujourd’hui des banques et des bureaux. Les quartiers espagnols (MonteCalvario) s’étendaient jusqu’à la Place Matteotti, Via A. Diaz y Girolamo San Felice.
L’épidémie qui s’est abattue à Naples à la fin du siècle dernier, a permis aux groupes les plus puissants de commencer un processus de régénération du territoire urbain qui provoqua la démolition d’une bonne partie des quartiers espagnols, précisément ceux cités plus haut. Il faut songer ensuite au facisme qui à la fin des années 20 a commencé à construire à la place des bâtiments démolis, le bâtiment central des Postes, la Préfecture, l’INAIL, la direction des Finances, etc.
À la place des maisons des pêcheurs et des prolétaires, furent édifiés des bâtiments publics et même la Société pour la Renaissance de Naples contruisit des logements, non pas à la place de celles détruites, mais sur le Cours Umberto, all’Arenaccia ou sur le Cours Garibaldi.
Peu à peu, les propriétaires qui avaient été expulsés du centre ancien de la ville ne sont pas venus s’installer dans la périphérie du centre mais au Nord, Est et Ouest de la périphérie (où aujourd’hui surgissent comme des champignons d’immenses quartiers populaires comme le quartier Berlingieri, Amicizia, Ises, Monte Rosa, Don Guanella, lauro et avec les fonds de la loi 167, le quartier Scampia, avec plus de 60 000 résidents).
Le tremblement de terre des années 80 a accéléré cette dynamique dans la ville de Naples et dans la province napolitaine de grandes quantités de fonds publics ont permis la construction de plus de 11 000 logements dans la périphérie de la ville et plus de 30 000 dans la province.
Aucun logement n’a été construit ou acheté dans le centre historique, si bien que les travailleurs provenant du centre ancien de la ville, sont allés vivre dans les nouveaux ghettos de la reconstruction. La révolution urbaine avec une conception fonctionnelle basée sur les intérêts du capital n’est pas encore achevée : il faut encore mettre la main sur ce qui reste des quartiers espagnols.
Les projets « de récupération » de cette zone ne manquent pas ; Cirino Pomocino a eu jadis de brillantes idées avec son projet NeoNapoli et aussi Bassolino. Le « Programme Urbain » avec ses différents financements est seulement discuté par les classiques et célèbres professionnels qui gravitent autour des prestigieuses études d’architecture urbaine.
Récemment, le centre historique de Naples a été déclaré « Patrimoine de l’Humanité » par l’UNESCO. Une telle reconnaissance n’a cependant pas prévu l’investissement nécessaire pour affaiblir la tendance à « libérer » le centre ancien de la présence du prolétariat. Le projet utopique d’annuler la mémoire historique du prolétariat napolitain qui peupla toujours le centre ancien de la ville continue son chemin sans se préoccuper des élus locaux, qu’ils soient de droite, du centre ou de la mafia.
Les intérêts économiques de l’actuelle classe dominante pour défendre et diriger sont toujours les mêmes et sont chaque jour plus puissants. Ils démontrent que nous ne vivons pas dans une société qui se préoccupe de protéger les intérêts de toutes les classes sociales, mais au contraire les seuls intérêts légitimes sont exclusivement ceux qui produisent des rentes financières et parasitaires.
La résistance des travailleurs : confrontation de deux expériences de lutte
La lutte a toujours produit des formes minimum d’auto-organisation de masse.
Souvent, lorsque les luttes diminuent, l’organisation réussit dans une autre phase ou conjoncture à reprendre de nouvelles formes plus avancées que les précédentes. Un exemple pour clarifier : après le tremblement de terre naquit à MonteCalvario (quartiers espagnols) le comité de lutte contre les relogements et l’expulsion des prolétaires du centre historique.
Ce comité a eu la capacité de provoquer un débat public et de masse sur ces thèmes et d’organiser des moments de lutte très significatifs. Il s’est chargé de recenser tous les logements vides existants dans le centre historique de Naples et de demander à la municipalité leur réquisition. Grace à la mobilisation de masse, des milliers de logements vides furent réquisitionnés, mais après quelques années ces logements furent restitués à la municipalité et à ses propriétaires légitimes, naturellement y compris le coût de tous les frais légaux et administratifs.
Le comité de lutte de MonteCalvario n’éclata pas à cause de ses contradictions internes ou par manque d’initiative, il éclata parce que les revendications, qui étaient appropriées à un mouvement de masse, furent assumées par le Parti Guerriglia qui en fit son cheval de bataille. Le niveau d’affrontement lancé par ce parti était trop élevé pour être soutenu par un mouvement de masse qui demandait aux institutions de respecter les lois et qui réquisitionnait toutes les maisons qui n’étaient pas louées.
L’initiative du Parti Guerriglia a eu le grand mérite de déchaîner une furieuse campagne de répression et de criminalisation du mouvement et le résultat final fut la disparition du comité et la défaite du mouvement de lutte contre les déplacements et l’achat de logements vides ou non loués.
En revanche, dans la périphérie — Scampia, Ponticelli et Soccavo — la coordination de lutte pour le droit au logement choisit un chemin différent que l’on peut résumer par le slogan : « Et maintenant, un tremblement social », avec la consigne d’occuper et de défendre toutes les maisons vides ou non louées existantes dans tout Naples. Des milliers de logements de propriété publique furent occupés et toutes les occupations furent défendues férocement. Quelques luttes se sont produites au cours des années passées, parmi lesquelles on se souvient des coordinations de lutte des habitants des «Vele » : après une lutte qui dura plus de dix ans, ils réussirent l’objectif de démolir les «Vele » et d’y construire plus de 1 200 logements résidentiels publics. Une pratique qui s’est reproduite avec succès dans d’autres endroits.
Sur la forme de lutte
Les formes de lutte et d’organisation que les travailleurs ont choisi pour affirmer leur droit au logement et à la dignité ont été à la fois légales et illégales. Ils occupaient et occupent les maisons vides ou non louées et luttèrent et luttent pour n’être pas expulsés, contre les déplacements et contre les expulsions du centre historique tandis que se développait et s’organisait le mouvement de lutte pour les réquisitions et l’acquisition du patrimoine public de toutes les maisons vides ou non louées.
Grâce a notre initiative, naquirent les centres sociaux autogérés et les comités de lutte pour le travail, le salaire garanti et le droit au logement pour faire face à la dégradation, l’abandon, l’exclusion et la marginalisation dans les quartiers populaires de Naples.
Il n’a pas toujours été facile de construire un mouvement de masse qui puisse impliquer dans ses luttes les institutions locales. On peut plutôt affirmer que dans des situations particulières, celles-ci furent absentes ou s’y opposèrent. Les luttes menées par le prolétariat marginalisé de Naples ont, dans certaines phases, créé des moments de tension et des conflits sociaux qui ont explosé de manière violente et qui ont aussi menacé l’ordre public.
À partir de tout ce que les luttes ont réussi, il est utile de conserver les bonnes choses et de réfléchir sur les échecs et les erreurs commises.
Le développement des crises périodiques qui bouleversent le mode de production capitaliste empêche de répondre aux besoins croissants des masses populaires, mais cette dynamique de crise économico-sociale, nous offre néanmoins la possibilité de mettre à nouveau en mouvement le processus de lutte et d’auto-organisation des travailleurs.
Nous devons combattre la marginalité, l’exclusion sociale et le racisme en construisant un nouveau mouvement pour le droit au logement qui implique les travailleurs extra-communautaires, les pauvres et tous les exclus d’hier et d’aujourd’hui.
Nous luttons et nous nous organisons pour construire une société pluriethnique, colorée, ouverte et hospitalière : nous luttons pour construire « le village de l’utopie ». Au lieu de la dégradation et de l’abandon qui marque la vie et l’existence des travailleurs dans les campements, nous voulons construire un lieu habitable, civilisé et socialisant.
La ville pluriethnique, tolérante, ouverte et hospitalière
Dans la région au Nord de Naples, de nombreuses organisations de base et des institutions sont en train de discuter depuis longtemps pour créer et organiser des lieux d’assistance pour les citoyens extra-communautaires, les gitans et les sans domicile fixe.
Des lieux qui ne soient pas des « camps de concentration » ou des « ghettos » où les racistes et les intolérants de toute la ville ne puissent pas laisser aller leurs préjugés raciaux ou xénophobes. Au contraire, nous pensons que ces lieux doivent se changer en lieux de la société et de l’amitié, du travail et de la fraternité. Nous ne voulons pas construire une expérience qui soit un mauvais exemple pour la ville, mais au contraire nous voulons que cette expérience nous rende fiers et se valorise au maximum. Nous pensons que ces espaces doivent devenir des lieux de rencontre entre les cultures, les langues et les différentes traditions, des espaces d’artisanat et de travaux en coopérative, des espaces où il y ait une participation non seulement des organisations de base mais aussi des institutions locales.
Les espaces à utiliser existent et ils ne tendent pas à exclure ou à marginaliser ; le grand problème à affronter et à résoudre est celui qui concerne le financement du projet et la participation des organismes internationaux qui se sont, depuis toujours, engagés à défendre le droit à habiter.
Les idées marchent comme les jambes des hommes : les rêves et les utopies peuvent se changer en réalité si nous réussissons à faire sortir les projets de terre. Les organismes internationaux et gouvernementaux qui s’intéressent au droit au logement, ou sont absents, ou bien mal informés de la réalité napolitaine, et la participation financière qu’ils proposent n’est pas toujours adaptée pour offrir une solution au malaise de l’habitat. Les initiatives et la discussion que nous proposons vont dans cette direction, afin que ce message soit écouté et mis en oeuvre. C’est notre espoir et nous organisons notre participation sociale en fonction de lui.
direito à moradia, população desfavorecida, exclusão pela moradia
, Itália
Artigos e dossiês ; Testemunho ; Manifesto
Les articles de presse, témoignages, tracts et manifestes du mouvement pour la lutte pour le logement.
Unione Inquilini (Union des Locataires Italiens) - Point Focal HIC Europe, 2/ter, via Carlo Bettella, 35133 Padoue, ITALIE - Tél./Fax : 39049617672 - Itália - www.unioneinquilini.it/ - pad48 (@) padovanet.it