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La vitrine des droits : formation au droit des habitants des favelas

Projet de l’ONG Viva Rio (Brésil)

Adriana BOTAFOGO

2003

La région métropolitaine de la ville de Rio de Janeiro est divisée en deux réalités clairement distinctes - "l’asphalte" et les communautés "en manque" (1)-, les deux occupant le même espace urbain, malgré les inégalités sociales qui les séparent. Dans les zones des communautés pauvres prédomine l’absence des services essentiels de santé, d’éducation et l’informalité des relations humaines. Ceci, ajouté à l’absence des pouvoirs publics, est à l’origine de l’appropriation de l’espace de ces communautés par des organisations parallèles à l’Etat, comme les groupes de narcotrafiquants, et la création de "lois" différentes de celles qui prédominent dans le reste de la ville.

Le droit peut être l’un des points d’intersection entre ces deux espaces. En étant utilisé comme un outil d’insertion, il revêt un caractère pédagogique et possède un pouvoir de transformation, dans la mesure où il donne aux habitants des outils pour exercer pleinement leur citoyenneté.

Cette proposition de transformation grâce à la démocratisation du droit a été à l’origine de ce que l’on a appelé la "Vitrine des droits" (2), créée entre décembre et janvier 1996 par des membres de l’ONG Viva Rio, à la demande de 25 leaders communautaires qui ont reconnu la nécessité de mettre en place un projet qui permette aux habitants des communautés pauvres d’avoir accès à la justice.

Le projet a pour principal objectif de "promouvoir la démocratisation des droits, à partir de la diffusion de l’information et de la production de modes plus justes de résolution des conflits, afin de permettre le plein exercice de la citoyenneté, contribuant ainsi à une société solidaire dans le respect de la diversité".

Les consultations juridiques sont réalisées dans des "cellules de travail" installées au sein des espaces communautaires - églises, garderies, associations de voisins, etc. - déjà connus de la communauté. Y sont proposés aux habitants des services de conseil juridique sur leurs droits et devoirs, d’accès au pouvoir judiciaire au travers d’actions judiciaires, et des outils comme la médiation ou la conciliation pour résoudre leurs conflits.

Les équipes de ces "cellules de travail" sont composées d’un coordinateur (avocat ou étudiant en droit), responsable de l’encadrement de l’équipe, d’étudiants en droit rémunérés ou bénévoles et d’un "agent de la citoyenneté", habitant de la communauté ou est implantée la cellule, qui permet d’établir le lien entre le projet et la communauté, ses pratiques, sa culture.

Au départ et pendant les 4 premières années de la réalisation du projet, la consultation juridique était l’unique forme d’intervention dans les communautés. La raison d’être du projet était concentrée dans l’obtention de documents d’état civil et dans la conduite de procédures judiciaires. La résolution des conflits au niveau local se limitait à la conciliation, "important" ainsi le modèle déjà utilisé dans les tribunaux.

L’année 2000 a marqué un tournant dans l’histoire de la "Vitrine des droits". Le projet avait déjà 4 ans et certaines de ses limites se faisaient ressentir. Une évaluation externe réalisée par ISER (Instituto de Estudios de la Religión – Institut d’Etude de la Religion) a été le point de départ d’un débat à la suite duquel la structure et l’organisation du projet ont été modifiées.

Les discussions, à la fois internes et avec les représentants des communautés, ont abouti à la fermeture de certaines "cellules de travail" et l’affirmation de la nécessité d’élargir les actions conduites jusqu’alors. Accueillir et orienter les habitants ne devait plus être l’unique moyen de faire face aux violences et discriminations existantes dans les communautés les plus pauvres. Il était devenu nécessaire de rendre effective la démocratisation de la connaissance du droit et ainsi le plein exercice de la citoyenneté.

En 2001, fût mis en place un projet intitulé "Agents de droits", ayant pour objectif principal la formation de membres des communautés, pour que, à partir de leurs propres vécus et de leur propres langages, puisse se créer une interaction avec le langage du monde juridique trop méconnu. Le projet vise à pouvoir s’approcher des réalités vécues au quotidien par les habitants des communautés, à créer des espaces de travail sur des thématiques juridiques qui puissent servir de référence et d’impulsion pour renforcer leur confiance en eux et permettre une meilleure insertion sociale.

Le projet s’appuie sur le contenu d’un manuel qui aborde 12 thèmes en relation avec le droit, la citoyenneté et la médiation des conflits. 70 "agents de droits", divisés en 4 groupes, ont déjà été formés dans le cadre de ce projet.

“ Balcon des droits ” et l’Université

Travaillant dans le cadre de la "Vitrine des droits" avec des étudiants en droit et des avocats, nous sentions que l’Université était très loin des réalités vécues et du quotidien des Carioca (3); que les étudiants ignoraient tout de la situation des communautés pauvres et que, bien souvent, elles étaient stigmatisées comme des zones où s’affrontaient les bandes de narcotrafiquants et la police. La possibilité de faire rentrer le débat à l’intérieur de l’Université fut pour les membres de l’équipe un grand défi. Cela a généré des résultats positifs, la demande des étudiants en droit pour connaître et travailler bénévolement pour le projet ayant par exemple augmenté.

Les activités liées à la "Vitrine des droits", identifiées comme des propositions d’assurer un enseignement juridique contemporain en association avec les Universités, contribuent à donner une formation générale et humaniste aux étudiants, en valorisant, à travers l’approche des analyses sociales et juridiques, la capacité critique d’interpréter les phénomènes sociaux.

Cette capacité de réflexion se construit à partir d’une constante analyse critique de la pratique au sein de la "Vitrine des droits", c’est-à-dire en faisant le lien entre la théorie et la pratique socio-juridique, à partir de l’étude des expériences individuelles et collectives des membres du projet. Ceci a également vocation à développer une autre potentialité fondamentale chez l’étudiant en droit : celle de savoir travailler en groupe.

De plus, l’actualisation constante des connaissances juridiques et sociales des équipes de la "Vitrine des droits" favorise la compréhension interdisciplinaire du droit et de la société, développant ainsi la capacité de l’étudiant à absorber, critiquer, transmettre et produire de façon créative, à partir des évaluations périodiques de sa pratique professionnelle. Lié à cette actualisation constante, le processus de médiation des conflits stimule la capacité à mettre en Ĺ“uvre des formes judiciaires ou extrajudiciaires de prévention et de résolution des conflits, ainsi que celle de réaliser l’équation entre les demandes individuelles ou sociales et les solutions possibles.

En conclusion, le projet "Vitrine des droits", parvient à rendre effectif l’exercice de la citoyenneté. Les cellules de conseil juridique, l’utilisation de la médiation, la formation des leaders communautaires, facilitent la connaissance par les communautés pauvres des lois, de leurs droits et devoirs ainsi que des instruments qui garantissent leur effectivité.

Partant d’une pratique de paix et d’intégration sociale, le projet cherche à qualifier ses actions en alliant la sphère privée et la sphère publique, en tentant de rendre fondamentale cette association pour former une société dans laquelle il y ait plus de justice sociale. Rendre possible l’application des instruments locaux de résolution des conflits, sans mettre de côté les mécanismes formels déjà existants, a pour objectif de renforcer l’autonomie et l’indépendance des habitants des communautés pauvres dans la recherche des solutions aux problèmes qui les concernent.

On entend souvent dire, parmi les membres du projet et des associations, que le projet "Vitrine des droits" est plus qu’un espace alternatif d’accès au pouvoir judiciaire, de résolution des conflits, d’apprentissage et de discussion sur les droits et devoirs ; qu’il est une véritable porte ouverte à l’exercice de la citoyenneté, un espace communautaire favorisant la construction d’une culture de paix et de solidarité.

1 Traduction du brésilien "carentes"
2 Traduction du brésilien "Balcaõ de Direitos"
3 Habitants de Rio de Janeiro

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