Realizado por Federico Rossi
02 / 2005
Les jeunes du monde entier affichent un refus croissant de la politique institutionnelle et de ses acteurs classiques de prédilection. C’est pourquoi beaucoup affirment que nous sommes face à une jeunesse apathique. Dans cette étude nous chercherons à démontrer pourquoi cette affirmation reste partielle et ne reflète aucunement la complexité sous-jacente des causes de l’engagement politique et des formes de participation que la jeunesse développe dans le monde contemporain. Comme l’affirme Heike Kahl, directrice de la German Children and Youth Foundation (1) : « Si les grandes organisations classiques comme les Scouts ne sont pas les structures que les jeunes préfèrent pour s’organiser, ce n’est pas un problème lié aux jeunes… » (entretien), le problème vient des adultes qui les dirigent et des organisations elles-mêmes.
L’hypothèse de travail consistera à expliquer que, dans la mesure où les jeunes eux-mêmes interprètent leur condition de jeunes comme quelque chose de transitoire, l’engagement des jeunes ne représente pas une fin en soi. Elle est considérée comme un moyen pour atteindre quelque chose de plus important, une sorte de rôle social que l’individu assure dans les relations sociales dans lesquelles il est immergé. En ce sens, la jeunesse ne structure pas l’engagement politique, elle ne crée pas d’acteurs ni de projets politiques, mais des modes de vie (ou des sensibilités) plus significatifs et qui deviennent donc des codes et des langages partagés. Dans la mesure où les individus jeunes ne sont pas « fidèles » au collectif, mais aux « causes », ils apportent un sens nouveau aux organisations et aux collectifs qui sont présents dans leur vie. Il s’agit là de formes d’engagement qui s’appuient sur les résultats effectifs, et sur l’idée qu’il n’est pas nécessaire de se soucier de soutenir un rassemblement s’il ne donne pas les résultats espérés. C’est pourquoi les jeunes individus ne s’engagent pas politiquement en introduisant dans l’espace public un nouveau clivage politique (le clivage générationnel). En revanche, ils ont plutôt tendance à se regrouper entre semblables, en se reconnaissant dans leur spécificité, et comme faisant partie d’un ensemble (leur unicité).
Nos sources empiriques
Notre recherche est basée sur l’étude de plusieurs cas recueillis entre mars 2004 et février 2005. Pour ce faire, nous avons réalisé 43 entretiens semi-directifs, dont 55,8 % auprès de jeunes militants dotés d’une grande expérience dans le domaine national ou international, et 44,2 % auprès d’adultes qui travaillent comme responsables des principales organisations pour et avec les jeunes du monde entier (nous citerons leurs noms quand ils apparaîtront dans le texte). Les entretiens ont été réalisés individuellement par téléphone ou via Internet (ces derniers incluant des questions ouvertes et fermées) à des personnes issues des pays suivants : Afrique du Sud, Allemagne, Algérie, Argentine, Australie, Biélorussie, Brésil, Canada, Chine, Colombie, République Démocratique du Congo, Equateur, Salvador, Espagne, États-Unis, Philippines, France, Inde, Iran, Kenya, Liban, Macédoine, Mozambique, Panama, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paraguay, Russie, Suède, Sri Lanka, Tanzanie, Uruguay et Zimbabwe. Tous les entretiens ont été réalisés entre mars 2004 et février 2005, à l’exception d’un seul, réalisé en partie personnellement lors de l’International Youth Foundation (IYF) 13th Annual Partner Network Meeting (2) (Washington, octobre 2003) et de la Youth Action Net Meeting (3) (Baltimore, octobre 2003). Les entretiens individuels – à l’exception du cas sus-mentionné – ont été réalisés à Paris, Buenos Aires et Porto Alegre. Les résultats de l’étude s’appuient également sur une observation des comportements pendant le Forum Social Mondial (FSM) 2005 et pendant le 5è Campement Intercontinental de la Jeunesse (Porto Alegre, janvier-février 2005), l’Assemblée Mondiale Annuelle de l’Association pour la Taxation des Transactions pour l’Aide aux Citoyens (ATTAC) (Porto Alegre, janvier 2005), et l’IYF 14th Annual Partner Network Meeting (4) (Buenos Aires, octobre 2004). Nous avons également utilisé du matériel fourni par les personnes interrogées, le matériel obtenu depuis les sites Internet pour les cas et les exemples mentionnés, le matériel rassemblé pendant l’International Youth Parliament (5) (IYP) (Sydney, octobre 2000), le Student’s Forum 2000 (6) (Prague, juillet 2001), les IYF Annual Partner Network Meeting 2003 et 2004, le FSM 2005 ainsi que le matériel gracieusement fourni par un participant aux Alliance of Youth CEOs – UNICEF Experts Workshops on Child and Youth Participation (7) (Genève, novembre 2003).
Remerciements
Nous tenons à remercier très cordialement Sergio Balardini, Andrés Beibe, Nicole Breeze, Alberto Croce, Luis Dávila, Juliette Decoster, Daniel Espíndola, Nicolas Haeringer, David Hornbeck, Sofiah Mackay, May Miller-Dawkins, Bill Reese et Joop Theunissen pour leur soutien, leurs encouragements et leur collaboration qui se sont avérés très précieux pour nous.
La réalisation de ce travail n’aurait pas été possible sans le soutien désintéressé de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme. Nous lui en sommes sincèrement reconnaissants.
Plan du rapport : deux lectures sont possibles
Même si chacun des documents qui composent cette recherche peut être lu de façon indépendante pour l’étude d’un cas ou l’analyse de dynamiques spécifiques, ils ont été conçus comme faisant partie d’un ensemble plus large. À travers les textes, le lecteur pourra comparer les différentes formes d’engagement politique propres aux jeunes ainsi que les contextes dans lesquels elles s’inscrivent. Néanmoins, il est possible d’effectuer une lecture indépendante de chaque document, quel que soit l’ordre (à l’exception du document : conclusion provisoire sur la participation de la jeunesse). Nous conseillons toutefois aux lecteurs intéressés par l’analyse de tous les cas de suivre le schéma présenté ci-dessous. Certaines hypothèses importantes permettant d’approfondir l’analyse de chaque document sont également développées dans les sections suivantes.
La condition de jeunes
La série de 14 fiches est structurée en trois chapitres. Chacune de ces fiches aborde des perspectives d’analyse différentes. Dans une première partie (document « La condition de jeunes face aux transformations de la société »), nous analyserons les transformations que « la matrice sociopolitique classique » a subi, ses acteurs principaux, ainsi que l’action collective. Nous étudierons également les effets sur les parcours biographiques et la fin de la linéarité entre le cours biologique et le cours biographique de la vie. La conclusion du document présente enfin une définition de la condition de jeunes.
Analyse des cas
Dans une deuxième partie nous nous concentrons sur l’étude détaillée de différents cas d’organisations ou de rassemblements sociaux, culturels et/ou politiques. Au regard des transformations que nous avons abordées dans la première partie (« La condition de jeunes face aux transformations de la société »), et des particularités de la condition de jeunes dans la société post-moderne, il apparaît moins évident d’affirmer l’existence de la jeunesse comme un acteur unique et homogène. Cette multiplicité d’individus, représentée par des identités diverses, certaines transitoires, d’autres permanentes ou choisies, n’est pas organisée – comme la matrice classique la présentait – par un principe centralisateur. C’est pourquoi, le fait « d’être jeune » ne constitue pas un acte politique car il n’est pas ainsi organisé au sein de l’espace public.
Nous mettrons toujours l’accent sur l’individu jeune et son rapport au collectif. Nous constaterons en quoi une organisation idéale pour la participation de la jeunesse n’existe pas. Chaque mode de participation dépend des objectifs auxquels les individus engagés veulent aboutir et des principes auxquels ils se réfèrent. De façon générale, comme nous pourrons le constater grâce à l’analyse de cas, les jeunes s’engagent politiquement à travers des occasions, des organisations, des idées, des projets ou des réseaux spécifiques qui leur permettent de façonner leur identité et leurs formes d’engagement. Dans la plupart des cas, cela se produit de façon trans-générationnelle, mais aussi parfois entre semblables (comme les tribus urbaines). Les cas que nous allons étudier ont été choisis parce qu’ils représentent des modèles renvoyant à différents types d’organisations et à différents espaces de participation. Ils permettent également de fournir des exemples plus larges sur les formes d’engagement politique de la jeunesse. La comparaison de ces cas et des analyses avec les résultats obtenus par d’autres chercheurs démontrera la pertinence de nos déductions. Ce chapitre est structuré par cas, chacun rattaché à un document, à savoir :
« L’engagement des jeunes au sein d’ATTAC Argentine »
« Les jeunes dans un mouvement social local : Les Amis de Talas »
« L’engagement des jeunes dans un contexte rural : la communauté Klampun en Papouasie-Nouvelle-Guinée »
« Les mouvements transnationaux et le défi du « net-activisme » : le cas d’Amnesty International »
« Vivre son engagement sur le terrain: le militantisme des jeunes dans des groupes autonomes »
« Tribus urbaines : le potentiel de l’engagement en mode contre-culturel »
« Agir en réseau, le partage dans les forums : l’expérience de l’International Youth Parliament »
Les cas analysés nous permettent d’affirmer que les jeunes ne se présentent pas dans l’espace public en marquant une différence générationnelle conflictuelle. Bien au contraire, malgré les distances entre un cas d’engagement dans le contexte d’une société rurale de clans en Papouasie-Nouvelle-Guinée et le militantisme alter-mondialiste de l’Association pour la Taxation des Transactions pour l’Aide aux Citoyens (ATTAC) nous constatons qu’il existe des sensibilités communes qui se traduisent par des formes d’engagement – représentées par les différentes conditions de jeunes – affichant diverses ressemblances. Afin de relever ces points de convergence vous trouverez un certain nombre de questions récurrentes pour les cas présentés dans ce chapitre : Quel est l’élément qui incite le plus fréquemment les jeunes à s’engager politiquement ? Comment les jeunes participent-ils dans chaque type d’organisation ? Un type d’organisation les intéresse-t-il davantage ? Lequel ? Pourquoi ?
Ainsi nous considérons que les attentes sociales et les motifs personnels qui poussent les jeunes à la participation étant tout autres, il conviendrait de s’appuyer sur des formes diversifiées d’engagement réel pour dynamiser leurs mouvements et répondre à leurs besoins. À travers différents cas nous analyserons empiriquement les réponses à ces questions. Nous tirerons ainsi des conclusions générales (exposées de manière synthétique dans le document intitulé : « Conclusions provisoires sur la participation de la jeunesse » qui nous permettent de mieux comprendre comment les jeunes s’engagent politiquement et comment ils conçoivent une participation efficace (régulière ou ponctuelle ; au sein d’institutions nouvelles ou classiques, locales, communales ou internationales ; au sein de rassemblements informels et/ou pour des objectifs ponctuels ou encore de façon virtuelle).
Analyse des dynamiques sociopolitiques
Dans la troisième partie, nous mettrons l’accent sur les dynamiques sociales et politiques dans lesquelles les jeunes sont immergés. Ce chapitre, moins vaste que le précédent, a pour but d’attirer l’attention sur quatre dimensions clés qui doivent être prises en compte dans l’étude de l’engagement de la jeunesse pour ne pas isoler l’individu de son environnement relationnel et socio-historique. Nous analyserons l’engagement des jeunes selon une approche macro-sociétale à travers une série de cas. C’est seulement en procédant ainsi que nous atteindrons une compréhension raisonnée de notre objet d’étude : comment l’engagement des jeunes s’inscrit dans le cadre de processus politiques et de relations sociales plus vastes.
Nous développerons brièvement quatre axes principaux correspondant à quatre questions transversales à inscrire dans le débat sur l’engagement politique de la jeunesse. Chacun de ces axes sera étudié en prenant en compte les dynamiques prédominantes (ou qui prédominaient dans le passé) dans différents pays, sans approfondir les évènements historiques. Il s’agit tout simplement d’extraire de ces évènements les éléments qui illustrent les quatre axes. Contrairement au chapitre précédent, nous chercherons dans ce chapitre à enrichir l’analyse développée précédemment, en évitant d’isoler l’individu jeune des spécificités de son contexte. Les quatre axes, organisés en trois fiches, sont :
La fiche : « Voter uniquement en situation de crise : le Chili et la Slovaquie en perspective comparée » ; destinée à l’analyse des fluctuations dans la participation électorale des jeunes
La fiche: « L’intégration politique de la jeunesse et les cycles de protestation » ; dans laquelle nous explorons – d’après les expériences de l’Afrique du Sud et de la Thaïlande – le lien avec les dynamiques politiques, les cycles de protestation et l’éducation comme le seul élément fédérateur de la jeunesse
La fiche « Participation soumise à autorisation : des jeunes dans des contextes autoritaires et/ou associatifs » ; basée sur l’analyse des relations entre l’État et la société comme outil de compréhension des formes/possibilités de participation pour les jeunes dans leur contexte spécifique (cas de Chine et Singapour).
C’est pourquoi, si – comme nous tenterons de le démontrer – l’action collective et/ou l’acte politique individuel (par exemple, voter) ne découlent pas de la condition sociale (le fait d’être jeune), mais plutôt d’un degré systémique de problèmes (les dynamiques sociales et politiques et leurs conjonctures de crise), la question qui tiendra lieu de guide à cette partie sera : Dans quelles conditions conjoncturelles (et sous quelles restrictions) les éléments de la condition de jeunes sont-ils susceptibles d’agir pour transformer les jeunes en acteurs d’une action collective (ou d’un acte électoral) ?
Conclusion
Finalement, dans la conclusion : « Conclusions provisoires sur l’engagement de la jeunesse », nous développerons de manière théorique les résultats exposés dans les onze documents d’analyse empirique afin de proposer des réponses aux questions formulées dans les deux parties précédentes, ainsi qu’à la question : Pourquoi les nouveaux mouvements sociaux semblent-ils plus attrayants que les acteurs classiques pour les jeunes politiquement actifs ?
Ensuite, nous présenterons des arguments sur la possibilité (ou l’impossibilité) de constituer un mouvement social jeune, sous-tendu par une “conscience générationnelle”. Nous clôturerons le rapport de recherche par un appel à une reformulation des idées préconçues sur l’engagement de la jeunesse.
[Ce dossier est également disponible en espagnol : La juventudes en movimiento : informe sobre las formas de participación política de los jóvenes ]
La condition de jeunes face aux transformations de la société
L’engagement des jeunes au sein d’ATTAC Argentine
Les jeunes dans un mouvement social local
L’engagement des jeunes dans un contexte rural
Les mouvements transnationaux et le défi du « net-activisme »
Vivre son engagement sur le terrain
L’engagement par la discrimination positive
Agir en réseau, le partage dans les forums
Voter uniquement en situation de crise
L’intégration politique de la jeunesse et les cycles de protestation
Participation soumise à autorisation
La participation et l’engagement de la jeunesse