Cochabamba - Bolivie, 16 octobre 1991, Lucho est catégorique : « si on me demande d’écrire, on n’aura pas fini en 1993 ! »
Pour lui chaque rapport, chaque document à produire est un drame. « Ecrire, c’est pas mon truc ! » Avec son sens des responsabilités il ne s’en décharge pas trop sur les autres et il fait quand même le minimum, en souffrant.
Pourtant, son expérience d’ingénieur civil chargé des rapports avec l’organisation paysanne est une des plus riches qui soit et mérite d’être partagée dans notre premier livre de capitalisation d’expérience du Priv. Nous commençons donc par lui offrir toutes sortes d’aides.
Nous le surprotégeons même au début. Je m’institue co-auteur de sa partie pour lui garantir qu’il en sortira quelque chose : soit il produit ce qu’il peut et je complète, soit il me raconte et j’écris. Ses multiples occupations sont prétextes à bien des déviations.
Peut-être a-t-il été piqué au vif par notre empressement, peut-être est-ce l’ambiance de l’équipe et son émulation : pendant des heures il s’enferme pour réviser ses notes et ses témoignages, en extraire les faits et les messages, trouver un fil et un sens à l’ensemble. Puis commence un long va-et-vient. A chaque temps libre il s’isole, pétrit une idée, jette quelques paragraphes sur le papier, revient en débattre ou me demander de les lui transcrire à l’ordinateur.
Trois semaines passent ainsi. Nos délais impératifs, sans lesquels nous en serions encore à nous dire qu’il faut commencer, deviennent pressants. Maintenant en confiance avec lui-même et avec nous, Lucho est d’accord pour essayer une accélération : il me dicte directement à l’ordinateur. Essai probant : c’est donc avec Loyda qu’il continue, dictant, discutant, corrigeant.
30 novembre 1991 : Lucho boucle en trois jours un dernier chapitre plein d’idées et de verve.
Fin octobre 1993 : de passage chez moi Lucho me confie qu’il prépare tranquillement une nouvelle publication pour partager les nombreux nouveaux acquis et élargir les précédents. Motivé par les idées qu’il a émises dans un simple rapport, il façonne peu àpeu son apport, entre deux réunions et deux sessions de terrain, sur son ordinateur portable de gérant de projet.
Le traumatisme de l’écriture est commun à une majorité de nos collègues de terrain. Si Lucho s’en est sorti peu à peu, c’est d’abord et avant tout parce qu’il avait beaucoup à dire et parce qu’il avait envie de le dire.
C’est aussi grâce à l’aide reçue qui lui a permis de sentir le défi et de vouloir le relever tout en ayant confiance qu’en aucun cas l’effort ne serait vain, tout en essayant peu à peu différentes techniques.
C’est aussi beaucoup parce qu’il a commencé à y sentir du plaisir, celui de trouver des manières de dire qui soient riches de sens et en même temps de joies de toutes sortes, celui de se savoir lu avec plaisir. Y a-t-il un style libérateur ? En tout cas, pour lui comme pour nous, l’un des plus beaux commentaires que nous ayons reçus pour ce livre c’est « qu’il se lit comme un roman ! »
communication, méthodologie, capitalisation de l’expérience
, Amérique Latine, Bolivie, Cochabamba
Avant Lucho, après Lucho, j’ai eu bien des occasions d’accompagner ces processus de libération de l’écriture pour mieux capitaliser l’expérience. C’est un long travail tout en nuances qu’il me serait impossible d’expliquer pour l’instant sans tomber dansdes réductions schématiques et dangereuses. Mais c’est souvent un travail indispensable pour que les acteurs eux-mêmes puissent s’ériger en auteurs.
La capitalisation du PRIV:Proyecto de Riego Inter-Valles (Cochabamba-Bolivie, Coopération Allemande) s’est faite sur un budget de la GTZ. Le livre: « Dios da el agua, ¿qué hacen los proyectos?", Hisbol-Priv, La Paz 1992, 250 p.
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: Traumatismo y liberación de la escritura »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento