Joséphine NDIONE, Benoît LECOMTE
04 / 1998
Joséphine Ndione, GRAIF (Groupe de Recherche et d’Appui aux Initiatives Féminines) : "Au début (1993), on avait démarré avec 22 classes, avec 22 facilitateurs. On a fait un programme sur 3 années et ces facilitateurs ont été formés par l’association ASAFODEB (Association Sénégalaise d’Appui à la Formation pour le Développement à la Base). Au bout de 3 ans, on s’est rendu compte que parmi eux certains ont un niveau élevé et sont capables de devenir des formateurs. On en a choisi trois auxquels on a donné une formation complémentaire en pédagogie et en animation et depuis décembre 1996, ces trois formateurs assurent la formation de 7 nouveaux facilitateurs. En plus des formateurs, on a également deux superviseurs issus des 22 anciens facilitateurs. Ils assurent le suivi du programme d’alphabétisation dans les villages. On a 10 traducteurs de documents (ceux qu’on avait conçus en français sur la technique de culture de manioc et sur la banque de céréales de Thialy). Actuellement, on a 35 classes d’alphabétisation dans les villages.
Les alphabétiseurs sont rémunérés sur le programme, par des indemnités de campagne pour six mois. Les formateurs sont en même temps facilitateurs parce qu’ils tiennent des classes dans leur village mais en plus assurent la formation deux fois dans l’année : 21 jours d’initiation et, au mois de juillet ou d’août, 15 jours de recyclage. Les superviseurs, eux aussi ont des classes dans leur village. Cette année, ils ont fait simultanément le suivi avec leur formation. Tous sont des paysans, hommes et femmes (40 pour cent) originaires du village et vivent au village.
Le travail des traducteurs de documents est ponctuel pour le moment, mais on pense qu’à l’avenir ils auront peut-être beaucoup de travail. On a traduit 3 documents et cela a pris beaucoup de temps. On va concevoir des fiches sur des contes, les proverbes en sérère et en wolof. Tout cela sera leur travail. Pour les traductions, on leur envoie individuellement les documents et chacun fait un premier travail personnel. D’abord chacun travaille individuellement parce que si tout le monde est ensemble, certains vont travailler plus que d’autres. Comme chacun sera indemnisé, on fait transpirer chacun chez lui avant. Après, on les regroupe et on les divise en 3 groupes de travail. Puis on fait une plénière pour la restitution et on discute sur le document.
Les traductions sont utilisées dans les classes d’alphabétisation au moment où les femmes savent lire. Actuellement, on a un bon nombre de femmes qui savent lire. Nous achetons aussi des documents. Mais si elles lisent les documents qu’elles ont conçus elles-mêmes, c’est beaucoup plus intéressant pour elles. Le contenu de ces documents-là vient des rencontres-échanges qu’on a organisées avec les femmes. C’est plus motivant de lire quelque chose venu de notre expérience. La première version est en français. Elles sont contentes de pouvoir les lire dans leur langue.
Les documents que nous achetons, on les redistribue dans les classes. On procède ainsi : si le document est acheté à 750 CFA ou 800 CFA, on leur demande 250 CFA (2,50 FF) et le reste est financé par le fonds d’appui aux classes d’alphabétisation. Pour le moment on n’a pas encore acheté de livres techniques, on a surtout des livres de calcul et de lecture.
Nous en sommes à la 5ème année de l’alphabétisation. Un nombre important de femmes savent lire et écrire correctement. Ce que cela change ? Elles sont fières de pouvoir lire, écrire, de pouvoir prendre des notes, de faire les comptes-rendus de leurs réunions en wolof, de gérer avec leurs cahiers de comptes. Certaines des femmes de groupements ont dit : "Depuis des années, on a toujours travaillé, on a toujours eu des caisses villageoises mais elles étaient tout le temps détournées par les hommes parce qu’on ne savait pas écrire ni calculer. Mais depuis qu’on a fait l’alphabétisation, on a 5 cahiers dans le groupement qui sont gérés par les femmes et chaque sou qui rentre dans le groupement est mentionné dans chacun de ces 5 cahiers. Cela fait qu’aucun sou n’est plus détourné". Les hommes ne gèrent plus, les hommes n’écrivent plus; les femmes gèrent, écrivent et gardent leur argent. Maintenant, elles se disent indépendantes par rapport aux hommes et cela les aide beaucoup dans la gestion, et même dans les comptes, pour leur petit commerce.
Certaines femmes ont dit que sur le plan nutritionnel, elles arrivent à surveiller la courbe de poids de leur enfant. Avant, elles avaient un carnet mais ne savaient pas de quoi il s’agissait. Maintenant, quand on pèse les enfants, elles savent lire le poids et interpréter la courbe de poids de leur bébé : si l’enfant a progressé, s’il a perdu du poids ou s’il a chuté. Actuellement, elles voient l’utilité de l’alphabétisation dans les pesées et la nutrition des enfants. Elles peuvent les contrôler".
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, Sénégal, Thies
L’alphabétisation est un besoin né des difficultés éprouvées au village par les femmes pour gérer les activités de leurs groupements. Sauf la formation initiale des facilitateurs villageois apportée il y a 5 ans par cette ONG du sud spécialisée, le programme est entièrement aux mains des villageois(es) dont certain(e)s sont désormais formateurs, traducteurs en langues locales et superviseurs. Les effets sont immédiats et changent la place de la femme alphabétisée dans sa famille et dans son village.
Notre interlocutrice a été plusieurs fois interviewée depuis 1994. Elle s’attache à présenter les appuis de son association à la condition féminine, en soulignant le rôle des villageoises dans la démarche de changement entreprise.
Voir aussi les interviews de J. NDIONE, fiches DPH n° : 5.228; 5.229; 5.230; 5.236.
Entretien avec NDIONE, Joséphine, réalisé à Thiès en décembre 1998.
Entretien
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