On pourrait imaginer une capitalisation d’expérience s’élaborant sous forme de « version officielle » de la part de l’institution qui l’a conduite. D’ailleurs il en existe. Cependant, dans nos propres pratiques en la matière, nous avons systématiquement cherché à y échapper. Pourquoi ?
Les expériences qui nous apportent le plus sont souvent assez conflictives, pléthoriques de déchirements et de révisions douloureuses qui ne sont pas vécus de la même façon par tous. Or les versions officielles se construisent très souvent à base de consensus, ou bien de structures idéologiques ou de pouvoir préétablies et difficilement sujettes à débat.
Le consensus est parfois l’oeuvre d’une recherche vaste et ouverte. Il est le plus souvent une sorte de plus petit commun dénominateur entre tous les participants. Il devient alors un appauvrissement, ce qui n’est pas si grave lorsque l’on veut défendre ou projeter une certaine image, mais qui le devient lorsqu’il s’agit de produire des connaissances et d’entrer au dialogue sur celles-ci. Or nos versions officielles sont fréquemment des modèles de langue de bois.
Il en est de même lorsque cette version officielle dépend trop d’intérêts idéologiques ou personnels : on n’y examine que ce qui ne remet pas en cause les structures essentielles; celles-ci restent tabous; tout au plus peut-on y entrevoir des améliorations, des approfondissements. Les menaces explicites ou implicites de mise à l’index ou de licenciement brident la capitalisation d’expérience et donc la production de connaissances.
Les versions personnelles et assumées individuellement par leurs auteurs ne sont pas pour autant des panacées. Elles ont bien des limites. Mais elles offrent une plus grande ouverture, même s’il est parfois plus difficile de s’y retrouver ensuite dans chaque processus d’expérience.
recomposition du savoir, méthodologie, capitalisation de l’expérience
, Amérique Latine
Il ne s’agit pas de nier l’utilité d’une « version officielle » qui offrirait ce en quoi coïncident les acteurs et même ce en quoi ils divergent. A mon avis il s’agit de priorités et de contextes.
Des capitalisations personnalisées peuvent très bien déboucher sur une version commune et officialisée. Mais il convient le plus souvent de commencer par les premières. Car les besoins de recomposition du savoir exigent aujourd’hui de ratisser le plus large possible afin de trouver des pistes. Car les hiérarchies de savoirs et de logiques sont encore très fortes et tendent à dévaloriser, dans les versions officielles, des apports substantiels, aujourd’hui incompréhensibles ou inexploitables mais qui seront sans doute essentiels d’ici quelques années.
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: Peligros de la versión oficial »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento