12 / 1999
Je suis ingénieur électronicien. Après mes études je suis rentré chez IBM et y ai travaillé pendant trente ans. J’y ai eu successivement six ou sept activités différentes et j’ai terminé dans la vente comme manager commercial. A l’issue de ce parcours je me suis laissé attirer par la FPH. Tout naturellement, je m’y suis impliqué là où il s’agissait de traiter des innovations techniques, technologiques et scientifiques et de leurs rapports et apports avec les ou la société. Je me suis spécialisé sur le créneau des technologies de traitement de l’information, de la communication, de l’informatique.
A mon sens, dans les activités que j’ai exercées, activités de développements de produits et logiciels en laboratoire puis activités commerciales, la capitalisation d’expériences et des connaissances n’existe pas. L’entreprise où j’ai exercé mes quelques talents, était caractérisée par un mode opératoire planifié sur un, deux et sept ans. Cela était vrai quand je suis rentré dans l’entreprise en 1960. Quand j’en suis parti en 1994, ce système avait été abandonné. Il n’y avait plus que des plans à court terme parce que la volatilité du marché auquel on s’adressait était telle que la planification à sept ans n’avait aucun sens. Bien entendu, il y avait aussi une stratégie d’entreprise. Mais le processus de capitalisation d’expérience dans les activités que j’ai eues n’existait pas.
J’ai connu cependant des recherches et des réalisations autour de ce qu’on a appelé les systèmes experts, basés sur ce qu’on a abusivement conceptualisé sous le nom d’intelligence artificielle - I.A. -. Cela se situait entre les années 90 à 95. Cela consiste à extirper d’une personne expérimentée tout son savoir sur des sujets très précis pour les mémoriser et les restituer au moyen de systèmes informatisés. La méthode qui était utilisée pour le faire était basée sur des techniques et des méthodes informatiques, donc forcément explicite et séquentielle, ce qui est contradictoire avec l’expression des expertises qui est souvent implicite et imbriquée. Ces tentatives se sont révélées relativement décevantes dans leurs résultats parce que l’on en arrivait à essayer de décrire des processus qui étaient inexprimables par des séquences. Les expérimentations de tels systèmes ont, à ma connaissance, abouti à assez peu de choses. Des tas de gens se sont penchés là-dessus et des sommes considérables ont été investies. On a essayé de structurer ça dans des bases de données, dites bases de connaissances d’une part, et puis de les associer à des moteurs d’exploitation, qui permettaient d’accéder à ces bases par des langages spécifiques pour permettre d’accéder à cette connaissance et de la mettre en forme de manière appropriée. A ma connaissance cela n’a pas donné de résultats bien probants, mais j’ai quitté ce monde là il y a quelques années et, peut-être, depuis, des progrès ont-ils été réalisés.
J’ai eu dix ans d’activités techniques lors desquelles je faisais du développement de matériels de traitement de l’information et de logiciels. Je n’ai alors rien capitalisé du tout, simplement parce que mes savoirs au bout de dix ans étaient complètement périmés et n’avaient plus d’intérêt pour personne. Dans les types de métier que j’ai exercés, la technique galope à une telle allure qu’en quelques années tout est obsolète. Le milieu de l’entreprise est essentiellement pratique et concret. L’entreprise a pour objectif de faire du profit à l’intérieur de sa sphère d’activités en ayant une vision ambitieuse vis à vis de ses clients, elle est viscéralement attachée à des activités à long terme. Ne sont donc investies que les seules techniques les plus pertinentes possibles dans l’environnement propre de l’entreprise. C’est une qualité éminente pour une entreprise que de faire les bons choix ; c’est une question de survie, celles qui n’y parviennent pas meurent. Cela fonctionne de manière extrêmement pratique. ’ Est-ce qu’il est profitable que je me lance dans une telle opération, et à quelle condition faut-il que je le fasse ? Quel investissement faut-il faire pour que cela marche ? ’ Si la capitalisation d’expériences était nécessaire pour que cela marche, elle aurait eu lieu.
Cela étant, dans les entreprises dont le métier est la commercialisation des matériels et logiciels de traitement de l’information, certaines activités procèdent, par nature, par capitalisation. Ainsi en est-il par exemple des activités de développement de logiciels. Prenons l’exemple des systèmes d’exploitation tels que MVS pour les grands systèmes IBM, ou GCOS 8 pour celui de la maison Bull, ou MS Windows que nous connaissons bien. Tous les logiciels importants existant à ce jours, systèmes d’exploitation ou logiciels applicatifs de haute technologie - logiciels de télécommunications ou d’aide à la conception par exemple - sont issus et continuent d’évoluer grâce à une capitalisation intellectuelle dans les laboratoires depuis plusieurs dizaines d’années. Ils sont élaborés, on dit ’ développés ’, dans des laboratoires qui s’occupent exclusivement d’eux, de leur maintenance et de leur évolution. Certains existent depuis les années soixante ! Ces laboratoires regroupent plusieurs centaines d’experts. L’expertise s’y développe de manière permanente. L’activité se traduit en terme de produits à vendre, en logiciels et documentation associée. C’est un ensemble de gens, de procédures, de méthodes extraordinairement complexes, c’est un
A. His travaille sur la maîtrise sociale des TIC dans le cadre du programme INO (’ Innovation et éthique ’)de la FPH.
Entretien
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