09 / 2000
Entretien avec S. K. Sinha, professeur national au Centre des Techniques de l’eau de l’Institut de recherche agronomique de Delhi, qui affirme que "L’Inde ne peut pas se permettre de faire du bio à grande échelle".
- Peut-on encore augmenter la production céréalière dans notre pays ?
Il n’y a aucune raison pour que l’on n’y arrive pas. Il ne faut pas croire que le Punjab est à lui seul toute l’Union indienne. Dans beaucoup d’autres régions aussi, avec des apports supplémentaires d’engrais notamment, on peut certainement augmenter les volumes. Dans ce domaine on fait souvent des comparaisons entre l’Inde et la Chine. Mais il faut savoir que chez nous on utilise seulement 69 kg d’engrais à l’hectare tandis que le cultivateur chinois en est à 366 kg.
- Quelle devrait être à l’avenir l’importance des engrais chimiques dans l’agriculture indienne ?
Dans bon nombre de régions la production céréalière n’a pas augmenté même avec l’apport de produits chimiques. Au Japon on emploie entre 300 et 400 kg d’engrais à l’hectare. Je ne pense pas qu’on en arrivera là chez nous. Les conditions climatiques sont différentes et je suis persuadé qu’avec une moyenne de 80 kg nous pourrons accroître notre production alimentaire.
- Les OGM peuvent-ils contribuer à satisfaire les besoins alimentaires en Asie, notamment en Inde ? Pourquoi les gens ont-ils si peur des OGM ?
Il ne faut pas faire l’amalgame entre le problème de la sécurité alimentaire et la question des OGM. A l’heure actuelle il y a bien peu de cultures impliquant des OGM : coton, soja, tomate. Pour ce qui est du blé, l’utilisation d’OGM est insignifiante. Il y a eu quelques travaux de recherche sur le riz. Mais beaucoup d’OGM n’ont pas encore atteint le stade des parcelles d’essais. Au cours des dix prochaines années, les OGM n’auront guère d’influence sur la situation céréalière de notre pays. Il ne faut pas trop se focaliser sur cette affaire car il y a des problèmes plus urgents à résoudre. En Uttar Pradesh, au Bihar, au Madhya Pradesh, en Orissa, les cultivateurs tardent à se servir de technologies qui pourtant sont disponibles dans le pays. S’ils le faisaient, ils pourraient doubler la production de ces régions. Les gens ne vont pas se précipiter maintenant sur les OGM alors qu’ils ont déjà tant de mal à adopter ce qui est déjà disponible ici. Certaines firmes cherchent à faire de gros bénéfices en commercialisant (avec plus ou moins de réussite)ces produits à travers le monde. Quoi qu’il en soit, pour ce qui est du coton et des légumes, les OGM permettraient de réduire l’usage de pesticides.
- Qu’est-ce qui ne va pas dans notre politique céréalière ?
Au Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu à Rome en 1996, on a affirmé qu’il y a largement assez de nourriture sur la planète pour satisfaire, en principe, tout le monde. Or environ 800 millions de personnes souffrent de la faim. Il faudrait revoir notre système de distribution. Pour le moment, ce qui est le mieux distribué, c’est la pauvreté. Et il faudrait d’ailleurs que les économistes se mettent d’accord sur les critères de définition de la pauvreté. L’an dernier beaucoup d’entre eux disaient que 40 pour cent de la population indienne vivait en dessous du seuil de pauvreté. Ils affirment aujourd’hui que le chiffre est de 30 pour cent.
- Est-ce qu’un virage complet vers l’agriculture biologique contribuerait à améliorer la situation alimentaire ?
Je ne crois pas que l’agriculture biologique va pouvoir se développer en Inde. Il faudrait d’abord trouver une quantité suffisante de fumure naturelle : bouses, déchets organiques. L’agriculture biologique c’est une idée intéressante, mais elle n’est pas facile à mettre en oeuvre. De nombreux pays ont à leur disposition suffisamment de céréales et peuvent se tourner vers des cultures biologiques. En Inde, nous n’en sommes pas encore là, et nous ne pouvons pas compter uniquement sur ce type de cultures pour répondre à nos besoins.
- L’excès de pesticides est mauvais pour l’environnement.
L’Inde a importé des pesticides pour augmenter la production céréalière car nos agriculteurs avaient constaté leur utilité. On les applique surtout pour le coton, les légumes et les plantations. Mais il faut s’en servir le moins possible. C’est en cela que les OGM peuvent être intéressants. Parce que les besoins alimentaires de notre pays vont croissants, on ne peut pas tout d’un coup bannir les pesticides ! Notons aussi que l’alimentation ne se limite pas aux céréales. Le pays a besoin de fruits et de légumes, environ 200 millions de tonnes chaque année. Pour tous ces types de cultures, il nous faut trouver des solutions adaptées, efficaces et qui ne portent pas trop atteinte à l’environnement.
agriculture vivrière, agriculture biologique, fertilisation du sol, traitement phytosanitaire, souveraineté alimentaire, Organisme génétiquement modifié (OGM)
, Inde
Sur la question des OGM, le débat est très vif entre partisans et opposants. Au moins chaque partie se doit d’écouter le discours des divers protagonistes. M. Sindha, cet enseignant de l’Institut de recherche agronomique de Delhi, n’a sans doute pas vendu son esprit à des multinationales sans états d’âme. Il cherche avant tout, dans l’urgence et face à des réalités incontournables (pénurie d’engrais chimiques, d’engrais naturels, manque d’information...)à assurer la sécurité alimentaire de ses compatriotes qui atteignent le milliard d’individus. La masse immense des petits paysans indiens n’est vraisemblablement pas prête à se lancer dans une agriculture "scientifique" et productiviste à outrance.
Le texte original est paru en anglais dans le bimensuel Down To Earth, publié par le Centre for Science and Environment, Tughlakabad Institutional area 41, New Delhi-110062, India - cse@cseindia.org - www.cseindia.org
G. Le Bihan traduit les articles de Down to earth pour la revue Notre terre, vers un développement durable. Il a repris cet article sous forme de fiche DPH.
Entretien avec SINHA, S. K.
Articles et dossiers ; Entretien
TIWARI, Manish, "L'Inde ne peut pas se permettre de faire du bio à grande échelle" in. Notre Terre, vers un développement durable, 2000/01 (France), 2
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