11 / 2000
Il n’y a là que du sable et des cailloux sur lesquels s’abat la lumière du ciel. Nous voyageons au Nord-Ouest de Jaselmar dans l’Etat du Rajasthan. Soudain, apparaît un campement entouré d’une couronne de buissons d’un jaune grisâtre. Au coeur du désert du Thar, il est au moins aussi difficile de vivre que partout ailleurs. Mais là où elle pousse, la sewan constitue pour les gens du lieu une sorte d’oasis. Grâce à elle, de nombreuses générations ont pu nourrir leur bétail au gré des déplacements.
Il n’y a pas si longtemps encore, on voyait de vastes étendues de sewan onduler au vent jusqu’à l’horizon. Ce n’est plus le cas. Au Rajasthan, dans le district de Bikaner, cette herbe (Lasiurus sindicus)se fait rare. Ishwa Prakash, professeur à la Desert Regional Station de Jodhpur, constate que "le développement a porté un mauvais coup à des ressources génétiques qui étaient pourtant si bien adaptées à leur environnement".
Le grand canal Indira Gandhi, qui a amené l’eau du fleuve Sutlej du Punjab juqu’au Rajasthan et avec elle l’agriculture intensive, en est la cause. En mars 1998, ce projet avait déjà coûté 343 crores de roupies (1 crore = 10 millions). Le canal principal et le réseau de canaux qui s’y rattache traversent d’importantes zones à sewan. Ici le sol a été déblayé pour faire place à des cultures. Une irrigation souvent mal conduite a sérieusement augmenté l’humidité des sols, ce qui met en danger la survie de la sewan et des pâturages, car cette herbe ne s’adapte pas à une forte humidité. Et les pelouses qui ont résisté dans le secteur de Jaisalmer supportent trop de têtes de bétail. Leur nombre est entre 6 et 15 fois supérieur aux possibilités réelles.
Les pâturages steppiques à sewan se trouvent dans une zone de très faibles précipitations (100-150 mm)dans les districts de Bikaner, Jaisalmer et Barmer. On dit de cette herbe que c’est la reine du désert du fait de sa remarquable adaptabilité à cet environnement. Elle est particulièrement chatouilleuse sur le calendrier et le volume des précipitations, mais ses racines peuvent faire le gros dos et résister des années durant à la sécheresse. Il suffit de quelques averses pour que les choses repartent et que l’herbe se mette à pousser allègrement. Et elle contient de 7 à 11 pour cent de protéines. Les gens de la région disent que les laitières qui s’en nourrissent donnent un beurre très riche, d’un jaune profond. Les villageois coupent et stockent la sewan pour les temps de pénurie. Elle peut en effet se conserver dix ans. Un broutage régulier et de petites coupes légères favorisent la pousse et le bon état des grasslands.
"C’est bien dommage que nous n’ayons pas encore bien compris cette herbe et son écosystème" fait remarquer Suresh Kumar, de l’Institut central de recherches sur les zones arides de Jodhpur. Faut-il donner le mot de la fin à Karan Singh, un vieux cultivateur de Ramgarth, à 65 km de Jaisalmer : "Les prochaines générations ne verront jamais cette herbe !"
biodiversité, espèce végétale, irrigation, épuisement des ressources végétales, désert, élevage
, Inde, Rajasthan
Respecter les caractéristiques fondamentales des terroires, se méfier des infrastructures lourdes qui bousculent les écosystèmes, piéger l’eau là où elle tombe, voilà quelques-unes des recettes préconisées par le Centre for Science and Environment de Delhi et qui sont autant de principes fondamentaux du développement durable.
Le texte original est paru en anglais dans le bimensuel Down To Earth, publié par le Centre for Science and Environment, Tughlakabad Institutional area 41, New Delhi-110062, India - cse@cseindia.org - www.cseindia.org
G. Le Bihan traduit les articles de Down to earth pour la revue Notre terre, vers un développement durable. Il a repris cet article sous forme de fiche DPH.
Articles et dossiers
KHURANA, Indira, Une herbe méritante in. Notre Terre, vers un développement durable, 1999/10 (France), 1
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