L’exemple d’une joint-venture germano-japonaise
08 / 1999
Une joint-venture consiste à ce que deux entreprises créent une filiale commune sur un projet particulier ; quand ces entreprises relèvent de cultures différentes, un certain nombre d’obstacles doivent être surmontés pour atteindre l’objectif. Jane Salk a étudié le cas d’une joint-venture créée en 1991 par une société allemande qui possédait une usine de papier en gros à la technologie obsolète qu’elle souhaitait reconvertir, et une entreprise japonaise également spécialiste dans le papier, qui souhaitait s’implanter en Europe ; cette dernière proposa de transformer l’usine en centre de production de papier spécialisé, équipé d’une technologie ultra-moderne japonaise. Les deux partenaires acquirent chacun 47,5 pour cent des actions de la nouvelle entité, les 5 pour cent restant revenant à une société tierce, non impliquée dans la joint-venture.
Les difficultés vinrent d’abord du comportement très différent des deux sociétés mères : les Japonais ont l’habitude d’intervenir beaucoup dans la vie quotidienne de leurs filiales, alors que les Allemands leur laissent beaucoup d’autonomie. Par ailleurs, les Japonais privilégient la recherche du consensus, ce qui se traduit des réunions extrêmement nombreuses et longues, alors que les Allemands préfèrent l’efficacité, avec des réunions serrées, des ordres du jour stricts, des prises de décision rapides et immédiatement opérationnelles. Après chaque réunion, les Japonais remettaient en cause les décisions prises en présentant des listes de questions posées par leur maison mère. Il fut décidé que pour chaque décision stratégique, une réunion préliminaire serait organisée entre les deux directeurs, que les maisons mères seraient interrogées sur une liste de questions problématiques ou conflictuelles, et que la décision serait définitivement prise au cours d’une deuxième réunion. Les Japonais, à l’usage, se sont félicités de l’efficacité de ce dispositif.
Une différence culturelle importante tient au rapport entre vie privée et vie professionnelle : les Allemands arrivent à neuf heures du matin, partent à six heures du soir et prennent cinq semaines de congés payés ; les Japonais ont inutilement essayé de les faire arriver à l’aube, comme eux, ou de les entraîner le soir en ville dans des festins dyonisiaques. Un conflit éclata au moment des vacances d’été, qui coïncidèrent avec un problème technique grave dans l’installation des nouvelles machines : l’idée que les Allemands partiraient de toute façon en vacances était difficile à concevoir pour les Japonais, et l’un de leurs managers essaya d’interdire à l’un de ses collègues allemands de partir. Finalement, des concessions furent faites de chaque côté, les Allemands partant en vacances comme prévu, mais abrégeant leur absence, compte tenu de la situation.
La langue retenue, l’anglais, posa également des problèmes : les Allemands la parlaient beaucoup mieux que les Japonais, et ceux-ci avaient donc tendance à communiquer entre eux dans leur langue, au grand agacement des Allemands qui y voyaient des conciliabules hostiles et beaucoup de perte de temps ; finalement le pragmatisme prévalut, et les uns et les autres prirent l’habitude d’alterner les concertations en langue maternelle et les phases de communication en anglais.
Dernier exemple, le cloisonnement des fonctions : au Japon, il est normal qu’un commercial puisse déambuler dans l’entreprise et faire part de ses idées ou de ses critiques concernant la qualité, par exemple, alors qu’en Allemagne, le directeur de la qualité se sentirait agressé si c’était le cas. C’est ici les Allemands qui se sont ralliés à la façon de faire des Japonais, beaucoup plus fructueuse pour tous.
Quatre modes de résolution des conflits se dégagent de cette expérience, d’après Jane Salk : la concession unilatérale ; le compromis ; le choix d’une solution innovante pour les deux parties ; le cloisonnement des champs d’action et de responsabilité pour éviter tout risque d’affrontement.
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, Allemagne, Japon
L’étude de la façon dont les responsables d’une joint-venture s’y prennent pour surmonter les obstacles culturels me paraît être du plus grand intérêt pour ceux qui, dans le domaine humanitaire, sont également confrontés à ce type de problèmes. Une différence de taille intervient cependant : la motivation extrême des partenaires à faire aboutir un projet dont dépend leur carrière et parfois leur emploi, d’où une forme de pragmatisme qui permet de dépasser beaucoup d’obstacles apparemment insurmontables : une telle motivation existe-t-elle toujours chez les différents partenaires des projets humanitaires ?
Certains participants ont également souligné les parentés qui existent entre la culture japonaise et la culture allemande, qui accordent toutes deux une importance extrême à la maîtrise des questions à caractère technologique ; les problèmes techniques rencontrés au cours de l’installation de l’usine ont ainsi créé une solidarité très forte entre les deux parties. Mais qu’arrive-t-il si l’une des deux cultures se sent "supérieure" à l’autre, et s’il n’existe pas d’estime mutuelle profonde, comme c’était le cas ici ? Les conflits semblent avoir été beaucoup plus sévères, par exemple, dans le cas d’une usine franco-slovène (voir la fiche "Gérer en Slovénie, ou les difficultés de la communication").
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,… ; Articles et dossiers
SALK, Jane, DUNANT, Mathieu, De la créativité interculturelle : un exemple germano-japonais - séminaire 'A la Découverte du monde' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1997 (France), III
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