Comment un projet sur la mode permet d’acquérir une meilleure compréhension de son environnement visuel
06 / 1998
Lorsque le groupe femmes du quartier d’habitat social Mistral, à Grenoble, décide de travailler sur la mode et le textile, l’idée d’un voyage à Paris s’impose naturellement. Paris, capitale de la mode, elles veulent y rencontrer la haute couture, bien sûr, mais aussi la mode de la rue. Pas question de faire un voyage pour leur seul agrément ; depuis qu’elles travaillent ensemble, elles ont l’habitude de garder des traces de leurs actions pour les faire partager à d’autres : les années précédentes elles ont réalisé un livret de photos et de textes, des peintures qu’elles ont vendues sous forme de cartes postales... Chacun de ces projets a pris du temps. La mode, elles en parlent depuis Mai 1997, le voyage à Paris a eu lieu en Avril 1998 et l’exposition qui relate ce voyage doit être prête pour la rentrée.
Entre temps, elles se sont informées sur les ressources de leur ville autour de l’industrie textile, elles ont visité le Musée de la Viscose, elles ont pris des contacts à Paris, écrit et envoyé des courriers, relancé par téléphone... Certains contacts ont échoué, d’autres se sont concrétisés.
Au mois de Janvier alors que le voyage approchait, elles ont choisi d’en ramener une exposition photo et un reportage vidéo. Elles ont alors contacté le Centre Audiovisuel de Grenoble pour se former à ces techniques et elles se sont organisées pour se déplacer sur un autre quartier et se libérer de leurs obligations familiales le temps de dix journées de formation.
Au-delà de la formation technique, c’est le problème du sens de l’image qui est abordé. Le photographe et le formateur vidéo poursuivent un objectif commun : former des citoyens libérés de l’emprise de l’image c’est à dire capables de l’analyser, de la décoder.
Pendant leur trois jours de formation, les femmes de Mistral ont appris à maîtriser l’outil vidéo, elles ont été initiées à quelques règles de composition, à des techniques (plongée, contre-plongée...). Elles ont également été mises en situation de réaliser un interview et donc de découvrir la complexité de ce qui semble si simple quand on le regarde de l’extérieur. Un interview, ça suppose de trouver les positions de chacun des interlocuteurs, de prévoir la place de la caméra, puis de préparer de bonnes questions, d’écouter et de relancer la communication... Elles ont été confrontées à la télé pour essayer de comprendre comment différents éléments se superposent pour servir un message particulier : le texte et la manière dont il est dit, les techniques utilisées pour filmer, la musique ou le son qui peuvent dramatiser ou alléger une situation...
En photographie, c’est un peu pareil avec moins d’épaisseur peut-être : aucune image ne s’est faite toute seule, aucune image n’est objective, contrairement à ce que laisseraient entendre bon nombre de lieux communs sur la photographie. Les images sont construites tout comme l’est un texte et, de la même façon, peuvent être analysées. Comme dans une analyse de texte, on peut décrypter ce que l’image nous révèle du photographe, du message qu’il souhaite faire passer et de l’état d’esprit dans lequel il se trouve. On peut analyser les techniques qu’il utilise : le flou, le net, les contrastes, les formes, le graphisme, la profondeur de champs, le choix du diaphragme. Il y a aussi des symbolismes récurrents parce qu’ils sont inscrits dans notre culture picturale : les diagonales dont l’une est pessimiste (descendante de gauche à droite)et l’autre optimiste (ascendante de gauche à droite), la différence entre la gauche qui symbolise le passé, le mal et la droite qui appelle le bien, l’avenir. Comme en littérature, il y a aussi ces détails qui échappent à l’auteur mais qui livrent une information, ce hasard qui donne vie à la photo.
Les femmes de Mistral en quelques jours de formation n’ont peut-être pas assimilé tout cela, mais elles sont parties à Paris, caméra à l’épaule et appareil photo dans le sac. Elles ont filmé leur voyage, les rencontres qu’elles ont eues, notamment avec la costumière de l’Opéra Garnier, l’avenue Montaigne, et puis tout ce qui constituait les souvenirs qu’elles voulaient garder. Elles ont filmé pour récolter de la matière, conscientes qu’ensuite seulement elles construiraient, à partir de cette matière, leur reportage.
Egalement intéressées par la mode de la rue, elles se sont installées une journée sur les Champs Elysées pour photographier les passants. L’objectif n’était pas de les photographier à la sauvette mais de les aborder, de leur expliquer leur projet , de les amener à poser devant un drap blanc en toile de fond et alors seulement de les photographier.
Ce sont ces photographies dont elles veulent faire une exposition. De retour à Grenoble, elles ont commencé à sélectionner les meilleures avec le soutien du photographe du Centre Audiovisuel. Elles ont pratiqué le laboratoire, découvert les planches-contact et le tirage photographique. Puis, elles ont décidé d’accompagner l’exposition d’une bande vidéo présentant ce voyage à Paris. En souvenir, elles voudraient aussi une cassette vidéo qui soit leur mémoire du voyage. Deux projets d’utilisation différente de cette matière filmée, l’occasion de vivre la construction d’un film, comprendre que la juxtaposition d’images et de séquences crée du sens et que comme pour la grammaire, c’est la construction qui rend le message compréhensible. En attendant, elles dérushent, elles reprennent ce qu’elles ont filmé, chronomètrent les séquences et notent sur papier ce que chaque séquence contient afin d’établir ensuite le plan de montage.
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Les huit femmes qui participent régulièrement aux activités du groupe accompagnées par une conseillère en économie sociale et familiale du centre social Mistral et une animatrice de la Confédération syndicale des Familles, ont une moyenne d’âge de 35 ans, elles ont toutes été scolarisées ici ou à l’étranger et, à l’exception d’une, sont en mesure d’écrire et de lire. L’action n’est pas suffisamment avancée pour savoir ce qu’elles retireront de ce travail sur la vidéo. Déjà elles regardent la télévision différemment et sans doute aussi les images qui nous assaillent, elles "lisent" le monde qui les entoure en lui étant moins soumises.
Contacts : Groupe femmes Mistral au Centre social Mistral : 33 (0)4 76 96 87 75. Contacter Florence ASTIER
Entretien avec ASTIER, Florence; PINGEOT, Brigitte; GASARIAN, M.
Entretien
IRIS (Isère Relais Illettrismes) - Le Patio - 97 galerie de l’Arlequin, 38100 Grenoble, FRANCE - Tél / Fax : 04 76 40 16 00 - France - www.cri38-iris.fr - cri38.iris (@) wanadoo.fr