Initiatives en Asie méridionale
04 / 1996
Dans les démocraties libérales, il y a peu de domaines plus épineux que celui de la législation sur le secteur des médias de masse. Cela n’a rien d’étonnant. Il s’agit, en effet, de trouver le juste milieu entre deux intérêts fondamentaux mais souvent contradictoires. Nous avons, d’une part, le droit des individus et des groupes de s’exprimer et de s’informer sans entrave et, d’autre part, les attentes légitimes de la société voulant qu’un tel droit ne donne pas lieu à des abus pouvant porter préjudice à autrui.
Comme un tel tour d’équilibre exige l’évaluation de plusieurs facteurs, dont certains sont particuliers à un pays ou à une région donnée, il n’existe pas de recette universelle. Par conséquent, il est courant de trouver dans les normes internationales l’emploi de formulations aux termes vagues et généraux, comme c’est le cas, notamment, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. En général, on y affirme que la liberté d’expression est un droit universel qui, néanmoins, pourrait être sujet à des restrictions pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public, de santé ou de morale publique, de protection de la réputation d’autrui, de protection de secrets d’état, de la sauvegarde de l’autorité et de la dignité des tribunaux. On laisse à chaque pays le soin de passer des lois plus élaborées qui tiendraient compte de facteurs locaux.
Or, il est devenu clair qu’une telle approche s’avère insuffisante pour protéger la liberté d’expression car elle laisse une grande latitude aux gouvernements autoritaires de réprimer la dissidence grâce à une interprétation exagérément large des termes "sécurité nationale" ou "ordre public". Une approche alternative ou complémentaire, qui a déjà fait l’objet de discussion, est de mettre de l’avant des normes régionales (ou même sous-régionales)plus strictes. Cela répondrait aux préoccupations réelles quant au besoin de tenir compte des facteurs particuliers à un pays ou à une région tout en réduisant la marge de manoeuvre des gouvernements. De plus, on prétend que le fait que l’aire géographique en cause soit plus restreinte faciliterait la mise en application des normes. Cette philosophie a servi de guide lors de l’élaboration de la Convention européenne sur les droits de l’homme (1950), de la Convention interaméricaine sur les droits de l’homme (1969)et de la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples (1981).
Paradoxalement, l’Asie, qui est pourtant la région la plus peuplée du monde, ne s’est jamais dotée d’un tel instrument. Bien que souvent relevée, très peu a été fait pour remédier à cette lacune. L’Asie suscite un intérêt particulier auprès des surveillants de la liberté d’expression. Ces derniers ont exprimé leur préoccupation devant les contrôles strictes imposés à ce propos par plusieurs régimes de la région. Sensibilisée au besoin d’agir afin de combler cette lacune, ne serait-ce qu’au plan sous-régional, la South Asia Media Association, une organisation non-gouvernementale, lançait en octobre 1994 un projet de rédaction d’avant-projet de loi qui garantirait la liberté de presse et des autres médias dans les sept pays de la région (Inde, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Népal, Bhoutan et les Maldives). Le projet vise des objectifs plutôt modestes. Ses organisateurs ne cherchent dans un premier temps qu’à identifier les éléments à caractère libéral traitant de la liberté d’expression qui sont déjà présents dans les législations nationales des sept pays et, par la suite, à élaborer le futur avant-projet de loi autour de ces éléments. On croit que cette initiative servira de frein aux gouvernements de la région si jamais ces derniers souhaitent imposer de nouvelles mesures légales restreignant encore plus la liberté d’expression que celles déjà en vigueur.
Ce projet est appuyé par l’Asian Mass Communication and Research and Information Centre (AMIC)qui est particulièrement bien qualifié pour partager son expertise dans ce domaine. Depuis bientôt une décennie, l’AMIC mène des recherches sur la législation et les politiques gouvernementales en matière de communication dans plusieurs juridictions asiatiques. Par ailleurs, elle a publié ou est sur le point de publier des études compréhensives sur au moins cinq des sept pays d’Asie du Sud dont il est question dans le projet. Les recherches de l’AMIC font ressortir un bilan mitigé. Bien que, dans la plupart de ces pays, les médias de masse, et tout particulièrement la presse, ont jouit d’une liberté considérable par rapport à la censure explicite existant dans la plupart des pays de l’Asie du Sud, la région a certainement sa part de lois répressives. Ceci dit, ce qui est encore plus préoccupant c’est le constat que même lorsque les lois sont formulées dans des termes relativement inoffensifs, elles sont appliquées par les gouvernements d’une manière fort peu favorable à la liberté d’expression. Cet écart béant entre les principes et la pratique, doublé d’une mainmise politique excessive sur les médias électronique ayant cours dans tous les pays examinés, représente un défi redoutable pour les réformateurs.
C’est dans la nature des choses que le succès de tout système supranational de sauvegarde des droits de l’homme soit limité. L’efficacité dépend, et voilà ce qui est décisif, de la volonté politique de chacun des gouvernements du système à faire respecter des règlements qui, en dernière analyse, sont impossibles à faire respecter. Il est à souhaiter que cette initiative sur la liberté d’expression en Asie du Sud ne fasse pas naufrage sur les "récifs" de l’intransigeance politique.
communication, législation, liberté d’expression
, , Irlande du Nord
K.S. Venkateswaran est professeur en droit à la :
School of Public Policy, Economics Law,
University of Ulsterat Jordanstown,
Newtownabbey, Co. Antrim,
BT37 0QB Irlande du Nord
Tél. : (44 1232)36 88 76
Fax: (44 1232)23 60 85
C. élec. : ks.venkat@ulst.ac.uk
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