08 / 1994
Dans le Pacifique asiatique, la colonisation a laissé comme héritage des minorités culturelles divisées entre plusieurs Etats ou frontières arbitraires. Les gouvernements nationaux qui ont remplacé l’autorité coloniale pratiquent une répression parfois sévère. Ainsi, l’exemple du peuple des Nagas qui subit encore actuellement la répression de l’armée indienne.
Les territoires des Nagas se trouvent principalement dans les Etats du Nord-Est de l’Inde, comme par exemple Nagaland, Manipur, Assam, Arunanchal et dans la partie Nord-Ouest de la Birmanie. Ces territoires sont encore répartis en districts à l’intérieur des différents Etats de l’Inde. Le problème majeur de cette subdivision due à la colonisation britannique est que les Nagas se sont retrouvés complètement marginalisés.
Le peuple des Nagas possède un système d’administration très efficace fondé essentiellement sur l’organisation des villages au sein desquels leurs lois et coutumes ont perduré pendant des siècles. Chez les Nagas, chaque village constitue un élément indépendant et est géré par un conseil des anciens et par des personnes d’influence, élus par le peuple.
C’est sous le prétexte de protéger les Nagas des dangers de la jungle que le gouvernement indien a commencé en 1950 la campagne militaire sur le territoire des Nagas. Afin de faciliter son action contre le "Naga National Council" (le Conseil National des Nagas)dont s’étaient pourvus les Nagas, le gouvernement indien munissait les forces armées d’un mandat qui autorisait les abus sexuels, la torture, la détention et le travail forcé.
En juin 1947, à la veille de son départ, le gouvernement britannique avait convenu avec le "Naga National Council", à titre d’organisation politique représentatrice du peuple Naga, un accord, le "Hydan Agreement", qui accordait un statut de protection à l’Etat de Nagaland. Cet accord laissait au peuple Naga dix ans pour décider, par un plébiscite, de son avenir politique. Par cet accord, les dirigeants indiens espéraient en réalité garder le peuple Naga sous leur contrôle. Mais très vite celui-ci s’est prononcé à 99,9 % en faveur de son indépendance. Grâce à une délégation de Nagas qui avait sollicité l’aide du Mahatma Ghandi, ce dernier a lui-même donné sa bénédiction à l’indépendance de ce peuple.
Mais l’Inde ne tenant pas compte du plébiscite continua à maintenir le territoire Naga sous son contrôle en le plaçant sous les pouvoirs spéciaux de la force armée indienne, c’est-à-dire sous la la loi martiale. Malgré les négociations de paix entre les Indiens et les Nagas, commencées le 23 septembre 1964 et qui devaient déboucher sur un cessez-le-feu, les atrocités de l’armée indienne ont perduré.
En 1978, la création du "Naga People Movement for Human Rights" (NPMHR)(Mouvement du Peuple Naga pour les Droits de l’Homme)a mis la lumière sur d’innombrables cas de violations des droits de l’homme par l’armée indienne envers le peuple Naga. Suite à l’appel du NPMHR, la Haute Cour et la Cour Suprême en Inde ont publié une directive contre l’utilisation des écoles et des églises comme endroits de détention et de torture dans la région de Naga. Avec la coopération d’autres mouvements comme la "All Naga Students Association" (Association des Etudiants Nagas), le "United Naga Council" (Conseil des Nagas Unifiés), et la "Manipur Baptist Convention Women’s Union" (Union des Femmes de la Convention Baptiste de Manipur), le mouvement NPMHR a formé un comité afin de coordonner et d’organiser la lutte pour mettre un terme aux atrocités de l’armée et restaurer la loi dans le district en question.
Les femmes, victimes des exactions, ont joué un rôle essentiel dans la lutte contre la répression indienne. On peut citer, par exemple, la manifestation pacifiste des femmes Nagas pour protester contre les atrocités de l’armée indienne au cours de l’"Opération Blue Bird" (Opération Oiseau Bleu), qui fut lancée par les Assam Rifles en 1987 dans le district de Senapati, au Manipur. Pour défendre les victimes torturées, les femmes Nagas ont été jusqu’à poursuivre en justice l’Etat indien et l’affaire est encore actuellement en cours devant la Haute Cour de l’Inde.
Les femmes Nagas sont également très actives au sein de leur cité où elles font l’objet de diverses discriminations, notamment en matière d’éducation et de succession. Dans la vie de leur cité, elles n’ont, par exemple, pas le droit de participer aux conseils des villages qui délibèrent sur les problèmes quotidiens affectant les villageois et elles ne sont consultées qu’exceptionnellement sur des décisions importantes. Afin de réduire également les effets de la répression dont elles sont victimes au sein de la société Naga, elles se sont organisées en associations. Ainsi, la "Naga Mothers Association" (Association des Mères Nagas)a eu gain de cause dans sa revendication auprès de l’autorité locale en faveur de la fermeture de l’ensemble des magasins d’alcool sur le territoire naga afin de juguler la violence domestique due notamment à la consommation excessive d’alcool par les hommes de la région.
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Les lois et coutumes d’un peuple comme les Nagas peuvent constituer une source de cohésion et de force permettant à ce peuple de tenter de se libérer d’une opression. Mais ces lois et coutumes peuvent aussi être une source d’oppression au sein de cette communauté, en particulier vis-à-vis des femmes.
L’enjeu pour ces peuples est de faire appel à cette force des traditions pour se mobiliser contre l’oppression, faire reconnaître leur organisation, leurs lois et coutumes particulières ; tout en opérant les changements et évolutions nécessaires au sein de ces traditions, afin d’en supprimer les éléments oppressifs et inhibant pour une partie de la population.
Rapport
GAUDARD, Catherine, Juristes Solidarités, Rapport de mission en Asie, 1994 (France)
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