De la difficulté à faire reconnaître par leur entourage l’importance des activités ludiques des enfants
09 / 1997
Au cours des années 80, le Guatemala fut la scène de violences politiques sans précédent. Dans le cadre de programmes de "contre-insurgence et pacification" pour lutter contre la "subversion communiste", les forces armées organisèrent le massacre des populations civiles dans le but d’étouffer toutes velléités de résistance. De nombreux paysans indiens durent se réfugier dans les pays voisins (Mexique, Belize, Honduras). D’autres émigrèrent vers les centres urbains ou dans les montagnes du nord du Quiché. D’autres encore durent vivre dans des "villages-modèles" contrôlés par l’année et les "patrouilles d’autodéfense civile".
En août 1987, Enfants Réfugiés du Monde, qui avait travaillé avec des réfugiés guatémaltèques au Mexique, décida, après une mission exploratoire, de s’implanter à " Las Violetas" (Municipe de Nebaj, département du Quiché). Dam ce campement, 200 familles avaient été réinstallées depuis 1983, ramenées de gré ou de force de la montagne. La situation était alors extrêmement précaire et se traduisait par un taux élevé de mortalité prénatale et infantile, une dénutrition chronique et un traumatisme généralisé. Le tissu social était particulièrement affecté et les familles complètement dépendantes des aides extérieures. Le programme global d’activités fut orienté d’une part vers les enfants de 0 à 14 ans, d’autre part vers les mères et les communautés afin d’améliorer la santé et l’éducation des enfants ainsi que leur environnement social et familial.
Depuis sa création, ERM s’attache à répondre aux besoins psychosociaux des enfants traumatisés par la violence. Ses expériences dans diverses régions du monde et le recueil de matériel de diverses sources convergeant quant à la nécessité d’aborder le concept de santé mentale des enfants déplacés et réfugiés par une approche globale et communautaire principalement axée sur le jeu. Son credo est et reste: -’Un enfant qui ne joue pas est un enfant qui meurt". C’est dans cet esprit que, pour les enfants de 7 à 14 ans de Las Violetas, de 1987 à 1990, fut mis en place le programme "medianos". Il avait pour objectif de permettre l’apprentissage de certaines techniques (jardins potagers, élevages de lapins, atelier de tissage, de menuiserie), en offrant un espace d’expression et de jeu (dessins, contes, modelages, musique, marionnettes,...), et en favorisant l’identification socioculturelle (les habitants de Las Violetas sont en grande majorité des indiens mayas d’ethnie ixil)et l’ouverture vert l’extérieur (sorties, échanges...). Ces ateliers connurent une assistance relativement régulière et un enthousiasme manifeste de la part des enfants.
En 1991, ERM décidait donc d’étendre ce programme à Salquil Grande (village-modèle, deuxième pôle d’attraction du Municipe après Nebaj), et d’autonomiser les activités des 7-14 ans à Las Violetas.
Certains ateliers devaient être repris par la communauté (menuiserie), par une ONG locale (jardinage)ou par l’école (bibliothèque), d’autres restaient à charge de ERM (tissage, expression). C’est à cette période -plus précisément en septembre 1991- que j’entrai dam le projet, avec pour charge de mener un suivi des activités de Las Violetas et de mettre en place celles de Salquil Grande. Lors de mon arrivée, un mois s’était écoulé sans suivi du programme. Le tableau était le suivant: ne fonctionnaient que les ateliers de tissage et de dessin; la menuiserie gérée par un comité offrait peu d’espace aux enfants; l’activité de jardinage n’existait plus; la bibliothèque était désordonnée et inutile. La communauté et les institutions n’étaient visiblement pas impliquées dam le programme. Les parents acceptaient que les enfants participent aux activités productives procurant un apport financier par leur vente mais comprenaient difficilement l’intérêt du jeu tel que nom le pratiquions, pour leurs enfants alors en âge de travailler. Les ateliers de tissage étaient en passe de devenir des ateliers uniquement productifs ayant pour seul acheteur ERM.
Durant les deux années où je travaillais sur ce programme, le scénario de Las Violetas se reproduisit en partie à Salquil. Des ateliers d’expression et d’apprentissage furent mis en place (dessin sous divers modes, modelage, marionnettes, collages, musique, menuiserie), le jeu s’y pratiquait sous de nombreuses formes (jeux coopératifs, ludothèque), des échanges et rencontres avec des enfants d’autres villages furent organisés. La présence des enfants était relativement fluctuante autour d’un noyau régulier d’une vingtaine. L’enthousiasme dans le jeu, la constance de certains d’entre eux dans les ateliers d’expression, leur participation active nous prouvèrent bien que le pari de donner un espace de jeu et d’expression aux enfants était gagné. Mais, malgré nos efforts de formation et d’information, les obstacles ne manquaient pas: difficultés de fidéliser des jeunes animateurs pour ces activités, non-reconnaissance des familles quant à l’utilité des activités ludiques, aucun relais institutionnel ou associatif pour le suivi malgré de nombreux efforts et tentatives avec des ONG locales, l’UNICEF, et l’école.
Malgré ma conviction que le jeu est l’activité enfantine essentielle qui permet aux enfants non seulement de grandir, mais encore de "revivre" après les traumatismes dus à la violence, la non reconnaissance de l’environnement immédiat me découragea souvent. Je ne désirais pas que mes efforts s’annulent lors de mon départ ou de celui de l’association et pour cela j’avais besoin de l’accord de l’environnement des enfants pour qu’eux-mêmes ne se retrouvent pas tiraillés entre ce qui semblait leur convenir et la désapprobation de leurs proches.
Que signifie cette non-reconnaissance ? Pouvons-nous agir pour les enfants sans leurs parents ? Le jeu est-il une activité occidentale qui va à l’encontre de la culture locale ? Et alors nos efforts participent-ils d’un processus d’acculturation ? Cela ne vaut-il pas la peine de défendre l’activité enfantine comme partie intégrante d’un développement possible ? Le jeu est-il réellement inexistant dans la culture locale ou ne revêt-il pas d’autres formes ? Si oui, n’est-on pas tout simplement trop éloigné des pratiques locales et dans ce cas, notre tort avait-il été de ne pas avoir assez cherché dans les pratiques existantes ?
Certaines des activités proposées, lorsqu’elles avaient un ancrage traditionnel (pratique de la marimba, ateliers productifs ou d’apprentissage)ne rencontraient pas d’obstacles majeurs, prouvant qu’il existe des domaines d’où le jeu n’est pas exclu et qui satisfont les parents. Mais manifestement, la prise en charge des enfants en un temps et en un lieu donné par une personne "extérieure" est très loin des pratiques traditionnelles et ceux que nous considérons comme des enfants ne le sont pas de la même façon pour une famille ixile.
enfant, dialogue interculturel, modèle culturel, développement culturel
, Guatemala
Quel est le statut de l’enfant pour une famille ixile ? Quelles formes prend le jeu dans la culture ixile ? Toutes ces questions sont à prendre en compte pour un meilleur ancrage du programme dans son contexte. Et enfin : les enfants avaient-ils besoin d’ERM pour jouer ? Bien malin qui pourrait le prouver...
S.Bodineau est animatrice socioculturelle. Elle a été responsable du programme de santé mentale pour enfants de 7 à 14 ans au Guatemala, entre septembre 1991 et décembre 1993.
Texte original
ERM (Enfants Réfugiés du Monde) - 34 rue Gaston Lauriau, 93512 Montreuil cedex, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 59 60 29 - France - erm (@) erm.asso.fr