Bruno Guillaumie a travaillé pendant dix ans en Algérie dans le domaine de la formation maritime. Il est actuellement chargé de formation à l’Association pour le développement des activités maritimes (CEASM).
« Pendant la colonisation, les Français avaient reproduit en Algérie ce qui existait en France en matière de formation des hommes dans le domaine maritime. Il y avait des écoles d’officiers et des écoles de mousses pour la pêche et la marine marchande. Après l’Indépendance, ce système a perduré pendant très longtemps sur le même modèle avec une accentuation plus forte de la dicotomie pêche-Marine Marchande, ce dernier secteur s’étant développé. L’Algérie est devenue une puissance maritime mais la pêche a décliné en raison du départ, à la décolonisation, de la plupart des bateaux armés par les Pieds Noirs italiens, espagnols et français. Les mousses algériens sont restés figés à un stade de techniques de pêche de cette époque. Les écoles de pêche ont continué à fonctionner sans former beaucoup de monde et ont progessivement fermé entre 1965 et 1970 parce qu’il y avait de moins en moins de candidats. Le recrutement était plus familial et l’administration des Affaires Maritimes ne demandait pas systématiquement un diplôme pour l’obtention du fascicule (autorisation d’embarquer). Pêcheur n’est pas en Algérie une profession valorisée même si elle permet de vivre très bien car le prix du poisson est très élevé. Cela pose un problème aux jeunes pêcheurs pour se marier. Les armateurs n’avaient pas non plus intérêt qu’il y ait des gens trop lettrés à bord et cela n’a fait que renforcer le fait que les écoles s’enfoncent progressivement. Les techniques ont pourtant évolué très vite.
Pendant les années 1978-1979, l’Etat algérien a souhaité réactiver les écoles de formation maritime pour la pêche et a demandé l’appui de la coopération française. Dans ce cadre, le CEASM a fait une étude avec l’AGEMA (Association de Gérance des Ecoles Maritimes et Aquacoles). J’avais terminé ma formation d’ingénieur halieute et j’ai été envoyé en Algérie comme VSN (Volontaire du Service National) pour accompagner l’enseignement dans ces écoles. Finalement, une fois sur place, ce projet de coopération n’a pas fonctionné (car les autorités n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur la grille des salaires) mais il a été récupéré par le gouvernement algérien quelques mois plus tard avec des professeurs locaux et trois VSN dont moi. C’est à dire des jeunes sans expérience de l’enseignement et sans pratique du métier de pêcheur ! Heureusement que nous avions tous les trois navigué à la voile ! Les écoles ont redémarré ainsi et d’autres ont été créées comme un institut à Alger qui était sensé former des officiers et des lieutenants de pêche sur un schéma d’alternance entre la formation et l’expérience professionnelle comme en France. Mais avec un problème fondamental : les professionnels avaient tellement l’habitude de recruter dans leur famille qu’ils voyaient d’un intérêt douteux des jeunes formés. Ils imaginaient que ces derniers pouvaient monter en grade et détrôner les patrons de pêche. Il était donc très difficile pour ces jeunes de s’intégrer dans le milieu professionnel. A cette époque, l’administration disait officiellement ne plus délivrer de fascicule sans diplôme mais de nombreuses dérogations étaient facilement accordées. Les écoles ont fait du reclassement professionnel avec des cours du soir pour former au diplôme de capacitaire. Cette période a été très dommageable : un tiers des personnes ont atteint le niveau requis, un tiers a obtenu le diplôme sans le mériter et a fait perdurer une image négative de la formation et le dernier tiers n’a rien obtenu du tout. Mais elle a permis un contact entre jeunes et anciens, elle a facilité d’une certaine façon l’embarquement des jeunes diplômés.
Progressivement, le profil des administrateurs a changé. Au début, ils étaient souvent issus de l’école des administrateurs de Bordeaux. Ils ont été peu à peu remplacés par des administrateurs sans formation maritime spécifique, issus du monde agricole pour la plupart, et plus précisément, ceux que le monde agricole ne voulaient plus. Le secrétariat d’Etat à la pêche, qui avait été individualisé des transports maritimes, a été intégré au Ministère de l’Agriculture. L’administration est devenue de plus en plus incompétente et souvent corrompue. Donc, malgré les efforts pour que la formation maritime s’intègre à la profession en fonction de ses besoins, ça n’a pas fonctionné.
A Beni Saf, où j’étais affecté, l’équipe des enseignants s’est battue pendant deux ou trois ans pour imposer des stages en mer de plus en plus nombreux. Nous étions tous les soirs sur le port pour placer nos stagiaires et, petit à petit, c’est devenu un rite et ça s’est propagé jusqu’à l’école d’Oran. Là où les professeurs se sont investis, c’est devenu une tradition d’embarquer les élèves et, à Beni Saf, on a eu des taux de placement exceptionnels de 60 ou 70 %. Nous avons collaboré avec le directeur de l’école d’Alger, l’Institut de Technologie des Pêches et d’Aquaculture (ITPA), en pensant qu’il allait faire monter les jeunes que nous placions en leur donnant des qualifications de lieutenants de pêche ou d’électromécaniciens. Mais l’ITPA a recruté des jeunes au niveau de la première et de la terminale. Ca faisait partie de la politique de traitement social du chômage. Nous, on pensait que seuls les jeunes qui avaient fait leur trou dans le secteur pouvaient, par la voie de la formation continue, progresser dans ce milieu. En fait, les jeunes de l’ITPA (à part quelques exceptions) n’ont jamais été intégrés. Pourtant, l’école avait des moyens de formation considérables avec des enseignants français et algériens mais la direction n’étant pas à la hauteur, les coopérants sont partis, écoeurés, ou ont été écartés subtilement quand ils gênaient trop. L’un d’eux s’est fait affecter à l’école d’Oran où j’avais été muté pour informatiser l’école et lancer de nouveaux cursus de formation. C’était quelqu’un de très compétent et nous y avons beaucoup gagné. Nous avons mis en place, à notre tour, des sections de lieutenants de pêche mais nous n’avons pas pu échapper à un ordre ministériel nous enjoignant de faire des formations avec des bacheliers. On a minimisé le problème en recrutant des jeunes issus du milieu qui avaient des chances de pouvoir s’intégrer, comme des fils de marins. La grande réussite de l’EFTP d’Oran a consisté à mettre en place la section de « patron côtier à la pêche » (selon le principe de l’alternance). Progressivement, l’école d’Oran est devenue la bête noire de l’ITPA parce qu’on avait un taux de placement supérieur. Nous avions des équipes pédagogiques qui tournaient, qui avaient leur autonomie, qui se réunissaient. Il y avait un directeur pédagogique qui organisait des stages. C’était une école qui suivait les élèves après leur sortie. »
pêche, mer, formation, coopération, Etat et société civile
, Algérie
La pêche est un des rares métiers où il est fondamental d’envisager la formation dans un système d’alternance (expérience professionnelle-école) et de faire participer les professionnels à la définition et à la mise en oeuvre des programmes de formation.
Entretien avec Bruno GUILLAUMIE, réalisé par Sophie Nick au CEASM dans le cadre de la capitalisation d’expérience de cette association.
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - France