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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Ma caste criminelle

03 / 1995

"Toute structuration sociale, en tant que travail activement structurant des acteurs collectifs dominants d’une société donnée, est naturellement excluant dans la mesure même où elle prétend s’ériger en système intégrateur. Tout ordre s’affiche dans la clarté de ses marges. L’exclusion n’est donc pas ce qui échappe à l’intégration, mais ce qui en émane par nécessité". Tel est l’axiome théorique sous-jacent aux études des processus de rejet observés par les auteurs au sein du système sociétal indien.

Le rapport de caste comme source fondamentale d’exclusion est illustré par un récit emprunté à une autobiographie collective qui rapporte l’histoire des membres d’une petite sous caste minoritaire, les Kanjâr Bhât, productrice d’alcool illicite condamnés à l’errance, partout pourchassée dans sa région d’origine à l’ouest du Maharashtra. L’un d’entre eux, le jeune Jayrat Rajput, ayant acquis plus d’instruction que la plupart des siens, prend pleinement conscience des persécutions dont ils sont victimes, à la suite de l’expulsion violente qu’il a subie hors de sa maison et d’un terrain situés sur une butte à quelques 20 Km. de Puné acquis pourtant par sa mère régulièrement avec titre de propriété à l’appui. L’attaque a été menée par une bande armée de jeunes, dans le cadre d’une campagne de moralisation contre l’alcoolisme, sur l’instigation d’une importante institution privée d’éducation et de développement gérée à Puné par des acteurs sociaux appartenant à la haute caste brahmane. Jayrat Rajput s’interroge sur le sort injuste qui le frappe lui et toute sa famille. Il entreprend alors de recueillir le témoignage des siens dans tous les endroits où ils parviennent à installer momentanément leur brûlerie et leurs cabanes à distance des villages. Il essaye de comprendre les raisons de cet acharnement qui les contraint tous à mener une vie de vagabonds, alors que la "bonne société les connaît comme des sauvages chez qui elle a plaisir à venir s’énivrer".

Deux explications sont données à cette énigme :

La première est attribuée à l’organisation hiérarchisée de la société villageoise qui comporte trois niveaux de ségrégation :

- les cultivateurs liés à la terre qui constituent la catégorie sociale la plus privilégiée par rapport aux artisans, qui, bien que respectés, sont déjà considérés comme leurs serviteurs.

- Les purs d’une part et les intouchables d’autre part, qui résident à distance dans un quartier à l’écart mais qui font néanmoins partie du village : ils y assument les tâches matérielles les plus serviles.

- les sédentaires et les nomades rejetés eux à la périphérie du village et ne lui sont liés par aucun lien. Ce sont les métèques. Les Kanjâr Bhât sont aussi de ceux-là.

La seconde explication est tirée des notes d’entretien transcrites par le jeune Jayrat Rajput. Les auteurs y discernent "les symptômes d’une pathologie sociale caractéristiques du syndrôme du bouc émissaire, maladie collective dont aucun groupe humain n’est indemne". Sa logique est bien connue. Elle consiste à faire supporter à un individu ou a un groupe tout le poids des torts des autres. Dans le cas particulier des Kanjâr Bhât, pour se disculper de ses fautes, propension généralisée à l’alcoolisme, faux-semblants de répression par une police et une administration corrompues, la société villageoise qui se veut respectable prend pour victimes expiatoires les membres de cette communauté (la plus déhéritée et la plus dépourvue de protections ne pouvant pratiquer à taux élevé le bakchich)parmi les nombreux autres brûleurs et débiteurs d’alcool dans la région dont le commerce tout aussi illicite est bien plus prospère. Telles des brebis galeuses, elle les condammne à un perpétuel bannissement. Elle se donne également bonne conscience de ne pas les aider à sortir de leur dénuement en désignant la caste à laquelle ils appartiennent comme indigne et même "criminelle".

Et les auteurs de conclure : "Derrière les discours les plus moraux et les raids anti-alcooliques les plus irréprochables, se cachent, comme derrière les oripeaux les plus incontestables, tout un reseau de processus d’exclusion sociale. La société sait couvrir pudiquement la honte de ses ordres inhumains. Elle se blanchit sur sa victime qu’elle stigmatise pour lui faire porter sa propre faute et s’autoriser à l’expulser, se déchargeant du même coup de sa faute et de sa responsabilité collective".

Mots-clés

acteur social, exclusion sociale, classe dominante, droit à la différence, différenciation sociale


, Inde, Pune

Notes

Intervention au colloque "Transformations sociales : processus et acteurs", Perpignan, 1994, organisé par l’ARCI et l’Université de Perpignan.

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

POITEVIN, Guy; RAIRKAR, Hema

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