Théories et pratiques
05 / 1994
La problématique du développement n’est pas simple. Elle oblige à "une recherche des cohérences ou des ruptures de cohérence", à passer du point de vue de l’analyse à celui de l’action. Car elle diffère sensiblement selon que l’on se range dans la catégorie des théoriciens qui portent leur attention surtout sur les "facteurs de développement" ou celle des "stratèges opérationnels qui s’intéressent eux plutôt au jeu des acteurs, des institutions qu’ils animent et des actions qu’ils mènent". L’auteur s’efforce d’élucider et d’articuler cette dynamique des jeux fortement imbriqués des facteurs, en observant des phénomènes appartenant à des catégories distinctives du système social en interaction telles que l’économique, le culturel, le politique, et des acteurs, en examinant leurs fonctions à l’intérieur du système social et les rapports de force en présence.
Pour ce faire, il étudie les cadres théoriques et bases d’analyse servant de référence directement ou indirectement aux stratégies de développement. Au plan théorique : les divers courants relatifs au changement social et les lignes nouvelles de recherche. Au plan méthodologique : méthodes classiques d’analyse sociale, méthode systémique, recherche-action et analyse participante. Ces bases théoriques sont confrontées avec un corpus d’expériences concrètes, toutes marquant des efforts vers un développement endogène en vue de mettre en évidence le jeu des facteurs et des acteurs dans des dynamiques de participation et de développement en situations réelles.
Dans l’analyse de l’expérience d’animation et de participation populaire lancée en République du Niger une fois l’indépendance acquise, l’accent est mis sur l’importance accordée à la formation d’acteurs (paysans, jeunes, femmes, cadres)devant soutenir la stratégie d’animation participante, adoptée par le gouvernement, cette formation s’avèrant préalablement nécessaire à la création de structures appropriées au projet de "développement endogène intégré" (1965-1974). L’expérience a été conduite selon une méthodologie destinée à favoriser la prise de conscience des facteurs de non-développement et aussi des potentialités réelles, puis à inciter à l’auto-analyse des besoins et à l’auto-organisation des moyens par la communauté elle-même ainsi qu’à l’entente entre elles en s’appuyant sur leurs spécificités culturelles, leur savoir-faire, leurs modes de rapports sociaux. D’abord suscité par le gouvernement, mais ensuite freiné dès lors que, prenant de l’ampleur, le mouvement monté de la base apparaît comme une menace pour le pouvoir central et pour ses agents, elle fut néanmoins reprise et renovée par le régime militaire en 1974 et tout au long des années 80. Celui-ci mit en place un ensemble cohérent de structures de participation et de concertation avec toujours la volonté politique de préserver les valeurs fondamentales de la culture locale tout en s’engageant dans le modernisme.
De même, en Guinée-Bissau, Amical Cabral a recours à "l’arme de la culture" dans la guerre de libération menée contre le Portugal pour mobiliser les "acteurs-paysans" d’abord en pays balante, puis progressivement en pays fula et dans les villes sur l’ensemble du territoire. Dès 1956, il fonde le parti pour l’Indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, lequel établit dans les zones peu à peu libérées des structures de type autogestionnaire, facilitant l’utilisation dans la lutte armée comme dans la lutte contre le sous-développement, le ressort communautaire ainsi canalisé.
Dans la même ligne socio-historique, se situe la tentative également éphémère d’instauration en Tanzanie d’un socialisme africain par le président J.K. Nyéreré, acteur principal d’un grand mouvement d’éducation visant à faire entrer le pays dans une ère d’auto-gestion et d’auto-responsabilité et à promouvoir une société égalitaire et solidaire. La politique de regroupement des paysanns en villages ujamaa, c’est-à-dire coopératifs, comme stratégie de développement rural est restée célèbre.
Les références asiatiques s’inscrivent dans un autre registre : celui de l’action sanitaire et sociale avec l’histoire du centre de Santé rurale de Savar au Bangladesh, une ONG dont les principaux acteurs, médecins et "paramédics" (jeunes femmes issues de la société locale spécialement formées)en s’attaquant en priorité aux problèmes de santé étendent progressivement leurs actions sur le système agraire, l’école, la fabrication de médicaments pour le peuple à coût réduit, la fondation d’une faculté de médecine rurale.
En Inde, le CROSS (Comprehensive Rural Operation Service Society), une ONG fondée par un groupe de militants vise à rompre la spirale de la paupérisation et de la marginalisation en s’adressant parallèlement aux hommes et aux femmes dans les villages d’une région du Sud, à partir d’un support d’organisation communautaire, le sangham, comité villageois permettant de développer la participation et l’action éducative et en même temps les capacités d’une analyse socio-économique.
Pour l’Amérique latine, l’exemple présenté concerne les procédures d’auto-organisation et le développement de la vie communautaire dans une favela à la périphérie de Rio de Janeiro.
En dernière analyse : un examen des points d’appui et composantes requises pour qu’une stratégie conduise à un développement global, intégré, équilibré, auto-entretenu et maîtrisable par les acteurs qu’il concerne.
Pour conclure: "le jeu reste ouvert... il existe autant de stratégies que d’histoires inscrites dans les contextes géo-économiques, politiques, sociaux et culturels différents... La dialectique principale semble être l’arbitrage difficile et nécessaire transformant en projet humain des contradictions entre croissance matérielle et développement spirituel..." C’est-à-dire, en fait, un arbitrage entre technologie et culture.
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, Niger, Guinée-Bissau, Tanzanie, Bangladesh, Inde, Brésil
Article fondamental qui resitue clairement la problématique du développement endogène dans ses cadres théoriques et bases méthodologiques d’analyse.
Livre
COLIN, Roland, UNESCO, Développement endogène : aspects qualitatifs et facteurs stratégiques, UNESCO, 1988/08/19 (France)
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