04 / 1993
Un bon communicateur doit-il être celui qui épouse toujours les idées de son milieu ou doit-il aussi avoir le courage de proposer des innovations allant à l’encontre des idées prédominantes ? L’histoire de la naissance de la première école de Kabaté peut nous aider à répondre à cette question. Kabaté est un des huit villages maliens de la région de Kayes dans lesquels intervient l’Ordik. Les 8 villages de l’ORDIK n’ont aucune tradition scolaire moderne. Les foyers coraniques où on apprend à réciter les versets coraniques pour pouvoir faire sa prière correctement sont les seuls centres d’instruction. La population s’est toujours opposé à la construction d’écoles modernes jugées contraires à ses valeurs et moyens d’éloigner les enfants de leurs parents. Il y a quelques décennies, la rumeur avait couru que l’Etat voulait implanter une école dans les villages Ordik. Tous les marabouts s’étaient alors réunis pour invoquer Allah pour préserver la région de cette "catastrophe" qui allait séparer les enfants et les parents. L’Ecole qui vient de s’ouvrir à Kabaté constitue une véritable révolution. Une révolution qui est le fruit d’un long mûrissement et du courage de Ibrahim Traore, communicateur de l’Ordik. En 1988 Ibrahim rentre de France et alphabétise ses frères en soninké. Lors de son second passage, il étend l’alphabétisation à d’autres jeunes du village et laisse derrière lui un moniteur qui prend sa relève. Le village de Kabaté où des jeunes savent lire et écrire devient un phare de la région. En 1988 le projet ORDIK s’implante dans la région. L’eau étant la principale priorité du projet, l’alphabétisation y débute avec peu de moyens. Sous forme d’une campagne d’alphabétisation fonctionnelle de base. L’objectif de la campagne est de donner aux débutants les possibilités d’apprendre à lire et à écrire les lettres, les mots, les phrases simples, les chiffres ; et aux néo-alphabétisés quelques notions d’orthographes, de grammaire, de calcul nécessaire à la vie dans le monde rural. Etalée sur deux semaines, la campagne est menée par deux instituteurs suivant le rythme du calendrier agricole. Les femmes finissant leurs travaux à 10 heures constituent le premier groupe. Le groupe des hommes prenant la relève après le retour des champs. Pour pouvoir alphabétiser les femmes, ce n’était pas évident au départ : les hommes craignant que leurs femmes ne soient dévergondées par cet enseignement. Pour débloquer la situation l’animateur de l’ORDIK, Ibrahim Traore, va devoir peser du poids de sa crédibilité et de sa bonne moralité en passant voir tous les chefs de famille pour leur demander de laisser au moins une femme dans chaque concession profiter de la campagne. C’est cette campagne d’alphabétisation qui va préparer les esprits à l’idée de l’école. Si certains continuent à considérer l’école comme un outil de destruction des valeurs traditionnelles, beaucoup d’autres ont changé d’avis. Notamment les décideurs, comme l’imam et le chef du village. Samassa, responsable de l’ORDIK : "Il a fallu d’abord gagner ces notables à l’idée que l’arabe et le français ne s’excluaient pas nécessairement, qu’avec l’un et l’autre on pouvait conserver ses valeurs et les enrichir, que école et medersa sont plutôt des outils complémentaires qui peuvent s’intégrer. Il ne restait plus alors qu’à solliciter l’appui financier des migrants ; les villageois se chargeant de bâtir les murs".
changement culturel, démocratie, histoire du développement, identité culturelle, interdépendance culturelle, participation populaire, innovation, savoir traditionnel
, Mali, Kabate
L’histoire de la naissance de Kabaté montre qu’un bon communicateur ce n’est pas seulement celui qui sait prendre la couleur locale mais aussi qui croit à certaines valeurs et ose les promouvoir même contre l’avis général.Il faut donc oser proposer des idées neuves .Même contre l’idée générale . L’essentiel étant de pas de ne pas heurter les gens dans leur dignité.
Entretien