Une rencontre entre théoriciens et praticiens sur le thème "L’économie populaire (dite informelle): constitue-t-elle un modèle ou une impasse ?" fut organisée par le Réseau Cultures en septembre 1993 à Bruxelles. Pour remédier aux lacunes du regard européen ethnocentrique sur le monde, Hassan Zaoual, économiste marocain, enseignant à l’Université de Lille, proposa une méthodologie qu’il appelle "la sitologie" ou la méthodologie des sites symboliques. Le site symbolique est le lieu (village, zone, bidonville, entreprise, quartier, région ...)où s’entrecroisent croyances, connaissances et comportements et où opèrent donc différentes dynamiques culturelles qui lui donnent son caractère unique et complexe. La reconnaissance de l’existence de sites symboliques est ce qui permet de pratiquer un double regard croisé : interdisciplinaire et interculturel. Cette notion évite de parler de "la culture" comme si elle existait quelque part à l’état "pur" et statique. Les cultures, en interaction avec le "réel", se mélangent et se transforment. La notion de site symbolique rappelle aussi que la croyance, le symbole, les mythes, en bref l’invisible sous-tendent la réalité qui, à son tour, les influence. L’échec des projets de développement dans les pays du Sud est dû en grande partie au fait qu’ils aient été conçus sur le plan visible, physique - souvent avec soin et compétence - mais qu’ils ignorent l’invisible, le métaphysique. L’acteur n’est pas un idiot culturel. Il a sa matrice symbolique, des savoir-faire à lui, des pratiques spécifiques. La tolérance active face à cette diversité peut aboutir au plan mondial à une sorte de division interculturelle de la créativité, bien éloignée de la division mondiale du travail imposée par "l’ordre" actuel. Le monde est mosaïque. Chaque site présente des différences et des ressemblances. Par rapport aux sites symboliques arabo-musulmans et africains, le développement n’est souvent qu’une bulle, une économie fictive qui entretient une élite stérile et produit de l’endettement. Le capitalisme occidental y réussit certes quelques percées, ayant transformé l’autre en débouché. Mais sur place, le capitalisme autochtone est faible voire exsangue. Le capitalisme reste à la périphérie des mentalités : on veut bien en consommer les produits (la radio, les cigarettes, l’autobus)mais sans en intérioriser la "religion" : accumulation, épargne, discipline industrielle, stress. Cependant, au-dessous et autour de cette économie formelle et largement artificielle, il y a l’économie populaire qui crée de l’emploi, mobilise de l’épargne, produit des biens qui assurent, à la stupéfaction des économistes, la survie de millions de "marginaux" suburbains. Les économies endo-informelles corrigent la faillite du capitalisme véhiculé par le petit noyau formel.
L’échec du développement au niveau macro et micro est lié au fait, heureux en soi, que le "tiers-monde" n’est pas un vide mais se compose de sociétés vivantes qui se défendent et qui réagissent à ce qui vient de l’extérieur. Ainsi, il réagit au développement clef-en-main pro-jeté (c’est le cas de le dire puisqu’il est envoyé sous forme de projets)sur des groupes cibles. Il faut noter que tantôt le site symbolique est structuré selon des normes culturelles bien identifiables (p. ex. chez les Soussi du Maroc, les Mozabites algériens, les Bamilikés camerounais, les Nande zaïrois, les Soninkés mauritaniens), tantôt il semble incapable d’assurer la reproduction d’une identité car tout y est déstructuré, mobile et en continuel mélange. Il s’agit alors d’un univers mouvant, incertain, mais dont le "chaos" n’est souvent qu’apparent car il est plein de repères, de valeurs, de codes, de croyances partagées.
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
ZAOUAL, Hassan
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