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Marché du travail et exode rural en Chine : quelques exemples pris dans le Anhui et le Sichuan

Sylvie DIDERON

03 / 1993

A Pékin, les femmes de ménage venues du Anhui sont connues pour être efficaces et peu difficiles quant aux conditions de travail. Depuis la fin des années 1980, de véritables marchés du travail ont fleuri dans la capitale comme dans les autres grandes villes de Chine, les Chongqing, Chengdu, Shanghai, Nankin, Canton et autres pôles de développement industriel et commercial. Certains carrefours de Pékin sont bien connus de tous pour être les lieux de ralliement des paysans chercheurs d’emploi fraîchement débarqués à la gare de Pékin.

1. Pour "petit Li", 20 ans, c’est une grande aventure. Ses parents n’ont jamais quitté le canton et il est le premier de son village, un des premiers de la région, à partir chercher du travail à Pékin. Ils sont deux du même coin. Se rendre dans la capitale est l’opportunité pour eux de ramasser un petit pécule pour l’avenir. Petit Li est fiancé depuis trois ans mais la somme nécessaire au mariage n’est pas encore réunie. Toute la famille s’est cotisée pour acheter les billets de bus et de train (aller simple 40 à 50 yuans soit l’équivalent de 50 kg de blé)afin de permettre au petit dernier, le seul n’ayant pas encore son foyer, de tenter sa chance.

Arrivés à Pékin, les deux camarades ont assez vite trouvé une place. Une entreprise de bâtiment les embauche pour 7 yuans/jour (1 yuan= 0,2 US$ en 1993), logés dans des dortoirs. Ces conditions de logement peuvent paraître rudimentaires à d’autres yeux: pas ou peu de chauffage, lavabos avec eau froide ,... Elles sont bonnes comparées à celles de leurs villages: pas de chauffage faute de combustibles, pas d’eau courante, 3, 4 ou 5 personnes pour une pièce de terre battue, lits sommaires formés d’un cadre de bois et d’un sommier tissé de chanvre, parfois l’éléctricité. 7 yuans/jour, c’est mieux que les 5 yuans gagnés de temps en temps à participer à la construction de maisons dans les villages alentour, aux heures libres du calendrier agricole. Ce "mieux" permet d’accepter des journées de travail à rallonge, l’absence de mesures de sécurité sur les chantiers, les 7 jours de travail hebdomadaires,... Ces "ouvriers-paysans" non spécialisés sont en outre transférés d’un chantier à l’autre, d’un dortoir à l’autre en fonction des besoins, sans préavis.

La plupart des ouvriers sur les innombrables chantiers des grandes villes sont, comme petit Li, de jeunes paysans venus amasser un petit pécule pour retourner chez eux après quelques années et se marier ou pouvoir accéder à de meilleures conditions de vie et de travail: construire une maison plus confortable, acheter une charrue, un tracteur ou d’autres moyens de production.

C’est parmi cette main-d’-oeuvre abondante et bon marché que recrutent les entreprises - à capitaux locaux ou étrangers- des "zones économiques spéciales" du Sud et de l’Est de la Chine. Les salaires sont parmi les plus bas du monde avec moins de 100 yuans par mois (20 US$).

Mais ces salaires sont encore plus élevés que les revenus que peuvent attendre ces agriculteurs dans les régions où ils vivent. La condition est d’avoir les moyens de réunir l’argent du voyage. Les paysans migrants (on a parlé de 50 millions)ne sont pas originaires des régions les plus pauvres: il faut avoir les moyens de l’exil. Ou alors ce sont les paysans ruinés, ceux qui ont tout perdu et qui errent sur les routes.

2. Quelle alternative à cet exode? Pour ceux qui restent, les opportunités de travail aussi intéressantes ne sont pas nombreuses à Bozhou.

Le développement des entreprises rurales est favorisé par l’Etat précisément dans le but de créer localement des emplois pour la main-d’-oeuvre agricole. Cependant, l’offre est supérieure à la demande et, pour avoir accès à de tels postes, il est nécessaire d’avoir fait des études secondaires et/ou d’apporter à l’entreprise une contribution au capital pouvant varier de 400 à ...8000 yuans!

Que reste-t-il à ceux qui n’ont pas les moyens "d’acheter" un travail? Trouver des emplois très temporaires? La construction est le secteur le plus rémunérateur actuellement. Ceux qui ont pu accumuler un capital de 200 yuans au moins pourront investir dans le commerce: plantes médicinales, petites boutiques, cyclo-pousse... Ceux qui n’ont que quelques dizaines de yuans ou moins à investir pourront aller colporter ou vendre sur les marchés des sucreries, des petits pains confectionnés par leurs soins, des glaces en été...ou bien arriver les premiers là où est demandée une main-d’-oeuvre journalière comme dans les fermes d’Etat au moment des récoltes. Mais tous ces travaux et investissements demeurent extrêmement aléatoires.

3. A Tianchang, les opportunités locales d’emploi pour les agriculteurs sont plus nombreuses qu’à Bozhou. Beaucoup d’entreprises des centres industriels voisins (Nankin, de Shanghai et du Jiangsu)viennent y installer des unités de sous-traitance. D’autre part, de multiples activités agricoles "secondaires" trouvent ici des débouchés: élevage et vente de volailles vers ces grandes métropoles,...De même à Xiema, commune de la province du Sichuan et proche de l’immense agglomération de Chongqing, l’emploi dans le bâtiment n’est pas seulement comme à Bozhou une occupation aléatoire hors des périodes de pointe de travail agricole. Des marchés du travail existent bel et bien dans les rues de Chongqing où il est quasiment assuré actuellement de trouver un emploi de moyenne ou longue durée. Beaucoup de paysans sont effectivement doubles-actifs.

Mots-clés

milieu rural, agriculture, paysan, entreprise, développement rural, construction de logement, marché de l’emploi, emploi, exode rural


, Asie, Chine, Anhui, Sichuan

Commentaire

On comprend l’attachement du gouvernement chinois à limiter l’exode rural. Comment contrôler quelques 800 millions de paysans chinois qui, de manière plus ou moins permanente, cherchent à s’employer hors de leur terres? Malgré tous les efforts de l’administration (difficultés à obtenir une carte d’identité nécessaire pour se déplacer, perquisitions régulières à Pékin pour chasser les habitants illégaux,...), les paysans affluent là où il peut y avoir du travail. Et c’est précisément dans les villes où on construit pour loger une population déjà à l’étroit.

Le travail est considéré comme une véritable marchandise dont le prix et les conditions sont effectivement fonction de l’offre et de la demande.

Notes

Ma thèse (Institut National Agronomique Paris-Grignon; en cours)résulte d’un travail de recherche de terrain, d’observations et d’enquêtes menées auprès des acteurs de l’agriculture locaux: paysans, cadres,...dans plusieurs districts chinois.

Source

Thèse et mémoire

DIDERON, Sylvie, INSTITUT NATIONAL AGRONOMIQUE PARIS-GRIGNON, 1993/00/00 (Suisse)

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