Khabar Lahariya, qui signifie en langue locale Bundeli « vagues d’informations », est un magazine bimensuel rural écrit, édité, illustré, produit et commercialisé par un groupe de femmes. La plupart sont issues des communautés marginalisées dalit (intouchables), tribales (Kol) et musulmanes des districts de Chitrakoot et Banda dans l’État d’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde.
La publication a commencé en mai 2002 à Chitrakoot et une seconde édition a été lancée dans le district voisin de Banda en octobre 2006. Actuellement, Khabar Lahariya est imprimé à 5.000 exemplaires et a un lectorat de 25.000 personnes sur 400 villages dans les deux districts. En 2008 le groupe Khabar Lahariya a été enregistré comme organisation indépendante, sous l’appellation Pahal, l’un des seuls collectifs de médias de femmes rurales du pays.
Forte de la popularité et de la reconnaissance croissante de Khabar Lahariya, l’organisation Nirantar travaille à son expansion. Un collectif de femmes produira bientôt une édition de Khabar Lahariya dans le district de Sitamarhi, dans l’État voisin du Bihar. Nirantar organise des cours de journalisme rural pour former de nouveaux collectifs de femmes afin de produire d’autres éditions de Khabar Lahariya.
Nirantar a gagné le prestigieux Prix King Sejong de l’UNESCO pour ce projet de joural rural dirigé par des femmes tribales et dalit en Uttar Pradesh. Le prix reconnaît aussi que « la méthode bien structurée de Nirantar dans la formation au journalisme de femmes nouvellement alphabétisées et la démocratisation de la production de l’information offrent un modèle d’éducation en vue de la transformation sociale facilement reproduisible ».
A propos de Khabar Lahariya
Écrit en langue locale bundeli, Khabar Lahariya propose un mélange d’informations et de divertissements spécialement destinés au public du Bundelkhand, rural et très faiblement alphabétisé. Le journal de huit pages comprend des nouvelles politiques ainsi que des récits sur le fonctionnement des panchayats (gouvernements locaux), la bureaucratie, les écoles et les hôpitaux de la région. Ses reportages spécifiques sur les violences commises envers les femmes et les groupes marginalisés de la société constituent une critique de la tendance actuelle des médias à créer la sensation autour de tels incidents.
L’objectif de Khabar Lahariya d’atteindre les villages où d’autres formes d’information ou de divertissement sont limitées a été atteint grâce à un travail enthousiaste et le journal est maintenant connu dans la région. Khabar Lahariya est vendu par les reporters et autres employés du journal, des exemplaires sont aussi disponibles dans les petites boutiques et étals de thé au centre administratif des « blocks » et dans les villages et hameaux reculés.
Khabar Lahariya est un exemple unique d’éducation visant à la transformation sociale. Il a permis aux femmes rurales, intouchables et nouvellement alphabétisées de pénétrer et de transformer la scène publique des médias et de la création d’information, un espace traditionnellement dominé par les homme de « hautes castes ». De manière cruciale et innovante, il renforce la démocratie à la base et remet en question les relations de genre et de caste. Son style de reportage d’investigation non seulement le rend populaire auprès de ses lecteurs mais est aussi important pour mettre en place une culture de la responsabilité et de la transparence. Plusieurs reportages publiés dans Khabar Lahariya ont permis à des personnes d’agir et de redresser des tords.
L’équipe de Khabar Lahariya comprend des femmes de communautés marginalisées avec des niveaux variables d’alphabétisation et d’information. Des efforts importants sont réalisés pour renforcer leurs compétences dans la lecture et l’écriture mais aussi pour développer d’autres aptitudes : par exemple leur capacité à se déplacer et à interagir avec diverses personnes de la sphère publique, leur niveau d’information et de compréhension de la politique, leurs capacités d’écriture et d’édition, etc. Un autre défi considérable a été l’absence de système de distribution en dehors des villes, y compris pour les grands journaux. Les efforts pour tenter de mettre en place des mécanismes de distribution ont eu un succès limité et sporadique bien qu’aujourd’hui un plan simplifié de commercialisation ait été mis en place. Récemment, les efforts pour l’expansion de Khabar Lahariya ont abouti à augmenter la fréquence de la publication, Khabar Lahariya devenant un hebdomadaire, et à enregistrer le journal comme entité légale indépendante (selon la loi de l’enregistrement des sociétés) pour permettre au groupe de fonctionner comme unité de production indépendante.
En mars 2004, Khabar Lahariya a reçu le prix prestigieux Chameli Devi Jain, qui récompense chaque année les journalistes femmes et est décerné par la Media Foundation de New Delhi. Pour un collectif de médias de femmes rurales, recevoir une récompense de cette nature représente une avancée importante dans le monde du journalisme rural dominé par les hommes. En 2004, trois membres du groupe ont aussi reçu des bourses de la Dalit Foundation pour des reportages sur les questions relatives aux droits de la communauté Dalit.
Produire Khabar Lahariya
Le processus de production de Khabar Lahariya est spécifique. Il se fait selon un cycle hebdomadaire. Après avoir décidé du sommaire en réunion, les reporters partent faire leur enquête. Ils se rendent dans les villages et les bureaux du gouvernement pour suivre les grandes nouvelles, récolter les informations et interviewer les personnes. Ils passent en revue les grands journaux et magazines pour trouver des idées. A mi-temps du cycle de production, ils tiennent une réunion éditoriale d’une journée durant laquelle les histoires qui seront traitées sont discutées et le contenu éditorial est décidé. Quelques jours plus tard, ils se réunissent à nouveau dans les bureaux de Khabar Lahariya pour un atelier de production de deux jours, une période d’écriture intense, où ils réagissent aux articles des uns et des autres, rédigent, font la mise en page, travaillent aux illustrations et relisent l’ensemble. Puis l’une des femmes emporte le journal pour l’imprimer à Allahabad, la grande ville la plus proche qui se situe à 100 km. Deux jours après, lorsque le journal arrive tout chaud de l’imprimerie, les reporters se transforment en vendeurs. Ils collectent leurs copies au bureau… et le cycle recommence.
Contenu
Khabar Lahariya contient principalement des informations sur le développement local. Le journal rend compte de cas de violence contre les femmes, de sujets relatifs aux Dalits et à la corruption bureaucratique. Il est divisé en plusieurs sections : les nouvelles actuelles (Taaza Khabar), les nouvelles nationales et internationales (Desh Videsh), les questions de femmes (Mahila Mudda), le gouvernement local du panchayati raj, les divertissements (Idhar Udhar), les nouvelles régionales et une page éditoriale (Hamaar Sandesh).
Khabar Lahariya produit aussi un numéro spécial trimestriel qui peut être consacré à des questions précises comme les élections locales, d’État ou nationales, ou enquêter sur des questions importantes de développement d’un point de vue féministe.
Impact
- Remettre en cause les rapports homme-femme
Entrer sur le terrain du journalisme politique a été une avancée majeure pour l’équipe de Khabar Lahariya. Au départ, le journal ne travaillait pas sur les informations politiques, et non sans raison. La politique au sens traditionnel n’était pas un domaine dans lequel les femmes, appartenant aux communautés pauvres et marginalisée, étaient engagées. Donc, quand les femmes ont décidé d’ignorer les élections à l’Assemblée législative nationale (Lok Sabha) parce qu’elles manquaient d’assurance et d’informations, nous avons tenté d’y remédier. Nous avons organisé un cours intensif sur la politique, puis planifié et produit avec l’équipe trois numéros “spécial élections”. Ils ont été très appréciés des lecteurs et ont rempli l’équipe d’un sentiment de pouvoir. Que Khabar Lahariya pouvait-il offrir que les autres journaux n’offraient pas? Beaucoup, très clairement. Les trois numéros spéciaux contenaient notamment des entretiens avec des candidats locaux de différents partis politiques, de l’information et des articles d’opinion. Cela a marqué un tournant important dans le chemin de Khabar Lahariya, en rendant compte de la politique nationale depuis leur propre lieu de vie, les femmes commentaient en fait des événements de macropolitique et rendaient leur point de vue accessible dans le domaine public. Cela remet naturellement en question le contrôle hégémonique du savoir par les couches puissantes de la société.
- Renforcer la démocracie de base
Les articles de Khabar Lahariya ont à la fois éclairé les cas de violence, de négligence bureaucratique et d’apathie officielle, mais ont aussi tout simplement fourni une information que la communauté n’avait pas. Des lecteurs ont utilisé certains de ces articles pour exiger de l’action ou une plus grande information. Khabar Lahariya s’est fait un point d’honneur de suivre ces histoires. Tous les articles ne peuvent pas prétendre avoir eu des “résultats positifs” mais, dans plusieurs cas, ils ont déclenché un processus de questionnement.
On peut citer quelques exemples de l’efficacité des reportages de Khabar Lahariya :
Un reportage sur la carrière de pierre près de Bharatkup a mis en lumière son impact catastrophique sur l’environnement ainsi que la collusion entre les investisseurs et l’administration. Les paysans de la région ont alors commencé à poser des questions.
Un reportage dans le village de Sukhrampur où presque tous les villageois souffraient de la tuberculose a eu pour conséquence le départ forcé de certains agents de santé pour négligence et les villageois ont reçu un traitement.
Khabar Lahariya a rendu compte de violences policières contre une femme Kol. Le cas a été pris en charge par une ONG locale et le rapport a renforcé la pression sur la police.
- Changer des vies
En dehors des impacts plus larges de Khabar Lahariya dans le monde rural de l’Uttar Pradesh, le journal a eu des conséquences cruciales sur la vie des femmes qui travaillent dans l’équipe de rédaction et de distribution. Elles ont dû repousser les frontières de l’espace auquel elles sont supposées se cantonner, que ce soit en étudiant davantage qu’elles n’en ont eu la possibilité, ou en négociant dans la sphère publique dans un sens actif.
Plus fondamentalement, tous les membres de l’équipe ont été amenés à réfléchir sur leur genre, leur classe et leur identité de classe, et à la manière dont ces éléments formatent leurs vies et leur travail. Prenez par exemple Kavita, qui a été mariée à 14 ans. Malgré des contraintes financières et une grande résistance familiale à la poursuite de ses études, elle a étudié en internat et a terminé ses études. Après presque 10 ans d’un mariage où elle n’avait ni soutien si respect, elle a été capable de prendre la décision de partir et de vivre de manière indépendante. Shanti, une autre membre de longue date de l’équipe, appartient à la communauté Kol, une tribu répertoriée. Enfant, elle n’a pas eu accès à l’éducation. Elle a donc commencé à étudier vers la trentaine. Cela a eu des conséquences importantes dans sa vie : elle a acquis une confiance qu’elle n’avait jamais eu auparavant, cela lui a permis de trouver un emploi, d’être éduquée et de bien s’exprimer, et lui a donné une mobilité dont elle n’avait jamais fait l’expérience.
- Apprendre le journalisme
Ces cinq dernières années, plusieurs formations ont été organisés pour les reporters de Khabar Lahariya afin de construire leurs compétences dans divers domaines. Des efforts ont été faits pour renforcer leurs compétences techniques comme le reportage, l’écriture, l’édition et la production ainsi que pour faciliter la compréhension des questions actuelles et politiques. Ces formations ont été structurées pour s’adresser aux besoins spécifiques des femmes, dont la plupart étaient peu alphabétisées et avaient peu accès aux autres sources d’information. Des interactions et discussions avec d’autres groupes de médias, des collectifs de femmes, des chercheurs, et d’autres personnes ressources extérieures ont constitué des opportunités d’apprentissage excellentes pour le groupe.
Ces ressources sont apportées à l’équipe régulièrement sur différentes questions d’actualité qui font la une des journaux nationaux. Les thèmes suivants ont été abordés lors d’ateliers l’équipe : le droit à l’alimentation, le débat sur la peine de mort dans les cas de viol (qui est intervenu à l’occasion d’un procès très médiatisé), l’abus sexuel des enfants, les droits des travailleurs du sexe et les questions relatives à la production de l’information dans les langues locales.
journalisme, médias, organisation de femmes, milieu rural
, Inde
Lire l’article original en anglais : Khabar Lahariya, A Women Rural Newspaper in Uttar Pradesh, India
Traduction : Valérie FERNANDO
Pour plus d’informations, lire :
Farah NAQVI, Waves in the Hinterland. The Journey of a Newspaper, Zubaan Books/Nirantar, 2008
Présentation d’organisme
Nirantar, Khabar Lahariya, A rural newspaper
Nirantar (a centre for gender and education) - B-64 Second Floor, Sarvodya Enclave, New Delhi 110017, INDIA - Inde - www.nirantar.net - nirantar(@)vsnl.com