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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Que reste-t-il de la gauche ?

John SAMUEL

03 / 2011

Aussi longtemps que le statu quo domine et que la marginalisation et les violations des droits de l’Homme persistent, la Gauche a un rôle à jouer en Inde et au niveau mondial, affirme John Samuel. Mais la nouvelle vague de la politique de gauche doit aller au-delà de la politique des partis, vers la construction d’un leadership plus éthique, d’un mouvement de masse non-violent visant à des réformes économiques et politiques et à la défense de politique publiques favorables aux pauvres et aux populations marginalisées.

Que signifie « la gauche » aujourd’hui ?

Le terme de gauche est davantage une catégorie relative et comparative qu’une indication d’une idéologie ou d’une philosophie politique claire. La gauche peut avoir de multiples connotations dans des contextes et périodes multiples. Elle peut faire référence aux socio-démocrates, aux socialistes, aux communistes, aux anarchistes, aux verts et mêmes aux libéraux dans le contexte des États-Unis. Même s’il désigne un large éventail de politiques visant à rendre la société plus équitable et égalitaire, l’usage du terme a précédé le mouvement socialiste ou communiste de la fin du 19ème siècle.

La gauche est généralement perçue comme étant, du point de vue des valeurs politiques, en faveur de l’égalité, de la fraternité, de la liberté et de l’émancipation, et du point de vue de l’action politique, en faveur d’un gouvernement plus actif, de l’État-providence et des couches ou classes marginalisées de la population. Les politiques de droite sont généralement perçues en termes de maintien d’un statu quo, de valeurs conservatrices, d’individualisme, d’un rôle réduit du gouvernement, de l’accumulation de la richesse, de la maximisation du profit et de l’idéologie de l’économie de marché.

[…]

Que signifie la gauche aujourd’hui ? Après l’effondrement de l’Union soviétique et la transformation de la Chine en une économie de marché, il ne restait plus beaucoup d’exemples d’une gauche en tant que régime, bien qu’à une échelle relative divers partis politiques étaient qualifiés de gauche ou de droite en fonction de la perception et des dynamiques politiques de chaque pays.

Il est important de reconceptualiser la politique de gauche pour le 21ème siècle. Même s’il est bon d’être conscient des analyses, expériences et expérimentations du passé, il est important de les dépasser et de relocaliser la nouvelle politique de gauche dans le contexte de la gouvernance démocratique et de la justice.

Aussi longtemps que le statu quo domine, que la marginalisation, l’aliénation, la discrimination et la violation des droits de l’Homme persistent, la gauche a un rôle à jouer au niveau mondial et en Inde.

L’avenir des politiques de gauche doit s’inspirer des idéaux originaux de la gauche (liberté, fraternité, droits et justice) ; cependant, il est nécessaire de développer une nouvelle praxis de gouvernance et de gouvernement dans un contexte de nouvelles tendances et problématiques émergents. Bien que le système des partis politiques soit important, la politique de gauche nouvelle vague doit être élaborée au-delà des limites conventionnelles de la politique des partis et au-delà du seul objectif d’accéder au pouvoir d’État. Car lorsque les partis politiques deviennent partie prenante du statu quo lui-même, les vraies initiatives pour une politique de transformation ne peuvent venir que de processus politiques indépendants des partis.

Les questions de l’égalité des sexes et de la justice socio-économique et écologique, les principes de dignité, de non-discrimination, de droits civils et politiques et de droits humains inaliénables doivent être au fondement des politiques de gauche.

La gauche dans le contexte indien

La Constitution indienne s’engage à défendre une société plus équitable et plus juste qui garantisse les droits de l’Homme. Cependant, même après 64 années d’indépendance, la vraie liberté est toujours repoussée à plus tard pour des millions d’Indiens. Des millions de mères continuent de décéder en couche. Plus de 200.000 paysans se sont suicidés en raison de leur endettement et de leur incapacité à gérer leur petite ou moyenne exploitation agricole. Les exemples d’inégalités et d’injustices se multiplient. On assiste à une communautarisation toujours plus forte de la politique et à de nouvelles formes de marginalisation fondées sur la caste, les croyances et l’identité. Un Indien sur quatre se couche la faim au ventre.

Bien que le paradigme nehruvien de démocratie sociale ait fermement établi les fondements de la nouvelle République indienne et les premières initiatives en matière de discrimination positive, l’Inde est encore loin d’avoir réalisé les promesses et potentialités de la Constitution et de l’idéal de la République. Pendant ces six décennies d’indépendance, une nouvelle classe politique a émergé avec le patronage de nouvelles élites économiques. Alors que de nouveaux modèles de croissance économique centrée sur les milieux urbains a permis de créer une nouvelle classe moyenne et supérieur indienne « qui brille » dans les métropoles du pays, ils ont aussi rejeté les préoccupations des populations pauvres et marginalisées hors du discours du « développement ». Le « développement » a été vu en termes de croissance économique inéquitable, d’infrastructures urbaines et d’opportunités d’emploi pour la classe moyenne en pleine ascension sociale. Et le fait est que plus de 70% de la population indienne, qui vit dans les villages et les petites villes, n’a pratiquement pas bénéficié de ce processus de « développement ».

Le paradigme politique néo-libéral a promu le « développement » en termes de « croissance économique » et de PIB, au détriment de la majorité des Indiens qui souffrent du prix croissant des biens de première nécessité, du manque de logements à prix abordable, des emplois précaires et de la restriction de l’espace démocratique dans lequel ils pourraient s’affirmer. Alors que les partis politiques expriment leurs préoccupations et attirent les électeurs sur la base de la caste, des croyances et de la religion, ils échouent souvent à transformer la rhétorique de leurs manifestes électoraux en choix politiques concrets destinés aux pauvres et aux plus marginalisés. Résultat, il y a de moins en moins d’investissement pour soutenir l’emploi rural, l’agriculture durable, les infrastructures rurales et le développement social et économique des minorités et des populations historiquement marginalisées.

Les couches de la population qui sont historiquement marginalisées regroupent les intouchables (dalits), les populations tribales (adivasis) et divers types de minorités religieuses et ethniques qui forment presque 50% de la population indienne. Malgré la rhétorique politique électorale, la plupart des gouvernements se sont pliés à la notion erronée de « développement » conçue comme croissance économique, en investissant surtout dans des infrastructures urbaines impressionnantes. Cela crée de nouvelles formes d’inégalités sociales et économiques qui pourraient nourrir de nouvelles formes de violence sociale et politique en Inde.

Les nouvelles vagues de groupes fascistes ayant comme programme l’Hindutva (i.e. faire de l’Inde le pays des Hindous) crée également un sentiment d’insécurité croissante parmi les communautés marginalisées de l’Inde. Un tel contexte politique mine les promesses et idéaux de la République de l’Inde.

C’est dans ce contexte qu’il existe un espace et une portée pour un nouveau discours de la gauche, promouvant l’équité, la justice et la croissance socio-économique ; assurant les droits de l’homme, et le développement humain pour toutes les couches de la population, y compris les plus marginalisée et les ruraux pauvres. Un discours politique de gauche plus large doit inclure des membres de la société civile, des mouvements sociaux et des partis politiques. Cependant, le programme de la gauche doit être conçu au-delà du cadre des partis politiques dans la mesure où ces derniers, y compris les partis communistes indiens, sont devenus de simples réseaux ou institutions électorales visant à gagner les élections et à « capturer » l’État afin de jouir du « confort » du pouvoir.

Un programme de gauche doit donc être considéré à travers les partis et au-delà des partis. Les partis sont certes des acteurs importants du processus démocratique, mais un élément essentiel du programme de gauche doit aussi être la démocratisation et la responsabilisation de ces partis.

L’ironie de la démocratie indienne est qu’il existe un nombre croissant de partis fondés sur des valeurs féodales ou semi-féodales. Un nombre important de membres du Parlement le sont davantage grâce à leur « pedigree » qu’à leur crédibilité en tant que dirigeants du peuple. Le financement par les entreprises privées de la plupart des partis politiques est au cœur de la corruption politique en Inde. Cela conduit à un nouveau lien entre le lobby des élites riches et économiquement puissantes et les « managers » politiques des divers partis. Ainsi, de plus en plus, les élites économiques cherchent à contrôler l’appareil d’État et du gouvernement à travers leurs agents politiques et médiatiques.

Une poignée d’élites économiques est donc capable d’influencer la politique et les prises de décision en finançant les leaders et les partis politiques et en détenant ou contrôlant indirectement les principaux médias (à travers les actions ou en faisant pression par les revenus issus de la publicité). Cette subversion systémique de la démocratie, qui rend impossible la réalisation des promesses de la Constitution indienne et crée davantage d’inégalités et de violence en retour, est au cœur de la crise de la gouvernance démocratique en Inde.

Ainsi, la priorité d’un processus politique transformateur en Inde est de reconquérir l’espace démocratique et l’État en faveur de la grande majorité des marginalisés et des pauvres. Cela implique un ensemble de processus coordonnés : construire une classe dirigeante plus éthique, un mouvement de masse non-violent visant à des réformes économiques et politiques et un programme de plaidoyer très clair afin d’influencer les politiques publiques en faveur des marginalisés et des pauvres. L’Inde a besoin d’un nouveau programme socio-politique.

Dans le contexte du Kérala, qui a connu plusieurs gouvernements de gauche, il est difficile de faire une distinction entre un parti de gauche et les autres, hormis leur appellation, car la plupart des membres appartiennent à la classe moyenne de culture consumériste. Les vieux rêves communistes ont été remplacés par de nouveaux rêves de consommation. Bien que les discours rhétoriques sur les droits des travailleurs abondent, le Kérala manque de main d’œuvre et accueille aujourd’hui les travailleurs migrants des autres États. Bien qu’en termes de « parti » et de « discours électoral » le terme de gauche prédomine, tous les principaux partis politiques du Kérala sont partie prenante du statu quo quand il s’agit de conservatisme social et des questions de genre, de caste et de croyance. La question est donc la suivante : que reste-t-il de la gauche au Kérala ?

Dans le contexte mondial, mais aussi de l’Inde ou du Kérala, il existe un espace et un besoin pour un large mouvement de gauche qui transcende les lignes de parti conventionnelles. L’optimisme n’est plus guère de mise concernant le rôle et la viabilité à long terme des partis communistes, tels qu’ils existent aujourd’hui, comme unique détenteurs de la politique de gauche. Cela est dû au fait que ces trente dernières années les principaux partis communistes ont échoué à capturer l’imagination des pauvres et des marginalisés : adivasis, dalits, pauvres urbains et autres. Ils étaient plus occupés à profiter et à maintenir leur pouvoir dans trois États (Bengale occidental, Kérala, Tripura). Et dans ce processus, le CPM (Parti Communiste Marxiste) qui est devenu le parti du Bengale et du Kérala dans son leadership et sa structure, a échoué à devenir un parti pan-indien. Même dans le contexte du Kérala et du Bengale occidental, il s’est davantage agi pour lui de survivre et de maintenir sa base en tant que parti au pouvoir. Petit à petit, les notions de « communisme » et de « socialisme » se sont limitées aux slogans et à la rhétorique, tandis que les partis dans ces États se constituaient en classe politique inébranlable détenant le pouvoir par la force, l’argent et l’arrogance qui les accompagne.

Le fait est que l’Inde a besoin d’un mouvement de gauche ayant une base élargie et dynamique. Cela doit se faire à trois niveaux :

a) Au niveau du parti du Congrès : en tant que parti de réseaux, il est possible de raviver les idéaux et idées de Nehru

b) Au niveau des partis communistes et socialistes : il est temps pour eux de repenser leur stratégie et de se positionner comme une alternative de gauche ayant une large base

c) Au niveau des initiatives de la société civile et des mouvements sociaux.

Ces trois forces, bien que se situant à différents niveaux, devront se coordonner et travailler ensemble plutôt que de saper mutuellement leurs bases. Elles doivent travailler à la fois à résister à la captation de l’État indien par l’élite et à lutter contre le fascisme communautariste, l’inégalité, la marginalisation et la corruption. Un mouvement pour la responsabilisation sociale et politique et pour la mise en œuvre de la Constitution indienne est urgent.

Mots-clés

mouvement politique, politique, renouveau du politique, alternative au consumérisme, développement alternatif


, Inde

Notes

Lire l’article original en anglais : What is left of the Left?

Traduction : Valérie FERNANDO

Source

Articles et dossiers

John SAMUEL, « What is left of the Left?", in Info Change, March 2011

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