L’urbanisation ne concerne pas seulement les infrastructures, elle concerne aussi la cohésion sociale
Il serait assez naïf de ne pas faire le lien entre l’urbanisation et les aspirations montantes en termes de styles de vie ainsi que les impératifs du développement économique. Les opportunités, le pouvoir et le prestige sont des attributs irrésistibles des centres urbains en pleine croissance qui attirent les migrants à grande échelle. En Inde, la libéralisation économique et l’urbanisation sont devenus complémentaires. Bien que la vague d’urbanisation recouvre l’ensemble du sous-continent asiatique et malgré la prééminence dont l’Europe et l’Amérique du Nord ont joui grâce à leur organisation socio-économique industrielle, ce sont l’Inde et la Chine qui attirent aujourd’hui l’attention. On estime qu’en 2025 près de 2,5 milliards d’asiatiques vivront en ville, ce qui représentera 54% de la population urbaine mondiale.
Entre 1950 et 2005, l’Inde s’est urbanisée à un taux de 29%, loin derrière la Chine et ses 41%. D’après un rapport de l’Institut Global McKinsey, d’ici 2025, les villes indiennes verront un afflux de 215 millions de nouveaux habitants et représenteront 38% de la population indienne. Une urbanisation de cette ampleur aura des conséquences non seulement sur l’économie mondiale mais aussi sur l’environnement, avec des besoins toujours plus grands en énergie, carburants et biens de consommation.
Le rapport sur les infrastructures de l’Inde de 1996 estimait que, dans la décennie suivante, l’Inde aurait besoin d’investir 2,8 milliards de roupies en assainissement, approvisionnement en eau et routes. Le ministère du développement urbain estime aujourd’hui qu’un investissement de 20.700 milliards de roupies est nécessaire dans le seul transport urbain. C’est un montant astronomique que ni les allocations budgétaires du Centre, ni le budget des États ni celui des autorités locales ne pourront atteindre. Les partenariats public-privés et les investissements directs étrangers sont alors présentés comme la panacée. Mais ils ne prennent pas en compte les besoins de base des 15% de la population urbaine totale qui vivent dans les bidonvilles.
L’urbanisation rapide est typique du syndrome de nation en développement et l’Inde ne fait pas exception. Contrairement aux pays développés qui se sont urbanisés progressivement, les pays en développement s’urbanisent beaucoup plus rapidement. D’après la rapport de l’observatoire de recherche de la Banque mondiale 2002, dans les années 70, la République de Corée était urbanisée à hauteur de 40%, pour atteindre 78% dès les années 90. Le taux d’urbanisation atteint par les États-Unis en 90 ans l’a été par le Brésil en 30 ans. La vitesse d’urbanisation en Inde n’est pas comparable à ces pays mais la situation est complexe car le phénomène est distribué de manière inégale à travers les régions et les villes.
La planification urbaine en Inde ne doit donc pas simplement pourvoir en infrastructures mais aussi répondre aux questions de la cohésion socio-culturelle et de la durabilité. En d’autres termes, les plus grands défis ne sont pas de créer des infrastructures urbaines mais de les rendre conviviales pour les utilisateurs ayant des profils socio-économico-culturels divers.
Il ne fait aucun doute que le citadin doit s’adapter à la culture de la ville mais en même temps il transforme souvent les infrastructures à sa convenance et crée une nouvelle culture urbaine. Un exemple pertinent dans ce contexte est la culture de la circulation urbaine et des systèmes de transport dans les deux métropoles Delhi et Mumbai. Alors qu’à Delhi les règles de circulation sont souvent enfreintes, les gens les respectent plus ou moins à Mumbai. Mais, à Mumbai, nombre de voyageurs risquent leur vie en voyageant sur le toit des trains de banlieue. Est-ce un problème de conception des infrastructures urbaines, à la fois en termes de système et de fonction, d’incapacité socio-culturelle à utiliser le système, un simple cas d’infrastructures surchargées, ou un mélange de tout cela ?
La croissance de l’économie dans l’ère post-libérale en Inde a changé le tableau urbain comme le processus d’urbanisation. Le passage d’une économie agraire à une économie industrielle, un marché financier mûr, un système bancaire et de crédit solide, l’afflux de capitaux internationaux et d’infrastructures ont totalement envahi le processus d’urbanisation laissé aux entreprises.
En un rien de temps, les entrepreneurs sont devenus des constructeurs et les constructeurs des promoteurs immobiliers. Leurs biens et valeur nette incluent la valeur de leur « banque de terres » acquises en avalant des bandes de terrain dans les villages avoisinants, les ceintures vertes et les terres communes, parfois légalement, parfois en contournant les dispositions légales. Résultat : les logements urbains et l’immobilier sont devenus un produit d’investissement plutôt qu’un besoin fondamental nécessaire à la survie. Le logement est au service des forces du marché et de l’économie et totalement hors de portée des gens du commun. Peu importe leur efficacité, les infrastructures devant servir des villes comme Mumbai, Kolkata ou Delhi, qui ont une population évaluée respectivement à 16, 13,2 et 12,7 millions d’habitants, sont un cauchemar pour les planificateurs urbains, les designers et les environnementalistes.
Il existera toujours un déficit de développement dû à l’immensité de l’échelle de l’expansion économique et démographique. Les pauvres n’auront d’autre choix que de doter les villes de leurs baraques, bidonvilles et habitats précaires.
L’infrastructure urbaine, la planification spatiale et les considérations environnementales sont de plus en plus intégrées. Les villes se trouvent dans un état de chaos constant : câbles jonchant le sol, tuyaux de drainage, construction de routes, de voies supplémentaires, de ponts routiers, démolition de maisons en bon état pour construire des centres commerciaux, des centres d’affaires ou des appartements à plusieurs étages. Un audit environnemental pourrait éclairer leur impact écologique.
Parallèlement à cela, les villes doivent prendre en compte ce que la Banque mondiale appelle l’Agenda brun, qui inclut les questions de la pollution de l’eau due aux eaux usées municipales et industrielles non traitées, le manque d’assainissement, l’absence de moyens adéquats de collecte des déchets solides, la pollution de l’air intérieur et extérieur et la contamination des eaux et du sol par le mauvais traitement des déchets solides et dangereux. Bien que la notion du « durable et vert » soit un concept en vogue parmi les dessinateurs, architectes et planificateurs urbains, et que des efforts pour les inclure dans la conception d’infrastructures urbaines soient faits, elle ressemble à une oasis sur l’île du désordre et de la pollution.
La surpopulation dans certains centres urbains est aussi un héritage colonial. Les Britanniques ont créé des villes présidentielles comme Bombay, Calcutta et Madras qui sont devenues des sièges du pouvoir, du prestige et des opportunités, et elles ont conservé ce statut jusqu’à ce que d’autres villes, telles que Delhi, Bengalore, Hyderabad, Ahmedabad et Pune, émergent. Mais même leur émergence n’a pas pu résoudre le problème de la disparité régionale croissante, de la division rurale-urbaine et de la pauvreté. La politique urbaine de l’Inde a des dispositions pour créer des centres alternatifs de commerce, d’industrie et de logements avec des investissements dans les infrastructures afin de réduire la pression sur les villes existantes. Mais en réalité, au lieu de la création de nouvelles villes, on assiste à l’extension des grandes villes existantes.
La politique urbaine indienne a également des dispositions pour encourager les activités économiques et sociales, incluant de gros investissements dans les infrastructures, dans des villes relativement petites afin de contrôler la migration vers les grandes villes. Dans ce contexte, on s’interroge sur l’opportunité d’organiser des événements internationaux, comme les Jeux du Commonwealth, à Delhi. Avec les mêmes investissements, une nouvelle ville moderne aurait pu être créée. Les infrastructures des Jeux ont ajouté plus de chaos que de confort à Delhi, sans parler de l’énorme scandale et de l’appropriation frauduleuse de l’argent des contribuables qui a été découverte après-coup.
Il n’existe aucun mécanisme efficace pour arrêter l’expansion des villes au-delà d’une certaine taille en terme d’aire géographique, ce qui constitue un problème majeur dans notre processus d’urbanisation. D’un côté, nos villes trop grandes et surpeuplées sont devenues non durables socialement et écologiquement. De l’autre, la planification urbaine en Inde semble plus préoccupée par des solutions rapides que par une vision à long terme de plans de développement. La question de l’urbanisation et de la planification urbaines ne concerne pas seulement les infrastructures. Il s’agit aussi de créer et concevoir une organisation sociale et sociétale du présent et du futur.
L’urbanisation doit être durable non seulement écologiquement mais aussi socialement, économiquement et culturellement. Finalement, les villes doivent devenir des réservoirs de ressources qui pourront se déverser sur leur vaste population pour les recharger et les revitaliser. Au niveau politique, l’urbanisation ne peut pas rester confinée à la conception de résidences et d’infrastructures ; elle doit être considérée comme un processus plus large de création d’un modèle social durable.
ville, urbanisation, urbanisme, écologie urbaine
, Inde
Lire l’article original en anglais : Will future cities be friendly?
Traduction : Valérie FERNANDO
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Mihir BHOLEY, Will future cities be friendly?, in Down To Earth, Feb 15, 2011
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