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La croissance sale du fer réduit direct

Sugandh JUNEJA

01 / 2011

Dans les années à venir, la production croissante d’acier de l’Inde sera largement tirée par le fer réduit direct (DRI). Mais le processus de fabrication du DRI, basé sur le charbon, est très polluant. Les conséquences sont déjà visibles près des usines de DRI qui se sont multipliées dans les régions riches en minerai de fer et en charbon. La population proteste vivement et dans certains cas violemment, tandis que les agences de contrôle de la pollution détournent la tête.

En juin 2009, le bureau du Ministre en Chef du Bengale occidental a transmis une plainte à l’agence étatique de contrôle de la pollution (SPCB pour State Pollution Control Board) au sujet de trois usines de fer réduit direct (sponge iron ou DRI pour direct-reduced iron) dans le district de West Medinipur.

Une équipe a été envoyée à la subdivision de Jhargram. Elle a découvert qu’une épaisse couche de poussière grise recouvrait arbres et sentiers et noté que les usines stockaient en plein air le minerai de fer et les déchets qui étaient emportés plus loin par le vent. Un mois plus tard, l’organisme d’appel du contrôle de la pollution de l’État accusait les trois usines de créer des « dommages colossaux » à l’environnement et ordonnait la fermeture immédiate de l’une d’elle qui était récidiviste. Les deux autres devaient se conformer aux normes de pollution et aux instructions données. Mais le contrevenant récidiviste (l’usine de DRI Rashmi Cement) n’a pas fermé. La raison : le SPCB a suspendu l’ordre de fermeture, citant l’ordre de l’autorité d’appel qui a autorisé l’usine à fonctionner une fois que les ajustement auraient été faits.

Le 18 décembre de la même année, un groupe de personnes aurait mis le feu à des structures et véhicules sur le site de Rashmi Cement. Elles affirmaient être des maoïstes et que la pollution de l’usine les avait poussées à agir. La police a attribué l’acte aux habitants qui s’étaient plaints de la pollution et à un militant, Naba Dutta, secrétaire général de l’organisation non gouvernementale Nagarik Manch of Kolkata, qui a été arrêté le 17 août 2010 alors qu’il était dans la région pour participer à un sit-in organisé par la population tribale contre les usines de fer réduit.

Dutta est actuellement en liberté sous caution. Rashmi Cement continue son activité et la pollution n’a pas diminué.

La pollution alimente les protestations

L’histoire qui s’est jouée à Jhargram n’est pas isolée. Elle se répète en Orissa, au Chhattisgarh, au Karnataka où les habitants vivent à l’ombre d’usines de DRI. Que ce soit un village perdu dans le district de Cuttack en Orissa ou un autre village dans le district de Raigarh au Chhattisgarh, les habitants sont en colère contre l’inaction du Gouvernement. Les protestations enflent.

En Orissa, 500 femmes membres de l’association Bonai Vana Suraksha Samiti Mandal, un front populaire du district de Sundargarh, ont organisé une marche vers les bureaux du sous-percepteur en janvier 2008. Elles portaient des échantillons de terre, d’eau contaminée et des graines comme témoins des ravages causés par les usines de DRI qui émettent de grandes quantité de fumée et déversent les cendres et le charbon en plein air. L’administration du district a ordonné une enquête et les douze usines ont fermé, pour rouvrir 42 jours plus tard.

« Dix-sept usines sont concentrées dans un rayon de cinq kilomètres. Nous avons dû nous faire entendre », dit Ashwini Mohanta, le leader du front, qui continue à organiser des manifestations de protestation. L’Orissa, avec 108 usines de DRI, le maximum de tous les États indiens, voit des manifestations similaires dans le districts de Sundargarh, Keonjhar et Sambalpur.

La pollution de ces usines basées sur le charbon est encore plus sévère au Chhattisgarh. L’État possède près de 70 usines de DRI, concentrées principalement à Siltara et Urla dans les districts de Raipur et Raigarh. Environ 60 autres fonctionnent illégalement. La région est aussi un centre de protestations publiques. En juin 2009, près de 300 personnes sont descendues dans les rues pour dénoncer les effets sur la santé de la pollution des usines. Elles se plaignaient de troubles respiratoires et d’allergies de la peau. Les autorités ont envoyé des préavis à 45 usines pour ne pas avoir installé ou ne pas utiliser d’équipements de contrôle de la pollution.

« L’agence de Conservation de l’Environnement du Chhattisgarh travaille sous pression politique et industrielle. Quand il y a des manifestations publiques elle émet des préavis. Que deviennent-ils, personne ne le sait », déplore Ganesh Kachhwala de l’association Zila Bachao Sangharsh Morcha à Raigarh. « Ces usines ne suivent absolument aucune règle. Leur autorisation de fonctionner devrait être annulée », dit Devji Bhai Patel, membre de l’assemblée législative du parti BJP de Raipur. Un moratoire a maintenant été imposé sur les nouvelles usines de fabrication de DRI à Siltara et Urla.

Dans le district de Mehboobnagar, en Andhra Pradesh, la population est allée en justice quand les protestations et les appels au Gouvernement se sont avérés sans effet. Dans un premier temps, aucune action n’a été entreprise mais par la suite les usines de la région ont dû remettre conjointement 30 millions de roupies aux autorités du district à titre de compensation symbolique aux paysans. Le montant a été décidé sur la base des pertes de la récolte d’été (kharif).

Au Karnataka, en novembre 2009, des habitants furieux ont attaqué l’usine de DRI Kundil à Londa, dans le district de Belgaum. Cette attaque a eu lieu après que le SPCB a autorisé l’usine à reprendre ses activités un mois après avoir été fermée sur décision de la Haute Cour de Justice.[…]

A faibles réglementations, contrôles encore plus faibles

Toutes ces protestations ont lieu car le fer réduit direct est fabriqué à travers un processus hautement polluant et peu réglementé.

[…]L’Agence centrale de contrôle de la pollution (CPCB pour Central Pollution Control Board) a classé le fer réduit direct dans les industries « rouges », ce qui correspond à un potentiel de pollution élevé. Cette classification signifie qu’il est nécessaire de mettre en place des recommandations et des normes de pollution strictes pour l’industrie du DRI, qui doit par ailleurs faire régulièrement l’objet de contrôles et d’inspections. Sur ces deux points, le cadre de régulation échoue misérablement.

Plus d’un faux pas

Le premier pas pour renforcer la régulation sur l’industrie a été fait en 2006 quand le CPCB a proposé un projet de normes détaillées pour les émissions et les effluents, de mesures de gestion des déchets et de lignes directrices pour l’emplacement des usines. Deux ans et demi plus tard, le Ministère de l’Union de l’Environnement et des Forêts (MEF) a validé une version très diluée de ce projet, « sous la pression des États et du lobby industriel », selon un ancien fonctionnaire du CPCB. […]

Le projet suggérait de supprimer progressivement les usines ayant une capacité inférieure à 100 tonnes par jour car elles peuvent difficilement passer à des technologies propres. Le texte final n’a pas retenu cette suggestion. Il a également diminué les recommandations concernant la hauteur minimale des cheminées, passant des 75 mètres proposés pas le CPCB à 30 mètres. Des cheminées plus hautes permettent de diminuer l’impact des émissions qui se dispersent sur une plus grande zone.

Les normes d’émissions « fugitives » ont également été revues à la baisse. Elles proviennent de la manipulation des matières premières et du stockage des déchets solides. Alors que la limite était fixé à 1.000 microgrammes par mètre cube elle a été portée à 3.000 µg/m3 pour les usines existantes et 2.000 µg/m3 pour les nouvelles.

Le silence du texte sur le stockage des déchets solides constitue sa plus grande faiblesse, alors que le projet initial reconnaissait les déchets des fours, les déchets carbonisés et la poussière des conduits comme des déchets solides et préconisait un recyclage strict et des mesures de réutilisation.

Le reste des recommandations du CPCB fait maintenant partie de la Charte sur la responsabilité des entreprises pour la protection de l’environnement. Ces recommandations valent pour divers secteurs industriels mais ne sont pas contraignantes.

Même après que ces normes revues à la baisse soient entrées en vigueur en mai 2008, leur mise en œuvre est pathétique. « Il est trop tôt pour affirmer que le secteur est l’un des plus grands pollueurs et que rien n’est fait contre eux », affirme un membre du MEF. Mais la réalité est différente. Ainsi, suite à une inspection en juin 2009, l’usine Nova Iron Factory de Bilaspur au Chhattisgarh montre une concentration des matières en suspension de la cheminée de 2.292 mg/m3, la limite autorisée étant de 100 mg/m3. […] Une autre usine en Orissa, Shiv Metallics, à Sundargarh, montre que la concentration des matières en suspension de l’air ambiant est de 2.025µg/m3, soit 20 fois la norme actuelle. Rien n’a été entrepris contre ces deux usines, et la liste de telles usines est sans fin.

La pollution s’explique aussi par la forte proximité entre les usines de DRI. Elles se multiplient généralement dans un même rayon, au voisinage des zones riches en minerais de fer et en charbon. Les recommandations, basées sur la bonne volonté des entrepreneurs, sur l’emplacement des usines sont ignorées, menant à des conflits entre les propriétaires industriels et les habitants. Ces recommandations précisent qu’il faut garder une distance de 5 km entre deux usines de plus de 100 tonnes par jour, et une distance d’un kilomètre entre les usines et les habitations humaines. En Orissa ou au Chhattisgarh les usines se situent à deux pas des zones résidentielles.

Le MEF de l’Union indienne affirme qu’il ne peut pas faire grand-chose dans la mesure où la terre est une prérogative des États qui doivent formuler les politiques en fonction des recommandations de base du ministère.

Les militants affirment que les principales raisons de la croissance rapide du secteur sont la volonté des États de subventionner les intrants, l’accès facile au marché et la disponibilité d’une main d’œuvre et de matières premières à bas prix.

Le CSE expose les manquements

En 2009, le Centre pour la Science et l’Environnement, une ONG basée à Delhi, étudiait la conformité aux normes environnementales dans le secteur du fer réduit direct. C’est la plus grande étude de cas du pays : 204 usines ont été analysées sur la base des rapports d’inspection, recueillis auprès des SPCB, de quatre États où cette industrie domine : le Jharkhand, le Chhattisgarh, l’Orissa et le Bengale occidental. […]

  • Un contrôle inadéquat

Le SPCB inspecte les usines une à deux fois par an, alors que les recommandations du CPCB sont de 4 contrôles par an. […] D’après un officiel du CPCB, ni le CPCB ni le SPCB n’ont suffisamment de personnel pour contrôler chaque usine. L’effort doit donc venir de l’industrie. Il ajoute que les ONG pourraient aussi surveiller les contrevenants.

  • ESP absents ou non usités

Dix pour cent des usines étudiées fonctionnaient sans précipitateur électrostatique (machine de contrôle des émissions) dans le four principal, qui est pourtant obligatoire pour démarrer la production. Le SPCB n’a donc pas inspecté les locaux avant le démarrage. […] Trente-sept pour cent des usines ont des ESP qui ne fonctionnent pas ou que partiellement. Même s’ils fonctionnent, des fuites d’émission sont observées dans 60% des rapports. […]

Les rapports d’inspection effectuée la nuit montrent des infractions encore plus fréquentes : 100% des usines n’utilisent pas ou que partiellement leur ESP, libérant les émissions dans l’air. Un responsable de SPCB au Karnataka affirme que les usines « économisent l’électricité en éteignant leur ESP la nuit ».

  • Des émissions élevées

Le contrôle de la pollution par les cheminées est rare et quand il est réalisé il montre que 26% des usines ne respectent pas les normes d’émission, en particulier au Bengale occidental où ce chiffre atteint 52%. […] Quarante-deux pour cent des usines ne respectent pas les normes de qualité de l’air. Au Chhattisgarh, la concentration de matières en suspension autour de l’usine Kalindi Ispat est de 1.129µg/m3, pour une norme de 100µg/m3.

Les usines ne respectent pas non plus d’autres paramètres comme les normes d’émission fugitives et la gestion des déchets. Alors que les usines doivent les recouvrir, 80% d’entre elles les stockent à l’air libre et parfois même en dehors de leur site.

Si l’on prend en compte toutes les conditions de conformité, près de 50% des usines ne sont pas conformes le jour des inspections, elles-mêmes peu fréquentes. Le Chhatisgarh affiche un taux record de non-conformité proche de 100%, le Bengale occidental avec 41% est second.

  • Des préavis de pure forme

Les agence de contrôle de la pollution ont une procédure standard pour gérer les usines qui défient les normes. Elles délivrent des préavis d’avertissement et si le délit est réitéré un préavis de fermeture. Mais ces préavis n’ont pas d’effet dissuasif […] et de nombreuses usines restent ouvertes. […]

Le cycle suit une routine. Le SPCB inspecte une usine et délivre un préavis d’avertissement pour non-respect des normes. A l’inspection suivant, l’usine est à nouveau en infraction et reçoit un préavis de fermeture. Le rapport de la troisième inspection indique que les manquements ont été corrigés et le préavis de fermeture est suspendu. Un fonctionnaire du CPCB à la retraite confiait qu’émettre des préavis puis les retirer était une manière de prélever des pots-de vin aux usines. Parfois, des garanties bancaires sont saisies mais leur montant n’est pas suffisant pour convaincre les usines de satisfaire aux normes de pollution.

Mots-clés

pollution, industrie, déchet industriel, gouvernance


, Inde

Notes

Lire l’article original en anglais: Sponge iron’s dirty growth

Traduction et mise en forme : Valérie FERNANDO

Source

Articles et dossiers

Cet article est extrait du dossier réalisé par Sugandh JUNEJA :« Sponge iron’s dirty growth », in Down To Earth, Jan 31, 2011

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