Croissance démographique et économique de Mumbai
Un grand flou existe quant à la population de Mumbai. Demandez même aux personnes généralement bien informées et vous obtiendrez autant d’estimations que d’interlocuteurs. Car on ne parle pas toujours de la même zone géographique. Mumbai signifie en réalité le Grand Mumbai (Greater Mumbai), une péninsule de 12 km de largeur à son maximum et de 40 km de long, s’étendant sur environ 460 km². La région métropolitaine de Mumbai (RMM) est bien plus grande (4.355 km²) et inclut Navi Mumbai, la ville satellite qui se situe de l’autre côté du port.
La population de Mumbai, d’après les experts de l’Institut International d’Étude de la Population, est donc aujourd’hui estimée à 16 millions d’habitants, soit 4 millions de plus qu’au dernier recensement de 2001. La région métropolitaine est estimée à 18 millions d’âmes. Mais quelque soit la manière dont on dénombre sa population, Mumbai se qualifie pour être une mégapole mondiale, puisqu’elle a plus de 10 millions d’habitants. New Delhi est la seule autre mégapole du pays et elle croît plus vite que le Grand Mumbai.
La réelle croissance a lieu dans la RMM qui inclut les villes périphériques de Thane et Kalyan, elles-mêmes abritant chacune plus d’un million d’habitants et croissant plus vite que Mumbai proprement dit. Selon la Banque de Développement Asiatique, d’ici 2025, 20 des mégapoles du monde seront situées en Asie. Les Nations unies estiment que la RMM sera la plus peuplée du monde en 2015, avec 27,4 millions d’habitants. L’Institut de la Population de Washington prévoit lui que la RMM sera la plus peuplée en 2020 avec 28,5 millions d’habitants. Elle devrait atteindre les 40 millions d’ici 2050, ce qui est une perspective effrayante compte tenu de la situation déjà ingérable dans laquelle les Mumbaikars (habitants de Mumbai) se trouvent.
Dans la mesure où Mumbai est aussi la capitale commerciale, et était autrefois la capitale industrielle, elle est étudiée avec beaucoup d’intérêt, presque plus par des chercheurs étrangers que par des Indiens, à quelques exceptions notables. L’attention a été largement centrée sur sa croissance économique, ou son manque de croissance. Par exemple, le Professeur Jan Nijman, un géographe de l’Université de Miami, a étudié la croissance de Mumbai à travers le prisme de la valeur de l’immobilier. […]
L’attention des chercheurs et des experts a été focalisée sur la croissance de la ville en tant que centre financier, ou sur sa croissance physique en tant que centre de spéculation immobilière, atteignant chaque jour des sommets toujours plus hauts. La résidence extravagante de Mukesh Ambani, « Antilla », qui a coûté un milliard de dollars pour sa construction et devrait coûter un autre milliard pour la décoration intérieure, représente le summum de tels fantasmes exorbitants, avec des appartements se louant à 9290 roupies le m². Les constructeurs rivalisent entre eux pour construire des tours toujours plus hautes. Fort heureusement la construction d’un immeuble de plus de 100 étages dans la zone relativement déserte de Wadala a été stoppée.
Mumbai, un non-sens écologique
L’élément qui a échappé à l’attention des experts, que ce soit à Mumbai ou à Delhi, est la dimension écologique. Bangalore n’a pas non plus été soucieuse de son écologie, mais, bien que ce soit la troisième ville la plus peuplée avec 6 millions de résidents, elle a encore du chemin à faire avant de devenir une mégapole. Quant à la ville de Kolkata (Calcutta), elle stagne.
La géographie de Mumbai a été totalement ignorée des planificateurs qui, typiquement, imaginent des solutions technocratiques pour la plupart des problèmes des villes. Une grande partie du terrain de cette île-cité, d’une aire de 100 km² environ, a été pris sur la mer. A l’origine, cette « conquête » a eu lieu pendant le Raj britannique lorsque les sept îles originelles ont été réunies. Les leaders du Parti du Congrès Indien ont continué à conquérir des terres dans les années 60 et 70 jusqu’à ce qu’Indira Gandhi mette fin à ce processus en 1974. Mais les dégâts avaient déjà été commis : avec les nouvelles zones conquises de Backbay et de Nariman Point, l’axe de transport nord-sud se trouvait renforcé avec des milliers de voyageurs forcés de se déplacer chaque matin vers le sud, où se situe le principal quartier d’affaires de Mumbai, et dans le sens inverse chaque soir. Cette situation de migration pendulaire est devenue le drame de la métropole.
L’île-cité de Mumbai aurait la plus grande proportion de terres gagnées sur la mer que n’importe quelle autre métropole du monde. A l’époque des spéculateurs du Raj britannique, les travaux de drainage ont été hâtivement réalisés, c’est pourquoi certaines zones de basses terres du sud de Mumbai sont inondées toute l’année. Mais le jour le plus terrible qu’ait connu la mégapole a été le 26 juillet 2005, quand le nord de Mumbai a reçu 934 mm de précipitations en 24 heures, avec un pic concentré sur 10 heures. Une averse sans précédent qui aurait fait tomber n’importe quelle mégapole du monde. […]
Parce qu’il est une péninsule, le Grand Mumbai rencontre un problème particulier à chaque mousson. Si les pluies torrentielles sont accompagnées d’une marée haute, l’eau ne peut pas s’écouler hors de la ville où elle reste prisonnière, occasionnant des inondations et bloquant des centaines de personnes. C’est exactement ce qui s’est passé en juillet : l’averse a eu lieu sur les banlieues nord, qui se sont retrouvées totalement isolées, les rails du train de banlieue et les routes étant submergés. Même si l’administration, qui a été lente à réagir, avait souhaité venir en aide aux citoyens bloqués, elle en aurait été incapable pour la simple raison que les véhicules et le matériel du Gouvernement d’État et de la Mairie situés dans le sud de Mumbai n’auraient pas pu atteindre les banlieues assiégées par les eaux pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que celles-ci finissent par recéder.
Ce déluge a appris aux Mumbaikars qu’on ne peut ignorer l’écologie des grandes villes qu’à son propre péril. Inconnus de la plupart des citoyens, les lacs Tulsi et Vihar situés dans le Parc national Sanjay Gandhi et s’étendant sur 110 km², se déversent dans le lac de Powai qui s’écoule dans la rivière Mithi. Ce dernier débouché a été traité comme rien de moins qu’un simple égout. Personne n’avait conscience de l’importance du rôle qu’il jouait comme valve de régulation et de sécurité en cas de fortes précipitations.
Ce 26 juillet, la rivière Mithi a débordé de son lit entraînant morts et dévastation. Les centaines d’habitations illégales s’entassant le long de ses rives ont été les premières à subir sa furie. L’aveuglement sur l’importance de la rivière touche même l’Autorité de Développement de la Région Métropolitaine de Mumbai (MMRDA), l’agence centrale de planification de la ville, dont le rôle a été grandement réduit dans cette ère de gouvernance à la laissez-faire. La MMRDA a en effet permis, si tant est qu’elle ait été consultée par l’Autorité Nationale des Aéroports, que la Mithi soit détournée à 90 degrés à deux niveaux, car elle sillonnait à travers les pistes de l’aéroport. C’est pourquoi l’aéroport de Mumbai a été fermé pendant quelques jours, en juillet 2005, alors que son tarmac était submergé sous plusieurs centimètres d’eau.
Mais c’était loin d’être tout. La Mithi a été à nouveau détournée plus bas quand la Bourse nationale des valeurs a été construite sur sa rive, dans le nouveau quartier central des affaires de Bandra-Kurla (qui viole lui-même les règles de régulation des zones côtières en occupant les terres des mangroves). Et juste avant de se déverser dans la baie de Mahim, la rivière Mithi est flanquée par rien de moins que l’immeuble de la MMRDA !
Ce n’est qu’après les inondations de 2005 que les autorités et les citoyens se sont éveillés au rôle crucial que la Mithi joue pour assurer l’évacuation des eaux de Mumbai et qu’ils ont commencé à prendre des mesures pour réhabiliter la rivière.
Depuis 2005, les occupations illégales le long de la Mithi, qui incluent des unité illégales recyclant de l’huile de moteur et déversant les produits non utilisés dans la rivière, ont été déplacées et la rivière a été draguée pour être nettoyée. Cependant, le long d’une étroite bande de terre, près du mur de séparation de l’aéroport, les autorités ont construit des murs en béton dans un vain effort pour « contrôler » les turbulences de la rivière. Mais en cas d’averse violente, l’eau risque fort de s’accumuler et de passer par-dessus le mur, entraînant tout de même des dégâts de l’autre côté.
Illettrisme environnemental des grandes villes indiennes
Le rôle écologique central de telles rivières a été universellement oublié. On pense maintenant qu’à Delhi, le temple d’Akshardham construit sur les rives de la Yamuna, n’a pas reçu d’autorisation environnementale, comme les critiques n’ont cessé de le dénoncer alors que la Ministre en Chef Sheila Dikshit n’a eu de cesse de le nier. Il y a quelques années, à Agra, le gouvernement central a dû intervenir pour empêcher le projet farfelu de la Ministre en Chef Mayawati, surnommé le « Taj Mall », visant à construire un ensemble d’installations touristiques, dont un immense centre commercial, sur les rives de la Yamuna, à un jet de pierre du « miracle de marbre », le Taj Mahal. Ce projet évalué à 1,75 milliard de roupies a fort heureusement été arrêté, sans quoi il aurait créé des dommages inimaginables en inondant les fondations du Taj Mahal en cas de forte mousson.
A Ahmedabad, le gouvernement d’État est engagé dans une coûteuse folie, ayant entrepris de bétonner sur une assez longue distance les deux rives de la Sabarmati, parfois sur 10 mètres de haut. Il s’agit d’« embellir » la rive, à la manière de la rive sud de la Tamise à Londres qui est devenue un centre culturel important. Même si les zones piétonnes et d’autres types d’aménagements peuvent être bienvenus, il est dangereux de chercher à forcer la nature.
Certes, la rivière […] n’est qu’un simple filet d’eau pendant la majeure partie de l’année et est contrôlée par un barrage en amont. Mais, si les pluies sont torrentielles et que les autorités sont forcées de libérer de l’eau des barrages, comme cela a eu lieu il y a quelques années, il y a toutes les raisons de craindre que la vague montante franchira les murs de béton et se déversera sur la population de la ville.
Montée du niveau des eaux
Une autre dimension écologique, qui a été commodément ignorée à Mumbai, est la montée du niveau de la mer. Comme nous l’avons vu, la ville s’enorgueillit de la valeur de son immobilier, parmi les plus élevées du monde […], notamment pour les immeubles situés le long de la côte et des berges de la rivière.
Constructions en hauteur le long de la côte, dans le quartier de Bandra
D’après des chercheurs de l’université SP de Pune, les niveaux de la mer à Mumbai et autour de Mumbai, le long de la côté du Konkan, ont augmenté de 5 à 6 cm ces vingt dernières années. Il ne fait aucun doute que globalement le niveau des océans monte en raison de la fonte des glaces polaires. Mumbai ne peut en aucun cas s’isoler de ce phénomène créé par l’homme. Le Gouvernement d’Etat, dans une réaction rapide au tsunami de 2004, a tenté de construire des murs marins le long de la côte dans la ville, afin de garder les vagues à distance. Ceci était une manière mal déguisée par les officiels du gouvernement, de collusion avec les entrepreneurs, de prélever des fonds sous le prétexte de protéger la ville de la colère d’un tsunami, ce qui est de toute évidence impossible.
Comment la cité sauvegardera les biens de chacun, y compris des colonies de pêcheurs, ou gaothans, le long de la côte alors que la marée monte imperceptiblement mais inexorablement ? Le Ministre de l’Environnement Jairam Ramesh a récemment autorisé l’augmentation de l’espace constructible dans la ceinture côtière de la ville. Lui, plus que tout autre, doit être conscient que cette aventure est vouée à l’échec sur le long terme, en particulier si une colonie importante de pêcheurs décide collectivement de se lancer dans la construction en hauteur, encouragée et aidée en cela par les constructeurs immobiliers.
Le terme que j’utiliserais pour décrire une vision à si court terme est « illettrisme écologique ». Que ce soit une rivière que les planificateurs ou les technocrates veulent détourner de son cours, des mangroves ou des zones de marée drainées pour être bétonnées, de nouvelles constructions en hauteur le long de la côte, la coupe des malheurs environnementaux de Mumbai est de toute évidence trop pleine.
ville, politique de la ville, environnement, écologie urbaine
, Inde
Lire l’article original en anglais : Ecological illiteracy regarding Mumbai
Traduction et mise en forme : Valérie FERNANDO
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Darryl D’MONTE, « Ecological illiteracy regarding Mumbai », in InfoChange, January 2011
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