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A bord du “ladies special”

Shreya BHATTACHARYA

07 / 2009

Plus de 80% des femmes de Delhi affirment qu’elles sont harcelées sexuellement dans les transports publics. Mais la seule réponse d’une administration paternaliste a été de renforcer la discrimination sexuelle de l’espace public en offrant aux femmes des bus spéciaux avec des rideaux devant les protéger du regard masculin.

Plus tôt dans l’année, dans la période précédant les Jeux du Commonwealth 2010 à Delhi, le Département pour les femmes et les enfants a annoncé le lancement d’une série de programmes et d’ateliers de conscientisation à Delhi afin de sensibiliser la population à la question de la sécurité des femmes. Le département devrait commencer avec la Corporation des Transports de Delhi (Delhi Transport Corporation, DTC), la Police de Delhi, le Département de l’Éducation et les Associations de Commerçants. Un comité de travail sur la sécurité des femmes a également été créé. Kiran Walia, Ministre de la santé de Delhi, affirme que « l’idée est que les gens soient fiers de leur ville et de les sensibiliser à cette question de la sécurité des femmes ».

Le Gouvernement de Delhi fait de son mieux pour changer l’image de son système de transports en commun avec la tenue des Jeux de 2010 et pour progresser vers le Grand Projet 2020 qui vise à redessiner Delhi avec des infrastructures de pointe.

Mais il est consternant de voir que le Gouvernement a besoin d’un événement tel que les Jeux du Commonwealth pour s’intéresser à la sécurité des femmes.

La mobilité des femmes est limitée en raison du harcèlement et des abus sexuels qui sévissent dans les transports en commun. Selon le Rapport sur le Développement Humain à Delhi de 2006, ce sont pas moins de 90 % des femmes qui pensent que les transports publics ne sont pas sûrs pour elles. Anghrija, une jeune fille de 23 ans étudiant le droit à l’Université de Delhi, témoigne : « Il ne se passe pratiquement aucun jour sans qu’on soit harcelée d’une manière ou d’une autre en voyageant en bus ».

La plupart des rapports sur la délinquance confirme cet état de fait. Une étude réalisée par la Police de Delhi en 2004 montre que pratiquement 45 % des cas d’attentat à la pudeur ont lieu dans les bus publics et 25% dans la rue. Alors que 40 % des femmes interrogées se sentent en insécurité une fois la nuit tombée, 31 % se sentent également en insécurité l’après-midi.

Les associations et groupes de femmes de Delhi sont très préoccupés par cette menace grandissante. Depuis 2007, l’organisation de femmes Jagori a lancé la Safe Delhi Campaign visant à faire des espaces publics des lieux sûrs pour les femmes. D’après l’étude conduite par Jagori auprès de 500 femmes, plus de 80 % rapportent du harcèlement dans les bus et autres transports publics et 62% dans la rue.

Cette violence dans les transports publics se manifeste de diverses manières. Selon une étude menée en 2007 par l’auteure de cet article à Delhi et Bombay, 90 % des femmes interrogées disent avoir eu à affronter des regards suggestifs indésirables et 80 % des contacts physiques non souhaités en prenant les transports en commun. Un pourcentage important de femmes (54 %) a fait l’objet de remarques ou blagues de type sexuel et 52 % ont dit avoir été suivies. La nature de cette violence est principalement sexuelle : regards insistants (particulièrement sur la poitrine), commentaires et gestes obscènes. Pire, les femmes racontent qu’elles sont fréquemment touchées par les hommes et que ceux-ci se frottent contre elles.

Dans la même étude, 82 % des femmes disent avoir peur de prendre les transport en commun à des heures de faible affluence, en particulier la nuit, contre 22 % chez les hommes. Ce résultat a été confirmé par une étude d’ASSOCHAM en octobre 2008 : une femme sur deux se sent en insécurité, notamment pendant les rotations de nuit dans tous les grands centres d’activité économique : business process outsourcing (externalisation des services) / technologies de l’information, aviation civile, cliniques, industrie textile… Le problème est devenu encore plus aigü avec l’assassinat de Soumya Vishwanathan et de Jigeesha Ghosh à Delhi et la remarque du Ministre en Chef selon laquelle les femmes ne doivent pas être « si aventurières » et se déplacer tard dans la nuit.

Il existe d’autres graves sujets d’inquiétude comme le jet de pierre ou d’acide. Les cas de viol, abus et harcèlement sexuels rapportés dans la presse et les autres médias, souvent rendus sensationnels ou accusant la femme victime de ces agressions, ont créé une atmosphère de peur.

Cette peur est accentuée à deux niveaux. Le jour de Bhaidooj [fête en l’honneur des frères], en octobre 2007, la Ministre en Chef de Delhi, Sheila Dikshit, a annoncé que les jeunes filles et les femmes n’auront pas à payer leur billet de bus si elles se déplacent pour aller voir leur frère. L’État a ainsi adopté un rôle de protecteur paternaliste et de frère, faisant passer le message que les femmes seraient de toutes façons toujours vulnérables. L’État conseille aussi constamment aux femmes de se préparer à la violence, leur faisant porter la responsabilité de leur protection et de la prévention.

Cette gestion insensible des cas par la machine d’État et par la société, accusant fréquemment les femmes de « provoquer » le harcèlement, amène les femmes à préférer se taire en cas de harcèlement. De plus, la plupart des femmes sont agressées lorsque le bus est bondé, ce qui rend difficile l’identification de la personne qui les a touchées.

L’enjeu aujourd’hui est de redéfinir ces formes d’abus et de contrainte comme du harcèlement sexuel et non comme un simple « matage », ce qui banalise la situation et la rend triviale. De plus, la définition conventionnelle de la violence contre les femmes doit être élargie au-delà des actes d’agression physique et sexuelle pour inclure des formes plus subtiles d’abus impliquant une violence mentale et émotionnelle.

Dans l’étude conduite par l’auteure, aucune des femmes n’a déposé une plainte formelle auprès d’une quelconque autorité. Il existe donc un grand décalage entre les crimes déclarés et la réalité de l’expérience des femmes. Les statistiques de la criminalité ne reflètent que ceux qui ont été déclarés à la police. La violence vécue par les femmes dans les transports en commun n’entre donc jamais dans les statistiques même si elle est importante.

Il est aussi important de noter que la ségrégation des espaces, tel qu’un espace réservé aux femmes, contribue à la sexualisation de l’espace déjà existante. Si l’on analyse cela dans le contexte de l’égalité des droits, il apparaît que l’on refuse aux femmes des opportunités égales et à l’inverse on contribue au renforcement des distinctions et oppositions entre zones masculines et zones féminines. C’est ce que l’on constate dans le cas des bus spéciaux de femmes à Delhi dont les rideaux constituent un rappel par l’État que les femmes doivent être protégées du regard masculin.

Et pourtant, des femmes militantes telles que Kalpana Viswanath qui ont considérablement travaillé sur ce sujet estiment que « les bus ou transports réservés aux femmes ne sont peut-être pas une solution mais dans une situation où les femmes et les filles continuent à être harcelées dans les bus, c’est tout de même une stratégie à prendre en compte et il est important pour nous de travailler sur une stratégie sur plusieurs fronts. Alors que le problème a plusieurs dimensions, l’État et les institutions doivent prendre la responsabilité de rendre les espaces publics plus sûrs et accessibles à tous ».

En 2005, le Gouvernement de Delhi a publié un manuel intitulé : « Améliorer la sécurité des femmes à Delhi : vers la construction de la confiance et la lutte contre le harcèlement sexuel » (Making Women More Secure in Delhi: Towards Confidence-building and Tackling Sexual Harassment). Ce manuel énumère les initiatives du Gouvernement devant répondre à la montée des délits contre les femmes. Il reconnaît que Delhi n’est pas une ville sûre pour les femmes et que plusieurs mécanismes doivent être mis en place.

La section sur les transports évoque des services mis en place pour les femmes. Huit sièges sont réservés aux femmes dans les bus de la DTC et des gardes pour la protection des femmes ont été déployés sur les différents trajets. Vingt-trois bus réservés aux femmes circulent en heures de pointe. Si un incident est déclaré, le bus doit être amené au camion ou poste de police le plus proche. La responsabilité de la déclaration de tels incidents appartient au personnel travaillant dans le bus plutôt qu’à la victime. Des numéros téléphonique de secours pour les femmes ont été diffusés à l’intérieur et à l’extérieur des bus. Des contrôles spéciaux doivent être faits pendant les fêtes, notamment de Holi.

Le manuel mentionne aussi que les conducteurs d’auto-rickshaw (trois roues) et de taxis ont été formés pour les sensibiliser aux questions relatives à la sécurité des femmes. Une proposition est étudiées par le Directoire Général des Gardes à Domicile pour offrir les services de 10.000 gardiens qui auraient des passes de la DTC pour faire des tournées dans les différents bus et contrôler le harcèlement.

La plupart de ces directives n’ont toujours pas été mises en place. Les numéros d’urgence sont certes inscrits sur les bus mais ils semblent ne pas fonctionner.

Avec la sécurité des passagers femmes comme objectif, une ONG de Delhi a commencé à former des femmes chauffeurs de taxi. Mais ces services ne s’adresseront qu’à une certaine classe de femmes qui ont les moyens de payer le taxi.

La campane de Jagori, Safe Delhi Campaign, a été lancée pour inciter les citoyens à agir, à changer, à faire des espaces publics et des moyens de transport en commun des endroits sûrs pour les femmes. Dans le cadre de cette campagne, des séances de formation sur les genres ont été conduites avec la DTC à l’intérieur d’un bus à l’arrêt afin de donner le sentiment d’un environnement réel et de placer le conducteur et le receveur dans les pieds des passagers. Des conducteurs d’auto-rickshaw se sont aussi joints à cette formation et des campagnes de publicité ont été faites.

Ces campagnes rencontrent un certain succès mais il est aussi nécessaire d’impliquer les femmes dans la mise en œuvre des politiques de transport et de développement urbains. La sensibilité au genre est aussi nécessaire pour décider de la fréquence, des trajets, des locations des arrêts de bus et de leur conception. Des processus démocratiques pour encourager une vraie participation de la population, y compris celle des femmes, doivent être développés.

Mots-clés

femme et violence, femme, organisation de femmes, sécurité publique, transport urbain


, Inde

Notes

Lire l’article original en anglais : All aboard the ladies special

Traduction Valérie FERNANDO

Pour plus d’informations sur les femmes à Delhi, voir le site et les activités de l’organisation non gouvernementale Jagori basée à Delhi

Source

Articles et dossiers

Shreya BHATTACHARYA, « All aboard the ladies special », in InfoChange, Juillet 2009

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