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Pagaille motorisée

Kalpana SHARMA

03 / 2010

Le taux de croissance des véhicules motorisés en Inde, de 10%, est plus élevé que celui du Produit Intérieur Brut. La politique nationale des transports urbains de l’Inde prétend privilégier les personnes par rapport aux véhicules. C’est pourtant le transport privé motorisé qui reçoit toute l’attention dans nos métropoles, et non les transports publics.

Le 28 février 2010, la Western Railways de Mumbai a annoncé qu’elle interromprait la circulation des trains de banlieue si elle trouvait ne serait-ce qu’une personne voyageant sur le toit. Aux heures de pointe, les trains en provenance des lointaines banlieues de la ville circulent en effet souvent avec de nombreuses personnes perchées de façon précaire sur les toits des trains bondés.

La raison invoquée est le passage d’une alimentation pour les trains électriques de 1500 volts en courant continu à 25.000 volts en courant alternatif. Dans le premier cas, une personne n’est électrocutée que par contact direct avec le câble reliant le train à la source électrique. Dans le second, toute personne située dans un rayon de deux mètres peut être électrocutée. Les chemins de fer ne veulent prendre aucun risque.

Mais la décision d’appliquer strictement cette règle se situe au cœur de la crise que rencontrent nos villes : le manque de transports publics sûrs et à un prix abordable. Les gens ne voyagent pas nécessairement sur le toit des trains parce qu’ils apprécient l’air frais en hauteur. Ni parce qu’ils veulent montrer leur agilité et leur courage en grimpant et en se suspendant à un train en marche ou en s’asseyant sur le toit. Ils le font parce qu’il n’y a pas de place dans les compartiments où ils devraient s’asseoir. Ou parce qu’ils n’ont pas d’argent pour se payer un billet.

Pollution urbaine

Les systèmes de transports en commun sont cruciaux pour nos régions urbaines. Les villes indiennes ont d’ores et déjà gagné la distinction peu flatteuse de figurer parmi les plus polluées du monde. Dans les trois plus grandes villes indiennes, les particules suspendues et les particules respirables suspendues, ses cousins les plus dangereux, sont trois à quatre fois plus élevées que les niveaux acceptables déterminés par l’Organisation Mondiale de la Santé

La pollution de l’air est largement due aux niveaux élevés de gaz d’échappement des véhicules. Dans les grandes villes, les industries polluantes ont été déplacées en dehors des limites de la ville. Mais la principale source de pollution, l’automobile, a pratiquement envahi tout l’espace des routes et de l’air. Sans surprise, la croissance des véhicules motorisés en Inde, de 10%, est plus élevée que celle du PIB. Alors que la population des six principales métropoles indiennes a été multipliée par 1,9 entre 1981 et 2001, la population de véhicules a été multiplié par 7,75.

Pour ceux qui vivent dans ces métropoles embouteillées, ces données n’ont de valeur que théorique. La réalité parle en volumes. Il est devenu impossible de passer d’un point A à un point B en sachant avec certitude le temps que cela prendra, quelle que soit l’heure de la journée. Et les résidents urbains sont de plus en plus résignés à cette qualité de l’air et aux conséquences en termes de troubles respiratoires croissants, les considérant comme le prix à payer pour vivre en ville.

Accidents de la circulation

Si l’on survit aux conséquences de chaque bouffée d’air, on peut être tué en se tenant simplement sur le côté de la route ou en essayant de la traverser. En 2001, plus de 80.000 personnes ont été tuées dans des accidents de la circulation en Inde et le taux de ces décès augmente de 5% par an. La moitié des victimes de la circulation à Delhi sont des piétons, 10% des cyclistes, 21% des motocyclistes et 3% des automobilistes. A Mumbai, 80% des victimes sont des piétons.

Le taux de mortalité dans les accidents de la route en Inde est de 8,7 pour 100.000, comparés à 5,6 en Grande-Bretagne, 5,4 en Suède, 5 aux Pays-Bas et 6,7 au Japon. Si l’on prend le taux de mortalité pour 10.000 véhicules, la taux de l’Inde monte à 14, comparé à moins de 2 dans les pays industrialisés. Donc, même avec un nombre inférieur de véhicules, un nombre plus élevé d’Indiens est tué sur les routes que dans les pays ayant bien plus de véhicules.

Quelle politique des transports urbains ?

L’Inde a-t-elle une vision ou une politique en matière de transports publics, lesquels semblent si importants pour la majorité des urbains ? En apparence oui. D’après la politique nationale de transports urbains (National Urban Transport Policy), son objectif est d’« assurer un accès sûr, abordable, rapide, confortable, fiable et durable » et de « mettre en place une allocation équitable de l’espace routier en privilégiant les personnes plutôt que les véhicules. »

Personne ne peut mettre en question les mots ou l’intention. Le problème réside dans l’application et le détournement des objectifs qui sont la réalité, dure et visible, de la vie quotidienne dans nos villes. Pendant des décennies, les politiques ont été conçues pour attribuer plus d’espace aux véhicules privés plutôt qu’à des formes de transport qui bénéficieraient au plus grand nombre.

Plus du tiers du nombre total de véhicules motorisés en Inde circule dans nos métropoles, lesquelles ne représentent que 11% de la population. Delhi compte 7% de tous les véhicules motorisés. Cette ville se situe en tête de liste de la pollution de l’air malgré l’introduction du gaz liquéfié dans les véhicules publics. Ceci est dû au nombre de véhicules privés fonctionnant au diesel et à l’essence, y compris les voitures et les deux roues. En conséquence, 72% de la pollution atmosphérique de Delhi est à mettre sur le compte des gaz d’échappement.

Il est également clair que l’émission de gaz d’échappement augmente quand la vitesse du véhicule diminue. Or, dans la plupart des villes, y compris Delhi et Mumbai, les vitesses aux heures de pointe diminuent de 5 à 10 km/h ce qui entraîne une multiplication par cinq des polluants émis.

La solution au problème du nombre élevé de décès et de la pollution mortelle de l’air réside dans de meilleurs transports en commun, plus efficaces, qui réduiraient considérablement le besoin en véhicules privés. Cela diminuerait aussi la congestion et permettrait une circulation plus rapide des bus qui transportent un nombre bien plus grand de voyageurs. Pourtant, cette logique qui semble évidente ne fonctionne pas sur le terrain. Ainsi, dans les grandes villes, plusieurs tentatives d’augmenter le nombre des bus ou de créer des couloirs réservés aux bus ont eu un succès mitigé. A Mumbai, les bus climatisés ont été introduits pour inciter les automobilistes à les utiliser. Mais tant que la situation de la circulation ne sera pas résolue, ces bus n’iront pas plus vite que les véhicules privés. En conséquence, ils circulent en-deçà de leur capacité.

L’exemple de Mumbai

Le modèle d’investissement dans les routes et les transports de nos grandes villes illustre l’absence de priorisation des transports publics. Mumbai en est certainement le meilleur exemple. Dans les années soixante, Mumbai avait l’un des meilleurs systèmes de transports en commun. Elle disposait de bus, de tramways, de trains de banlieue ; en ce temps là, seuls quelques riches individus pouvaient s’offrir des voitures particulières. Ainsi la plupart des gens utilisaient-ils les transports en commun.

Au fil des années, ce système n’a pas été renforcé à un rythme suffisant. Les tramways ont été supprimés car on a considéré qu’ils occupaient trop d’espace sur les routes et les routes ont été envahies par la population croissante des véhicules privés à moteur. La plupart des investissements de ces deux dernières décennies ont visé à rendre plus confortable la vie des propriétaires de ces véhicules particuliers. Les routes ont été élargies et des ponts routiers ont été construits, y compris un spectaculaire pont sur l’océan (sealink) qui n’a été ouvert que récemment à quelques itinéraires de bus. En d’autres termes, tous les efforts ont visé à rendre les déplacements plus faciles et tranquilles pour les utilisateurs de voitures privées, alors même que ces derniers constituent une petite minorité de la population totale de Mumbai.

Malgré tous les discours de ces dernières années pour améliorer les transports publics, l’investissement principal persiste une fois encore à faciliter le mouvement des véhicules motorisés. Fin février, le Gouvernement du Maharashtra a approuvé un ensemble de projets incluant deux ponts supplémentaires sur l’océan, une autoroute et une route surélevée coûtant des milliards de roupies. Ironie de l’histoire, à l’exception de l’autoroute qui relie Sion situé au Nord-Est de Mumbai à Panvel, les trois autres projets sont conçus pour améliorer le flux du trafic entre le nord et le sud de Mumbai. Pourtant, de plus en plus, résidences et bureaux s’éloignent du sud de Mumbai pour s’installer vers le nord et l’est de la ville. Seuls les bureaux du Gouvernement restent dans le sud de Mumbai.

Cela explique peut-être pourquoi les gouvernements successifs continuent de n’accorder aux transports publics qu’une faible priorité. Les décideurs politiques et les bureaucrates utilisent rarement les transports publics car ils peuvent généralement aller en voiture privée de leur résidence à leur lieu de travail. Dans ces conditions, comment comprendraient-ils les difficultés auxquelles les gens ordinaires ont à faire face au quotidien quand ils luttent pour arriver à l’heure au travail? Le groupe que le gouvernement du Maharashtra consulte pour son « Projet de Transformation de Mumbai » est Bombay First qui représente le secteur des entreprises privées. Une fois encore, les personnes impliquées ont peut-être une connaissance théorique sur l’importance des transports publics mais pour ces individus ce n’est pas un besoin ressenti quotidiennement.

L’autre raison pourrait être le mode de croissance de nos cités. Dans les pays industrialisés, en particulier les États-Unis, les riches ont eu tendance à s’installer dans les banlieues, où ils bénéficient d’une meilleure qualité de l’air, de grandes maisons et de larges espaces verts ; on a laissé les pauvres se débattre dans le centre de villes, surpeuplé et à l’habitat pauvre. En Inde, l’inverse s’est produit dans la plupart des grandes villes. Le prix du foncier dans le centre des villes est tellement élevé que seuls les riches ou ceux qui bénéficient de logements gouvernementaux peuvent se permettre d’y vivre. Les pauvres et les classes moyennes basses sont repoussés dans les banlieues lointaines et contraints de faire des aller-retour sur de longues distances, utilisant les transports publics médiocres pour atteindre leur lieu de travail. Ce sont donc les classes sociales basses qui ont besoin et utilisent les transports en commun, mais elles ne forment pas un lobby organisé qui permettrait d’apporter des améliorations. A l’inverse, les propriétaires d’automobiles détiennent le pouvoir économique et politique qui permet d’influer sur les décisions politiques.

La crise des transports urbains ne fera qu’empirer si les gouvernements continuent de suivre de telles priorités biaisées. En réalité, les intérêts de la majorité visant à un meilleur système de transports publics, sauveraient nos villes et permettraient de véritablement les transformer. Tellement évident, pourrait-on penser, et pourtant apparemment au-delà de la compréhension de ceux qui font la politique.

Mots-clés

pollution, pollution atmosphérique, transport urbain


, Inde

Notes

Lire l’original en anglais: Motorised mayhem

Traduction : Valérie FERNANDO

Source

Articles et dossiers

Kalpana SHARMA, Motorised mayhem, in InfoChange, Mars 2010

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