español   français   english   português

dph participe à la coredem
www.coredem.info

dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

De simples gouttes d’eau font la puissance de l’économie

Mousson et changement climatique en Inde

Sunita NARAIN

09 / 2009

La mousson du sud-ouest 2009 est finalement arrivée dans de nombreuses régions du pays, avec une ardeur redoublée en de nombreux endroits, conduisant à des inondations meurtrières. Face aux images de pluie et de remplissage des réservoirs qui inondent nos téléviseurs, nos macro-économistes semblent ignorants des dommages que le retard et la déficience de cette mousson vont engendrer. L’agriculture jouant un rôle marginal dans le chiffre du PIB de la nation, même si les récoltes sont mauvaises, tous les fondamentaux de la croissance restent sains. Et dans tous les cas, le renouveau de la mousson bénéficiera à la récolte d’hiver (rabi) dans la mesure où l’humidité des sols et les niveaux d’eau augmentent dans les puits et les canaux. Tout est bien qui finit bien ?

Ceci témoigne d’une vision réduite et mal informée de l’impact réel d’une mousson insuffisante sur un grand nombre de personnes subsistant au bord de la survie. Le fait est que cette année, alors que les pluies se faisaient attendre, la pression sur l’eau avait déjà atteint un pic alarmant dans de nombreuses régions du pays. On entendait dire que l’eau potable n’y était pas disponible, on apprenait comment les gens montaient la garde voire tuaient pour protéger leur unique source d’eau, comment les villes souffraient de pénurie d’eau, le rationnement étant envisagé ou appliqué en de nombreux endroits. Les agriculteurs étaient déjà sous pression car le niveau des nappes phréatiques était tombé tandis que les coûts des intrants augmentaient, les mettant en danger. Dans ce contexte de quasi-sécheresse, nous avons assisté à un déficit des précipitations pendant la période critique de la récolte d’été.

Nous devons donc comprendre pourquoi ce déficit passager de pluies est un problème. Il oblige les gens à migrer, il les pousse dans les bras des usuriers quand les récoltes sont mauvaises et les force à vendre leur unique moyen de survie : leur bétail. C’est l’enclenchement de la spirale de la misère. La sécheresse ne signifie pas seulement manque d’eau et mauvaise récolte ; elle signifie aussi absence de fourrage. Reconstruire l’économie rurale devient difficile dans ce cycle défavorable d’appauvrissement. Chaque nouvelle sécheresse détruit la capacité de la communauté rurale à y faire face. Elle la rend plus faible et incapable de gérer les caprices de la mousson. La sécheresse n’est pas un phénomène passager. Elle est permanente et durable et elle détruit le cœur même du pays.

C’est pour cette raison que nous devons avoir un plan à long terme pour gérer les aléas de la mousson et les pénuries d’eau. Nous devons d’autant plus le faire que les moussons sont affectées par le changement climatique. En d’autres termes, il ne s’agit pas de gérer seulement la variabilité naturelle, déjà extrême. Il faut également comprendre comment cette variabilité est renforcée par le changement climatique d’origine humaine.

Lors d’une récente réunion des professionnels des médias d’Asie du Sud, B.N. Goswani, le grand spécialiste indien de la mousson, expliquait ce que le changement climatique signifiait quant aux dangers actuels et à venir de la mousson. Son étude montrait tout d’abord que le réchauffement climatique allait rendre la mousson indienne de plus en plus variable et de moins en moins prévisible. Une étude récente, utilisant les données des précipitations quotidiennes entre 1901 et 2004, conclut que la mousson est devenue deux fois plus difficile à prévoir. Les implications de ces résultats sont énormes. Considérez premièrement dans quelle mesure cette année déjà ce n’est pas le déficit des pluies qui a affaibli les agriculteurs mais le manque de savoir sur ce qui allait se passer. Les paysans ont acheté des semences et investi dans le semis, tout ça pour voir leurs récoltes sécher sur pied. Ils ont emprunté, investi et fini par risquer leurs revenus. Cela signifie deuxièmement que l’Inde devra investir pour améliorer ses modèles de prévision et sa capacité informatique afin de gérer l’impact du changement climatique sur la mousson. Voilà ce que signifieront les termes d’ « adaptation » au et de « gestion » du changement climatique.

Un deuxième point pose problème. La question qui inquiète les scientifiques de la mousson en Inde, explique Goswami, est de comprendre pourquoi les pluies d’été indiennes n’augmentent pas avec l’augmentation de la température, comme les modèles de changement climatique le prévoient. Leurs analyses montrent que même si la température de l’océan indien affiche une tendance à un réchauffement croissant, les précipitations de la mousson sur les 100 dernières années restent dans la même variable inter-annuelle. Quel est donc l’impact du changement climatique sur la mousson, si tant est qu’il y en ait un ?

La réponse nous concerne tous. L’analyse des tendances des précipitations sur les cinquante dernières années montre qu’il y a une tendance significative de diminution de la fréquence des précipitations moyennes et une augmentation de la fréquence des fortes précipitations (plus de 100 mm par jour). Pire, les précipitations très fortes (plus de 150 mm par jour) augmentent. En d’autres termes, les précipitations changent de caractère : quand il pleut, il pleut à verse. Pensez à ce que cela signifie pour l’avenir de notre eau : des pluies violentes, qui inondent puis disparaissent. Laissant moins d’eau utilisable pour les paysans. Conduisant à de plus faibles remplissages des nappes phréatiques. Il est important de comprendre ces changements pour notre avenir.

Cela est important car nous nous situons à un moment crucial. Notre demande en eau augmente avec l’urbanisation croissante et la croissance industrielle. D’un côté nous renforçons le gaspillage et la dégradation de l’eau disponible à travers la pollution. Pire, nous perdons un temps précieux à rêver à de grands projets d’irrigation qui soient réellement construits et totalement utilisés. Nous ne nous concentrons pas sur ce que nous pouvons faire pour cette mousson et la période de stress sur l’eau qui approche : retenir chaque goutte d’eau dans chaque réservoir, mare, forêt, bassin versant et même terrasse de chaque habitation, chaque village, chaque ville. Alors, soyez sûr que vous tirerez bénéfice de chaque goutte : plus de récoltes, plus de productivité industrielle et moins de gaspillage dans nos maisons. Cela peut être fait. C’est le programme de l’eau pour un avenir en changement. C’est le programme de l’eau que nous ne devons pas perdre de vue, même sous la pluie.

Mots-clés

eau, stockage de l’eau, changement climatique


, Inde

Notes

Traduction en français : Valérie FERNANDO

Lire l’original en anglais :Single drops of water make the mighty economy

Source

Articles et dossiers

Sunita NARAIN, « Single drops of water make the mighty economy », in Down To Earth, 30 Sept 2009.

CSE (Centre for Science and Environment) - 41, Tughlakabad Institutional Area, New Delhi, 110062 - INDIA - Tel. : (+91) (011) 29955124 - Inde - www.cseindia.org - cse (@) cseindia.org

mentions légales