Dans un monde moderne en proie à toutes les crises, dont la crise identitaire n’est pas la moindre, des voix s’élèvent pour prédire le « choc des civilisations ». Mais que se cache-t-il réellement derrière ces prophéties apocalyptiques ?
Parce que la fin de la guerre froide marquait aussi la disparition de la « menace communiste », dont le système dominant avait besoin pour étendre sa funeste hégémonie, certains idéologues néo-conservateurs américains, comme Bernard Lewis ou Francis Fukuyama, ont fabriqué, depuis 1989, la figure d’un « nouvel ennemi » : le musulman, conçu comme l’éternel sarrasin opposé au progrès. Les événements tragiques du 11 septembre 2001 ont propulsé cette propagande fumeuse et islamophobe qui n’est en réalité qu’une diversion aux problèmes politiques du monde.
L’Occident moderne, arrogant, qui s’appuie sur le libéralisme sauvage, la laïcité outrancière et la loi du plus fort est de plus en plus critiqué (1). Jamais le monde n’a été aussi inégalitaire, marqué par le recul du droit et la politique inique du « deux poids, deux mesures » (2). Le tout est aggravé par la méconnaissance et la remise en cause du droit à la différence. Reste donc à dialoguer pour que la justice et le droit remplacent les injustices et la loi de la jungle.
Le monopole de la vérité
Entre citoyens de différents parcours et origines quoi de plus naturel que de débattre amicalement sur les différences d’approches et de perception de la vie ? Discuter sur les défis de notre temps. Débattre sur notre vision quant au vrai, au juste et au beau. Echanger sur la place de la culture et de la foi dans la vie. Confronter nos valeurs pour vivre ensemble. Personne n’a le monopole de la vérité. Nul ne doit exclure la vision des autres, d’autant que l’accord sur des normes communes, tout en respectant la différence, est le but de tout dialogue. Il n’y aura pas de société équilibrée, ni de nouvelle civilisation universelle ou de nouvel ordre international juste, pas d’avenir sans dialogue interculturel et interreligieux.
Pour dépasser nos particularismes, sans les nier, et sortir des risques d’enfermement, dialoguer est vital. Au sens d’écouter le témoignage d’autrui notre semblable et en même temps différent par ses choix culturels. Cependant, on ne dialogue pas pour dicter sa loi, ni hiérarchiser les cultures, c’est-à-dire s’imaginer qu’une culture est supérieure aux autres ; ni convertir par la ruse, ou la force, l’autre différent, ni prétendre lui faire la leçon. Un dialogue n’est pas seulement un face-à-face entre adversaires ou êtres différents, il est aussi un dialogue avec soi-même. On a besoin les uns des autres pour comprendre la complexité du monde, pratiquer l’autocritique et rester vigilant. Il n’y a pas de civilisation sans équilibre entre unité et pluralité.
Par le dialogue interculturel ou interreligieux on n’occulte pas les différences : on les aborde avec un sens respectueux. Le dialogue n’a pas pour but de chercher à consoler les gens et à trouver temporairement un compromis. Il doit agir sur la base des principes de franchise et de justice valable pour tous. Le dialogue accepte la divergence, comme loi de la nature ou loi sociale à maîtriser. Il suppose un sens de l’ouvert, une sortie de soi, vers l’autre, en reconnaissant qu’il a aussi une part de vérité, est habité d’une singularité.
Saine émulation
L’islam, religion et culture méconnues et déformées par certains des siens et par des étrangers, considère que le dialogue des cultures et des religions a pour tâche d’humaniser l’homme afin de surmonter les épreuves de la vie, au lieu de les éviter. Ce dialogue a trois objectifs : l’interconnaissance, la parole commune et l’émulation. Il s’agit pour le premier de découvrir qui est réellement l’autre, sa culture ou sa spiritualité, et de faire tomber les préjugés et l’ignorance. Afin de parvenir à la possibilité d’une parole commune et de normes universelles, la recherche intellectuelle doit, par le questionnement, conduire chacun à approfondir ses convictions, en vue d’accéder à une vérité valable pour tous, à des règles de vie justes, sans syncrétisme, ni relativisme. Les spécificités, d’un côté, et les convergences, de l’autre, bien comprises, doivent permettre de maintenir la progression culturelle et le vivre ensemble. Enfin, c’est à l’émulation saine, à la multiplication des actes de création et de bien que le dialogue appelle. Tout ce qui est humain, ouvert, a sa place dans notre univers. Aujourd’hui, dans le monde, le respect du droit à la différence est remis en cause. On cherche à imposer un seul modèle de vie culturelle, qui est souvent une sous-culture. L’intolérance, l’uniformisation et la propagande du « choc des civilisations » dominent, au risque de déstabiliser toute l’humanité. L’autre a le droit de questionner ma culture, mais non pas de me dénigrer et de m’exclure.
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L’impossible dialogue des cultures ?
Mustapha Cherif est un philosophe algérien, spécialiste du dialogue des cultures et des civilisations.
Altermondes n°16 - décembre 2008 > février 2009, www.altermondes.org